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Nabila Boulhram : « La santé au travail est un sujet de dialogue social »

Nabila Boulhram est responsable prévention, santé, sécurité au travail du groupe de grande distribution Cora. Elle présente comment cette enseigne met en œuvre sa politique de santé et sécurité au travail, en premier lieu en matière de prévention des risques de troubles musculosquelettiques, cause principale de maladies professionnelles reconnues.

5 minutes de lecture
Céline Ravallec, Lucien Fauvernier - 25/11/2022
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Nabila Boulhram, responsable prévention, santé, sécurité au travail du groupe Cora.

Travail & Sécurité. Les métiers de la grande distribution sont fortement exposés aux risques professionnels, en particulier aux troubles musculosquelettiques (TMS). De quelle façon un groupe comme Cora s’empare-t-il de ces sujets ?

Nabila Boulhram. Lorsque j’ai intégré Cora en 2015, il s’agissait d’une création de poste, ce qui traduisait que la santé au travail était pour la direction un enjeu affiché. Je souhaitais travailler sur une politique de prévention alliant santé et performance de l’entreprise. L’avantage chez Cora, qui compte 18 000 salariés pour 61 hypermarchés, c’est qu’il y a une culture d’entreprise très forte, de bienveillance et de valeurs partagées. Il n’a pas été difficile de convaincre les équipes de l’intérêt d’aller sur le terrain de la santé au travail, et d’intégrer ce sujet à tous les niveaux pour avancer ensemble.

Comment êtes-vous organisés en interne ?

N. B. Au niveau national, notre pôle prévention, qui compte trois personnes, possède l’expertise en santé au travail. Et nous avons des relais locaux, des personnes sur site qui sont responsables de la santé au travail de leurs équipes. L’objectif du pôle est d’être là en tant que support, en accompagnement, et que la politique en santé-sécurité soit coconstruite avec les magasins. L’idée est de proposer des solutions « prêtes à l’emploi », mais en gardant à l’esprit qu’elles doivent pouvoir s’adapter au niveau des sites afin que ces derniers puissent avancer en autonomie. À nous de comprendre les enjeux, d’adapter les réponses aux besoins. Notre rôle consiste à rendre les sujets de santé au travail les plus simples et les plus accessibles possibles, pour que les équipes sur le terrain s’en saisissent. Les relais locaux, volontaires et déjà sensibilisés à ces sujets, sont missionnés sur des actions précises, sur lesquelles ils sont formés spécifiquement.

Vous êtes arrivée au moment où était lancé le programme national TMS Pros, dans lequel était justement ciblé Cora. Comment ça s’est mis en place ?

N. B. J’ai profité de ce programme, qui pouvait être perçu comme une contrainte, pour rappeler aux magasins que c’était une thématique prioritaire chez nous et qu’il fallait donc s’en saisir comme d’une opportunité pour faire changer les choses concrètement. Tout le monde avait déjà conscience du coût financier de l’absentéisme, qui se répercutait sur l’organisation quotidienne des magasins, ou du risque d’avoir du personnel avec des restrictions d’aptitude, ou un fort turnover, etc. Nous avons ainsi une personne ressource TMS Pros dans chaque magasin ciblé, pour analyser les risques, identifier des solutions, et au moins un référent TMS, dont le rôle est d’accompagner les équipes dans la mise en œuvre des solutions. Les directeurs de magasin ont été formés ensemble, par la Carsat Nord-Est, pour leur permettre d’échanger entre pairs sur des sujets communs, et pour leur montrer l’engagement de la direction. Idem pour les personnes ressources. Ça représente au total une cinquantaine de personnes formées.

Quelles actions concrètes ont été menées dans le cadre de ce programme ?

N. B. Un premier projet, lancé en 2017, a porté sur les postes de caisses. Des études des positions de travail, avec capteurs, nous ont aidés à cibler les besoins. Nous avons ainsi lancé un appel d’offres auprès de fabricants pour développer un siège permettant de se tenir assis et assis-debout, qui est d’ailleurs une préconisation de l’INRS. En parallèle, nous avons développé nos propres e-learnings pour accompagner le changement et aider à retenir les bonnes pratiques : résultats d’études, intérêt d’alterner les positions, réglages basiques à adopter (siège, écran) ou encore gestes à pratiquer (glisser les articles plutôt que les soulever). Cinq ans après, des ajustements sur le siège sont en train d’être menés avec le prestataire dans une logique d’amélioration continue. Nous avons également déployé plus récemment des équipements complémentaires pour aider à l’alimentation des linéaires comme une table de mise en rayon qui permet à l’opérateur de saisir les biens à deux mains et de conserver une bonne posture.

