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Les risques psychosociaux

Formation-action : un engagement dans la durée

La PME Atlantique Ingénierie Réseaux s’est lancée depuis un an dans une démarche de prévention primaire des risques psychosociaux, qui associe la direction et les équipes de terrain. Ceci dans le cadre d’une formation-action interentreprise délivrée par la Carsat Centre-Ouest. Un engagement exigeant et rigoureux qui commence à porter ses fruits.

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Céline Ravallec - 23/09/2022
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Illustration prévention des RPS.

« Les salariés se sentent-ils suffisamment bien dans l’entreprise pour en devenir sociétaires ? » C’est autour de cette question qu’a été lancée une démarche de prévention des risques psychosociaux au sein d’Atlantique Ingénierie Réseaux (AIR). Ce bureau d’ingénierie en études réseaux (télécoms, électricité, gaz, fibre optique…), dont le siège est à Surgères, en Charente-Maritime, a été fondé en 2008. Un changement de statut de l’entreprise en Scop (société coopérative et participative) est intervenu en décembre 2020, au moment du départ à la retraite d’un des deux cogérants. Le bureau emploie plus d’une centaine de personnes.

« À mon arrivée dans l’entreprise, en mars 2020, les RPS figuraient dans le document unique d’évaluation des risques, mais sans être approfondis, se souvient Sophie Micault-Beaumont, chargée qualité, sécurité, environnement (QSE). L’entreprise connaissait une croissance très rapide, avec des recrutements chaque mois. La gestion de l’entreprise était complexe : sites distants, métiers et managements différents, développement de nouvelles activités… S’y ajoutait le projet de Scop, qui allait demander à chacun de s’impliquer à un autre niveau dans l’entreprise. »

Une formation-action proposée par la Carsat Centre-Ouest sur la prévention des RPS est tombée à point nommé. Celle-ci implique conjointement direction et salariés. « Il est essentiel que cette démarche soit paritaire et associe des représentants des salariés et de la direction, et que ces derniers aient un pouvoir de décision, insiste Delphine Croizat-Vilatte, contrôleuse de sécurité et psychologue du travail à la Carsat Centre-Ouest. La formation-action s’organise en trois phases : trois jours de formation en présentiel, six mois en intersession pour mener des actions de terrain, puis deux jours de restitution. »

L'AVIS DE...

Delphine Croizat-Vilatte, contrôleuse de sécurité à la Carsat Centre-Ouest

« Cette formation-action s’inscrit dans une démarche d’analyse des situations de travail en sortant de l’approche individuelle. S’y engager implique plusieurs prérequis : une culture de prévention déjà bien présente, une direction totalement impliquée, un climat social apaisé, une démarche paritaire avec implication de l’ensemble des parties prenantes. On souhaite avoir trois, voire quatre participants d’une même entreprise afin de limiter les effets d’un possible départ de l’entreprise ou d’un changement de fonction. Et être à plusieurs les rassure aussi, ils peuvent échanger. Je demande aux entreprises que chaque personne formée puisse consacrer une demi-journée par semaine au sujet. Durant la phase d’intersession, j’essaie de les voir en moyenne une fois par mois pour accompagner la construction de la démarche de prévention, jusqu’à la rédaction et la mise en œuvre du plan d’action. »

Les trois premières journées de formation se sont tenues en septembre 2021. Un trinôme chez A.I.R. les a suivies : la DRH, la chargée QSE et une représentante du CSE, Carine Geay, également assistante RH. L’occasion de mises en situation et d’apports théoriques, au travers de travaux en sous-groupes. Objectif : acquérir le langage propre aux RPS (causes, effets, facteurs de risque), identifier les étapes de la démarche de prévention pour les déployer ensuite en interne et s’approprier les outils d’analyse de situations de travail. À la demande de la Carsat, la direction de l’entreprise a rédigé une lettre d’engagement afin d’afficher clairement ses intentions, les moyens attribués, soulignant l’absence de sanctions par rapport aux remontées de terrain et assurant l’anonymat des témoignages.

