
« T’es avec nous ou pas ? » Au cours d’une réunion de chantier, l’encadrant interpelle un participant accroché à son téléphone. Il sursaute. « Quand t’es sur ton téléphone, t’as pas les mêmes réflexes. Téléphone, alcool, drogues, même certains médicaments… Ça te bouffe de la place dans la tête et t’es pas là à 100 %. » Et sur un chantier, ne pas être pleinement concentré sur ce qui se passe autour de soi, ça ne pardonne pas. La scène, extraite de « Sous influence », une vidéo de 6 minutes, a été vue par l’ensemble du personnel Colas à l’occasion de la semaine de la sécurité 2018. Elle se poursuit avec le récit d’un accident mortel. Le message est percutant.
QUELLE PLACE POUR LES TESTS DE DÉPISTAGE ?
L’éthylotest et le test salivaire de détection immédiate de produits stupéfiants peuvent être utilisés par l’employeur dans le respect des dispositions réglementaires. Le recours à l’éthylotest ne peut être systématique. Il doit être justifié pour des raisons de sécurité et ne concerner que les salariés dont les fonctions sont de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger. La possibilité d’y recourir et la liste des postes concernés doivent être précisés dans le règlement intérieur. De même, le test salivaire de détection immédiate de produits stupéfiants ne peut être réalisé par l’employeur ou un supérieur hiérarchique que si son utilisation est inscrite au règlement intérieur. Il est réservé aux seuls postes pour lesquels l’emprise de la drogue constitue un danger particulièrement élevé pour le salarié ou pour les tiers. Le salarié doit pouvoir obtenir une contre-expertise médicale à la charge de l’employeur. La personne qui réalise le test doit respecter le secret professionnel sur les résultats.
À l’époque, l’entreprise fait le choix audacieux de mettre la prévention des addictions au cœur de l’événement. Affiches, quiz, vidéo, fiches récapitulatives martèlent des messages clés. Il s’agit de marquer les esprits et d’inviter au dialogue. « Le film a remporté la même année le concours sécurité de la Carsat Alsace-Moselle. Il a été salué pour son discours franc, la façon dont il traite de facteurs culturels et des représentations des addictions », explique Olivier Schroeder, contrôleur de sécurité à la Carsat Alsace-Moselle.
Toucher l’ensemble des collaborateurs
« Le risque lié aux pratiques addictives est inscrit dans le document unique d’évaluation des risques. Dès 2014, nous avons formé les responsables ressources humaines et les préventeurs de la région Nord-Est aux questions relatives aux conséquences de la consommation d’alcool et/ou de stupéfiants sur la santé et la sécurité des collaborateurs, de leurs collègues ou même de tiers. Le dispositif a été ensuite étendu à Colas France, affirme Audrey Gay, la cheffe de service prévention Colas sur le territoire Nord-Est. Nous avons lancé des campagnes de communication en réunions d’encadrement, en réunions de CSSCT, via nos safety meeting… » Objectif : former l’encadrement avec un kit complet et toucher l’ensemble des collaborateurs au sujet des sensations provoquées par la consommation d’alcool ou de substances psychoactives et des effets sur la santé, des fausses croyances, du temps d’élimination de l’alcool par l’organisme, mais aussi des conditions de travail qui peuvent favoriser les consommations.
Régulièrement, les règles applicables au sein de l’entreprise sont rappelées. Les informations concernent aussi les relais d’accompagnement : le médecin du travail et le médecin généraliste, les numéros d’aide à distance par téléphone, les associations, les assistantes sociales… En complément, parce que les travaux sur les chantiers sont de nature à exposer les personnes à un danger, Colas a lancé des campagnes de dépistage – annoncées puis inopinées –, réalisées par un responsable hiérarchique formé.
