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Les pratiques addictives

Agir collectivement le plus tôt possible

En matière d’addictions, les solutions toutes faites n’existent pas. Sur le terrain, l’association Addictions France déploie, avec des partenaires locaux, des actions d’accompagnement sur mesure. L’objectif : aider les professionnels à agir et à traiter la question à la racine.

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Grégory Brasseur - 24/10/2022
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Illustration pratiques addictives

« Tout passe par la mise en œuvre d’une démarche globale et collective. » Responsable de formation externe chez Addictions France, Jenny Eksl en est convaincue. Une étude menée avec BVA en février 2021 auprès de 2 000 personnes révèle que la crise sanitaire a eu des répercussions importantes sur les conduites addictives des Français, avec, pour 56 % d’entre eux, un impact sur leur moral. Plus d’un usager sur trois consomme davantage de tabac, d’alcool ou de médicaments psychotropes. Une personne sur dix affirme avoir commencé dans l’année à consommer ce type de médicaments. Quid du travail ?

Ces derniers mois, l’association a été particulièrement sollicitée par les représentants du personnel, les directions, les managers de proximité… « Ils nous appellent lors de situations de crise mais aussi en amont, pour l’élaboration de chartes, guides, protocoles d’intervention, reprend Jenny Eksl. On les aide à établir leur diagnostic puis, suivant le contexte, à former des acteurs capables d’analyser les situations en désindividualisant les choses et de lancer des actions. »

Intervenant auprès d’entreprises, d’administrations, de collectivités territoriales, Addictions France propose des formations et un accompagnement spécifique dans la démarche de prévention comme dans le cadre des soins. L’association gère 90 centres d’addictologie.

Amener de la bienveillance

« Depuis plus d’un an, RTE conduit un projet national pour prévenir les conduites addictives dans l’entreprise, visant en particulier l’accompagnement des managers, évoque Claire Malka, correspondante qualité de vie au travail Île-de-France et Normandie du gestionnaire de réseau de transport d’électricité RTE. Des communications de sensibilisation ont été lancées, ainsi que des formations et une “boîte à outils” contenant des supports concrets comme un guide sur la conduite managériale à tenir en cas de trouble avéré du comportement. »

Le projet, initié avec Addictions France et le réseau Anact/Aract, prévoit de faire monter en compétences des référents régionaux internes qui peuvent participer à l’accompagnement des situations liées aux conduites addictives et mobiliser les salariés autour d’actions de prévention, comme des ateliers d’échanges... RTE a retravaillé son cadre d’entreprise en affichant clairement la promotion de la sobriété et en complétant son règlement intérieur avec des règles concernant la consommation d’alcool lors de la pause méridienne, des moments de convivialité ou des déplacements. Néanmoins, les managers sont en demande de sessions de sensibilisation. Ils veulent éviter qu’un salarié déjà en difficulté ne se sente stigmatisé.

ATTENTION AU STRESS !

Les mesures de prévention vis-à-vis des risques psychosociaux doivent être au cœur de la démarche de lutte contre les addictions. Des études ont permis d’identifier le stress parmi les contraintes de travail associées à la consommation de substances psychoactives. D’autres, menées pendant la crise sanitaire, ont également permis d’alerter sur le stress et le sentiment d’isolement vécus pendant cette période. Elles indiquent également que ces phénomènes doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des acteurs concernés : managers, ressources humaines, préventeurs, représentants du personnel…

« La vie est rarement une ligne droite. En matière d’addictions, il faut savoir gérer les crises, mais avant tout prévenir », estime Hubert Martigne, le directeur du groupe maintenance réseau Basse-Seine de RTE. « En janvier 2022, cinq sessions de sensibilisation, dont une réservée aux managers, ont eu lieu sur site. Aux côtés de Claire Malka, un intervenant d’Addictions France et le médecin du travail ont présenté différents supports, explique-t-il. Sur un effectif de 150 personnes, 80 % ont assisté aux échanges. Cela a permis de planter le décor en évoquant les facteurs possibles, notamment en lien avec le travail, comme le fait de consommer pour tenir ou pour s’intégrer à un collectif. »

L’intervention d’un tiers, pour diffuser un message bienveillant, a permis d’ouvrir le dialogue, de réfléchir collectivement aux actions à mener. « À nous de ne pas faire retomber le soufflé. Des supports de prévention sont en libre service dans les espaces de convivialité. Au niveau national, des modules d’e-learning vont être proposés », ajoute le professionnel.