Une méthode qui s’affine

Au terme de ces trois journées a eu lieu la phase d’intersession dans l’entreprise. Rendez-vous était pris pour fin mars 2022 avec la caisse régionale afin de présenter les premiers résultats des actions mises en œuvre. Le trinôme formé a commencé par recueillir des données factuelles (signaux forts et faibles, arrêts maladie, absences, accidentologie…) pour identifier les besoins, en remontant sur deux ou trois ans. Cela a constitué un important travail de collecte, de dépouillement et d’analyse. Deux pôles se sont portés volontaires pour participer à la démarche. Le premier à avoir fait l’objet de la formation-action a été la DICT (détection, investigations complémentaires et topographie), dont les équipes sur le terrain se déplacent fréquemment et utilisent des équipements lourds. 42 % des salariés du pôle étaient volontaires pour participer, soit 8 personnes.

Les interviews ont été menées en binôme, par la responsable QSE et la représentante du CSE, à partir d’un questionnaire adapté aux spécificités de l’entreprise. « La difficulté a été qu’on était sur l’évaluation d’un pôle, et non d’un métier, souligne Sophie Micault-Beaumont. Car tous les métiers du pôle n’étaient pas représentés lors des interviews. » Au fil des entretiens, la méthode s’est affinée : respect du cadre de l’entretien, en se concentrant sur des faits et non des jugements de valeur, et de la durée définie. Une fois toutes les interviews réalisées, un important travail de dépouillement et d’analyse a été nécessaire.

UNE JEUNE ENTREPRISE QUI A VITE GRANDI

Atlantique Ingénierie Réseaux a été créée en 2008 par deux anciens salariés de France Telecom. Si son siège est basé à Surgères, l’entreprise intervient sur toute la façade atlantique et compte à ce jour dix établissements secondaires. L’entreprise a connu une croissance rapide. À l’origine orientée vers les télécoms, elle s’est progressivement diversifiée dans d’autres domaines liés aux réseaux. Elle réalise ainsi des études techniques en ingénierie réseaux (télécommunications, électricité et gaz), des prestations en détection et géo-référencement des réseaux, topographie, scanner 3D, bathymétrie, et propose de l’assistance à maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Comptant 108 salariés actuellement, la moyenne d’âge de l’effectif est relativement jeune, autour de 35 ans.

Cela a abouti à l’identification des problèmes collectifs et à leur regroupement suivant les six catégories de facteurs de Gollac. « La Carsat a eu un rôle de garde-fou tout au long de l’intersession, observe Sophie Micault-Beaumont. Elle recadrait la démarche quand c’était nécessaire, nous remotivait si besoin. » L’intensité du travail est ainsi apparue comme un sujet à traiter, avec notamment la question des horaires variables, ou la conciliation vie professionnelle-vie personnelle, ou encore les éventuelles modifications des plannings en fonction des urgences, qui entraînent une interruption de tâche.

De la restitution à l’adhésion

Les exigences émotionnelles sont également ressorties. Autre préoccupation ayant émergé : le suivi du matériel, qui n’était plus abordé et créait des difficultés dans les équipes. Parmi les premières actions réalisées, ce sujet a été remis à l’ordre du jour des réunions d’équipe. Les questions de droit à la déconnexion sont également apparues. Cela a fait l’objet d’une newsletter de rappels de la part du service des ressources humaines avant les départs en congés estivaux.

Les résultats obtenus ont été présentés au manager du pôle, qui n’avait pas participé aux interviews, puis à la direction, « en veillant à rester factuel, sans être dans le jugement, afin de ne vexer personne dans la hiérarchie », souligne Carine Geay. La restitution auprès des équipes s’est ensuite déroulée sous forme d’un petit déjeuner. Cette rencontre a réuni les personnes interviewées et celles qui n’avaient pas participé. Faire valider les résultats par tous a créé une adhésion collective à la démarche. Elle a favorisé les échanges sur les pratiques entre personnes qui ne se rencontrent pas habituellement. « Nous avons d’ailleurs décidé d’organiser une journée de rencontres ainsi une fois par an », commente Carine Geay.

Dans la lignée de ces premières actions, d’autres sont planifiées dans les prochains mois. Puis la même démarche sera déployée auprès d’un autre pôle. Car une action d’une telle ampleur suscite des attentes chez les autres équipes. « Et ça pose désormais la question : comment inclure tout cela dans le document unique ? », conclut Sophie Micault-Beaumont. La démarche de prévention initiée par AIR ouvre ainsi un champ d’actions multiple.

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