TÉLÉPHONE : DÉFINIR LES RÈGLES DU JEU
En 20 ans, l’usage du téléphone portable a explosé. Colas n’y échappe pas : les usages jugés excessifs associant téléphone et internet se sont multipliés sur les chantiers. L’entreprise a donc édicté de nouvelles règles. Des « points téléphone » sont désormais signalés sur les chantiers : il s’agit de zones, souvent proches de la base-vie et à l’écart des activités, réservées pour passer les appels ou envoyer des messages. Fini les SMS en conduisant un engin ou sur une zone de travaux : le règlement l’interdit. Selon l’étendue des chantiers, plusieurs secteurs d’utilisation du portable peuvent ainsi être définis. L’entreprise réfléchit en parallèle à l’évolution des règles d’utilisation de l’ensemble des outils numériques. Il est également exigé, lors des déplacements, de programmer le GPS du véhicule dans la cour, avant le départ.
La démarche a été présentée en réunion de CSSCT et les représentants du personnel ont été vigilants, tant sur les questions liées à la confidentialité que sur les actions d’accompagnement lorsqu’un cas positif est identifié. Il est toujours conseillé de faire appel à la concertation, notamment avec les instances représentatives du personnel, lors de la mise en place de moyens de dépistage par l’employeur, pour en évaluer les avantages et les inconvénients.
« Le groupe a le courage de ne pas se voiler la face, affirme Christophe Pinon, chef d’agence Colas des Ardennes, intervenant sur les travaux routiers avec une équipe de 50 compagnons et 20 cadres. Les politiques de prévention antérieures nous permettent aujourd’hui de bien maîtriser la problématique alcool. En matière de stupéfiants, l’encadrement avait besoin d’un apport de connaissances. » Ces dix dernières années, dans l’agence, il a multiplié les communications, rappelant aussi les risques pour ceux qui se rendent sur les chantiers en voiture.
Une nouvelle campagne nationale de dépistage
Fin 2021, une nouvelle campagne nationale de dépistage a été lancée. Colas a fait appel à une entreprise externe qui travaille avec des infirmiers spécialisés, présents pour soutenir l’encadrement dans la dédramatisation du contrôle. « S’il y a un cas positif, on procède au retrait de la personne du poste de travail et on réfléchit à l’orientation, vers le médecin du travail ou un accompagnement spécialisé, reprend Christophe Pinon. Nous avons eu très peu de cas, mais de nombreux échanges, lors de la réunion de chantier qui avait suivi. »
AVIS D'EXPERT
Philippe Hache, conseiller médical en santé au travail à l'INRS
« La mise en place du dépistage par éthylotest ou test salivaire de détection immédiate de produits stupéfiants ne peut résumer, à elle seule, la prévention des pratiques addictives au travail. En effet, l’origine des consommations de substances psychoactives peut être liée à des événements de la vie privée, mais aussi à certaines conditions de travail comme les risques psychosociaux, les horaires atypiques, le port de charges lourdes… De même, les techniques de dépistage actuelles peuvent être sources d’erreurs, notamment pour le test salivaire. Des résultats faussement positifs ou faussement négatifs sont possibles. Enfin, les études menées jusqu’à présent ne permettent pas de conclure sur l’efficacité du dépistage en matière de prévention des accidents du travail. »
La problématique des intérimaires a également été soulevée : comment les intégrer dans la démarche sans les stigmatiser. Audrey Gay va rencontrer l’ensemble des référents des sociétés d’intérim pour les associer à la démarche et leur rappeler le règlement intérieur. « On a une démarche globale qui finalement rassure les collaborateurs », explique-t-elle. De nouvelles solutions d’orientation sont en réflexion, pour aider les personnes en difficulté à s’en sortir. Dans tous les cas, la logique reste celle de la sensibilisation et, lorsque c’est nécessaire, de l’accompagnement, jamais du repérage individuel de la personne qui consomme. Avec l’objectif de faire chuter la consommation au sein de l’entreprise et de garantir la sécurité sur les chantiers.