L’action locale

En 2020, dans un contexte de crise sanitaire, en lien notamment avec le plan gouvernemental de mobilisation contre les conduites addictives 2018-2022, sous l’impulsion de la Mildeca, Addictions France et le réseau Anact/Aract (avec la participation de la CCMSA et du groupe Vyv) ont lancé une expérimentation d’approche organisationnelle de la prévention des conduites addictives en milieu professionnel à travers l’accompagnement de structures sur trois territoires : l’Occitanie, le Centre-Val-de-Loire et l’île de la Réunion. « L’idée était de mutualiser nos compétences. Proposer une démarche sur un temps collectif et un suivi en entreprise, en présence des directions et des partenaires sociaux », remarque François Auriol ,responsable de formation site Sud chez Addictions France.

Cette méthodologie commune d’intervention a permis de mobiliser une vingtaine d’entreprises et des acteurs locaux, en particulier autour d’une prise en compte de l’environnement professionnel et de son impact, au-delà des seuls facteurs individuels. Une approche pluridisciplinaire qui a abouti à la production de livrables destinés aux managers et aux acteurs pouvant intervenir sur l’organisation et à la réalisation de vidéos (disponibles sur le site de la Mildeca). « En Occitanie, nous menons d’autres actions territoriales, notamment avec le service interentreprise de santé au travail (Sras) du BTP, reprend François Auriol. Des professionnels de santé ont été formés et le secteur s’est véritablement saisi du sujet. »

BTP : EN PARLER DÈS L’APPRENTISSAGE

« L’usage des substances psychoactives est responsable de 15 à 20 % des accidents du travail, de l’absentéisme ou des conflits interpersonnels. » Ces données sont issues d’un film court réalisé dans le cadre d’un partenariat entre Addictions France et la Fondation BTP, dans lequel est rappelée la responsabilité humaine et juridique de l’employeur qui, en cas d’accident, sera interrogé sur les règles et les réponses mises en place pour protéger les salariés et les apprentis. « Le film a été pensé comme une aide aux CFA dans la mise en œuvre d’une action précoce de sensibilisation, mais aussi de modification de certaines pratiques culturelles, explique Françoise Arqué, médecin coordinateur au Sras de Toulouse. Dans le BTP, le maître d’apprentissage a un rôle essentiel dans l’accompagnement et la découverte du métier. Il doit savoir rappeler les règles, renvoyer sur le règlement intérieur, mais aussi repérer un trouble du comportement, aiguiller. »

L’un des enjeux, , est l’action précoce, auprès des jeunes. Avec la Fondation BTP Plus, qui finance des projets sociaux venant en aide aux salariés du secteur, l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes de Toulouse, Addictions France, le Sras et Santé BTP 34, un groupe de travail a été constitué. « Nous avons pensé que les tuteurs, maîtres de stage et d’apprentissage, qui représentent une figure d’autorité et ont l’oreille des jeunes, pourraient faire passer des messages sur les addictions, explique Françoise Arqué, médecin coordinateur au Sras de Toulouse. Un film de 2 min 30 a été réalisé et a vocation à être largement diffusé dans les centres de formation des apprentis. Le déni de risque existe dans la profession. Un charpentier, sur les toits, peut avoir tendance à se sentir libre, à l’abri de tout et invincible. Pour marquer les esprits, l’action précoce est, à mon sens, essentielle. »

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