Y a-t-il eu des changements organisationnels ?

N. B. En 2019, un accord d’entreprise a été signé, qui porte notamment sur la mise en place d’un système de polyactivité et de polycompétence selon le rayon concerné. Dans ce cadre, nous avons mené un travail sur la mise en rayon justement. Historiquement, un salarié était rattaché à un rayon et à une catégorie de produits. Au fil du temps, à l’image du café, vendu en paquets il y a 20 ans et aujourd’hui en dosettes, ou des rayons bio dont l’activité a explosé, les produits changent, donc les charges de travail évoluent selon les rayons. Il a été décidé de permettre plus de polyactivité. Aujourd’hui, les personnes commencent toujours par leur catégorie de produits préférentielle, et selon la charge de travail du moment, elles iront dans d’autres rayons. Aux caisses aussi, la polyactivité est programmée : elle porte sur des créneaux définis au préalable, au maximum 7 h par semaine. Les personnes peuvent venir en renfort au service saisonnier-vêtements ou au drive, par exemple.

Tous les magasins ont-ils adopté ces changements ?

N. B. Concernant les équipements, nous menons des tests en amont dans certains magasins et, si c’est concluant, nous déployons ensuite la solution sur l’ensemble du réseau. Nous avons constaté que les magasins qui ne participaient pas aux tests avaient souvent plus de mal à adopter les équipements. C’est pourquoi nous avons mis sur pied une formation en interne, sorte d’hybride Prap, qui permet aux personnes formées d’observer et d’analyser les situations de travail, et d’informer les salariés sur les TMS, pour faciliter leur familiarisation à de nouveaux outils.

Les partenaires sociaux sont-ils associés à toutes vos réflexions ?

N. B. Oui, le sujet de la santé au travail est un sujet de dialogue social. La CSSCT centrale a d’ailleurs fait l’objet d’une nouvelle organisation depuis 2020. La crise sanitaire nous a montré que l’on pouvait manquer de réactivité avec les partenaires sociaux. Ça demandait beaucoup de temps pour réunir tout le monde. Il a été proposé de fonctionner par groupes thématiques. Plusieurs ont été définis : TMS, RPS/QVT, handicap, accidents du travail et risques sanitaires, nouveaux modes d’organisation du travail et développement durable. Il y au maximum quatre personnes par groupe. Avant cette mise en place, c’était plus compliqué. Mais cette organisation s’avère d’une efficacité redoutable.

Et quels sont les sujets à venir ?

N. B. Nous nous lançons dans un programme de recherche sur trois ans sur les exosquelettes, avec une doctorante en ergonomie et psychologie. Il n’y en a encore jamais eu sur le sujet dans la grande distribution. Nous souhaitons nous donner les moyens d’investiguer, de voir quels postes s’y prêtent, si cette solution peut être la bonne, si elle ne crée pas de nouveaux risques, et évaluer la notion d’acceptabilité. Au terme des trois ans, nous ferons le point et jugerons si nous en avons besoin ou pas. Nous prévoyons également de tester des dispositifs de réalité virtuelle. Nous essayons d’être à l’écoute de tout ce qui est novateur. En parallèle, le développement des drive a également transformé le métier. Chaque magasin a un drive associé. Nous avons encore peu de recul sur cette activité, sur les contraintes liées aux postes, mais nous sommes vigilants. Les livraisons à domicile, qui commencent à être intégrées en interne, posent également de nouvelles questions, sur le risque routier notamment.

REPÈRES

  • 2010. Diplôme d’ergonome et psychologue du travail
  • Jusqu’en 2014. IPRP en service de santé au travail interentreprise
  • 2015. Intègre Cora en tant que chargée de prévention
  • 2018. Responsable prévention, santé et sécurité au travail
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