Ce site est édité par l'INRS
Les risques psychosociaux

Sensibiliser la direction aux enjeux

L’usine AbbVie de Pringy, en Haute-Savoie, fabrique des produits de comblement des rides et d’amélioration de l’aspect de la peau. Suite à son rachat il y a deux ans, le site a dû répondre aux inévitables remous provoqués par son changement de pavillon en se lançant dans une démarche de prévention des RPS. Frédéric Roche, son directeur, nous en dit plus.

5 minutes de lecture
Damien Larroque - 23/09/2022
Lien copié
Illustration d'une démarche de prévention en co-construction.

Travail & Sécurité. Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre usine ?

Frédéric Roche. Situé à Pringy, près d’Annecy, l’établissement que je dirige depuis un an a été créé en 1987 et emploie 400 salariés. Nous développons et fabriquons des seringues de solutions injectables à base d’acide hyaluronique qui améliorent la qualité de la peau et comblent les rides. Cette année, notre objectif est de produire 15 millions d’unités qui seront distribuées dans 101 pays. Jusqu’en 2020, nous appartenions à Allergan puis nous avons été rachetés par le groupe AbbVie, qui est dans le top 5 mondial des industries pharmaceutiques.

Ce changement d’identité et de culture est-il à l’origine de votre volonté d’agir en prévention des RPS ?

F. R. Non. J’ai moi-même été sensibilisé aux RPS dans mes précédents postes de directeur de production puis de qualité, au sein de l’entreprise, notamment à travers des lectures et des formations sur le management bienveillant et le sens du travail. La direction du site a en effet toujours inscrit dans la stratégie de l’établissement la prévention des risques au sens large, soutenue par la culture d’exigence que requièrent les activités pharmaceutiques. Si nous menons donc depuis longtemps de nombreuses actions de prévention des risques, notamment physiques et chimiques, notre document unique tient aussi compte de la présence de facteurs favorisant l’apparition de RPS à certains postes, comme ceux dont les tâches sont minutées. L’automatisation a par exemple contribué à y alléger la charge mentale. Le travail posté, avec ses horaires décalés, a aussi été identifié comme pouvant générer du stress et des effets sur la santé. En échangeant avec les équipes, nous avons supprimé la 5nuit de travail qui était pointée comme particulièrement pénible. Autre exemple, le désir de davantage de flexibilité dans les horaires, qui émane surtout des nouvelles générations, a débouché sur une augmentation de l’offre de télétravail qui peut favoriser l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Si les RPS faisaient donc déjà partie de nos préoccupations, notre arrivée dans le giron du groupe AbbVie a donné un coup d’accélérateur à notre démarche pour les prévenir.

DE L’IMPORTANCE DE LA RECONNAISSANCE

Consciente de l’importance de donner du sens au travail pour prévenir l’apparition de RPS, la direction de l’usine de Pringy s’appuie notamment sur des témoignages d’utilisateurs. Présentés à l’occasion des assemblées générales, ces retours positifs sur les produits de l’entreprise permettent aux équipes de voir le résultat concret de leurs efforts. « Reconnaître la valeur du travail des salariés est également primordial, estime Frédéric Roche. Dans cette optique, nous remettons des “awards” qui récompensent aussi bien la réalisation d’objectifs que des comportements en phase avec les valeurs éthiques, de transparence ou de collaboration qui irriguent l’entreprise. N’importe qui à n’importe quel moment peut proposer quelqu’un pour recevoir l’un de ces prix remis chaque trimestre par la direction lors d’un moment convivial et en présence des managers. »

C’est-à-dire ?

F. R. Tout changement dans l’organisation d’une entreprise est susceptible de créer une instabilité propice à l’apparition de RPS. Nous avons vu émerger des signaux faibles au sein de nos effectifs et nous avons décidé de nous engager dans une politique de prévention primaire des RPS, afin de ne plus agir seulement en réaction à l’apparition de problèmes. Pour ce faire, nous voulons un document unique (DU) dédié aux RPS, indépendant de celui consacré aux autres risques.

Revenons sur ce DU dédié aux RPS. Pourquoi cette formule ?

F. R. Nous avons consulté la documentation INRS sur le sujet, dont la brochure Évaluer les facteurs de risques psychosociaux : l’outil RPS-DU, qui nous a amenés à nous interroger. Notre DU est organisé par unités de travail, selon un découpage qui ne convient pas complètement à la problématique des RPS, transversale et devant tenir compte des niveaux hiérarchiques. De quelle manière diviser de façon pertinente notre activité pour correspondre à une grille de lecture RPS ? Comment utiliser efficacement les outils d’évaluation et enclencher le débat ? Une fois celui-ci lancé, comment aboutir à des solutions faisant consensus ? Nous nous sommes rapprochés de Claude Vadeboin, psychologue du travail à la Carsat Rhône-Alpes. Elle a animé un temps de sensibilisation auquel ont participé le Codir, les ressources humaines, le service sécurité, l’infirmière au travail et un élu du personnel… L’objectif était de préciser ce que sont les RPS, de donner un vocabulaire commun à tous, d’informer sur les bonnes pratiques d’évaluation.

Qu’avez-vous tiré de cette rencontre ?

F. R. Nous avons été confortés dans notre volonté d’agir en prévention primaire sur les RPS. Mais nous avons également pris conscience des limites de nos compétences en matière d’évaluation du risque, qu’il s’agisse de la compréhension des outils comme de la méthode pour les mettre en œuvre. Afin d’atteindre l’autonomie, il nous faut former des collègues qui seront capables d’animer les groupes de travail pour alimenter le DU dédié aux RPS. Un premier binôme, composé de notre infirmière et de notre expert en excellence opérationnelle, sera prêt à la fin de l’année. Ils acquerront leurs connaissances par le biais d’une formation-action, dans les conditions réelles d’un groupe de travail. En tant qu’observateurs, ils assisteront à un premier atelier animé par Claude Vadeboin. Une seconde session sera l’occasion d’inverser les rôles en laissant les rênes à notre duo, tandis que la psychologue du travail restera en retrait. L’objectif étant de nous approprier la démarche. La méthode sera ensuite déployée en formant d’autres binômes. Une fois le DU RPS rédigé, nous pourrons engager des actions de prévention. Le Codir et moi-même sommes convaincus que prévention des RPS et performance sont très complémentaires et s’alimentent l’un l’autre dans un cercle vertueux. 

L'AVIS DE...

Claude Vadeboin, psychologue du travail à la Carsat Rhône-Alpes

« Lorsque l’on intervient en entreprise sur les RPS, il y a le plus souvent une alerte ou des signaux forts. C’est rarement sans raison. Les dirigeants sont alors plus en demande de pistes pour mieux communiquer en interne ou trouver des formations pour les managers. Sur le sujet, la première sensibilisation est d’amener les dirigeants d’entreprise à comprendre que la santé mentale peut être impactée au travail parce qu’il y a de multiples enjeux dans la vie professionnelle. On ne travaille pas que pour le salaire. Il faut donc questionner ce que veut dire travailler : qu’est-ce qu’on vient chercher au travail ? Il est nécessaire de commencer par comprendre cela, car ça conditionne ensuite le choix des outils et de la démarche d’une entreprise. Plus qu’en entrant par une approche risque, en questionnant l’efficacité du travail, la performance, la qualité, on retombera inévitablement sur les risques professionnels à traiter. »

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Les risques psychosociaux

Sur le même sujet