« Au moment de l’accident, j’ai eu le réflexe d’appuyer sur le bouton d’arrêt d’urgence. Je me souviens juste d’avoir compté mes doigts. Après, je n’ai plus regardé… » C’est avec émotion que Hugo Capdeville, manutentionnaire chez Pyrénées Canin, petite entreprise d’une douzaine de salariés basée à Laméac, à 20 kilomètres de Tarbes, revient sur le moment qui aurait pu lui coûter une main. C’était le 1er septembre 2020. Il est 16 heures dans l’atelier du fabricant de croquettes pour chiens et chats lorsque l’opérateur se blesse en utilisant l’ensacheuse, une machine qui n’est pas dotée de carter de protection et dont il peut actionner la commande alors que sa main est à l’intérieur. « J’étais fatigué, pris par les habitudes, je n’ai pas vu le danger. J’ai pourtant un bac professionnel de forestier, j’ai été tourneur fraiseur… Je connais les outils coupants », assure-t-il.
La suite, c’est l’attente – qui semble interminable – avant que les secours n’arrivent, et la douleur : « Un million sur une échelle de 1 à 10 », a-t-il décrit aux pompiers. La main a été brûlée, écrasée, fracturée. Aujourd’hui, après plus de dix mois d’arrêt de travail, quatre opérations, un nombre conséquent de séances de rééducation, il va mieux. Sa main reste un peu lourde, avec une sensibilité différente au froid, mais presque sans aucune trace visible de l’accident. Et lorsqu’il passe à proximité de l’ensacheuse, le jeune homme de 32 ans revoit encore le film. Pourtant, la machine n’est plus la même et l’environnement de travail a changé.
Des risques difficiles à appréhender
« C’est bien simple, on est parti de zéro. Quand la gendarmerie nous a demandé notre document unique d’évaluation des risques, on ne savait pas ce que c’était, admet Axel Capdeville, le responsable de production, frère de la victime. Nous nous sommes vite rendu compte à quel point nous avions une méconnaissance des risques auxquels nous étions exposés. C’est très compliqué pour une petite entreprise. Tout le monde a la tête dans le guidon, il n’y a pas de référent santé et sécurité. Personne ne nous voit et on ne sait pas toujours où chercher l’information. » Peu après l’accident, il reçoit la visite de Didier Durrieu, contrôleur de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées. « Nous avons regardé ensemble tout ce qui n’allait pas dans l’usine », témoigne ce dernier.
Rapidement, Pyrénées Canin se rapproche d’un groupe spécialisé dans le conseil aux entreprises en matière de gestion des risques professionnels afin d’élaborer son document unique d’évaluation des risques. « Nous avons listé et hiérarchisé les risques auxquels les salariés pouvaient être exposés. Aujourd’hui, ce document évolue de façon continue », indique Myriam Dupont, responsable administrative. Un autre prestataire de renom dans le domaine de la santé et la sécurité au travail est également approché pour un accompagnement sur la maîtrise des risques d’accidents liés au travail sur machines. Au programme : la vérification du parc et la remise en conformité, à commencer par l’ensacheuse à l’origine de l’accident.
sont fabriquées par l’usine chaque année.
« La question de la conformité des machines se pose dès l’achat, souligne Didier Durrieu. Pour la sécurité de chacun, il est absolument nécessaire de vérifier la conformité de toutes les machines avant leur mise en service. Les entreprises doivent savoir que si le matériel n’était pas conforme lors de l’achat, elles peuvent faire annuler la vente dans un délai d’un an suivant la livraison. » En complément, la Carsat demande la réalisation du zonage Atex, afin de définir et signaler les zones où est susceptible de se former une atmosphère explosive. En effet, la matière première nécessaire à la fabrication des aliments pour chiens et chats (maïs, blé, lin, pulpe de betterave, riz, farines de volaille ou multi-espèces…) est stockée en silos et le procédé de fabrication émet des poussières.
Une volonté d'action globale
Le zonage aboutit au classement de l’atelier en zone 22, des dépôts de poussières pouvant se former autour des lignes de production. « Nous ignorions tout du risque Atex et, immédiatement, nous avons décidé d’agir, notamment en supprimant les tapis convoyeurs. Nous les avons remplacés par des transporteurs à auge, totalement capotés, explique le responsable de production. En parallèle, une aspiration centralisée a été installée. » « Tout a changé depuis mon absence. Au niveau des silos, quand je viens charger les produits avec l’engin, je me relie à la terre. Un peu partout, dans la zone des matières premières et dans l’atelier, des conduites reliées au réseau d’aspiration centralisé permettent de se raccorder pour le nettoyage. On a moins de poussières au sol, pas de remise en suspension et ça ne glisse plus », confirme Hugo Capdeville. Une signalétique a également été mise en place.
Côté conditionnement, l’entreprise a acheté une filmeuse et un gerbeur électriques. La zone de stockage a été totalement revue, en suivant les préconisations de la Carsat et de l’INRS. Là aussi, les racks de stockage ont été contrôlés par un organisme spécialisé. Sur le quai de chargement, des barrières de protection périphérique amovibles ont été ajoutées. « Il y a eu une volonté d’action globale sur l’outil de travail, avec des investissements conséquents pour une entreprise de cette taille. Pour certains d’entre eux, un financement partiel a été obtenu dans le cadre de subventions TPE », souligne Didier Durrieu. Le coût des travaux et des remises en sécurité s’est élevé à plus de 300 000 euros sur deux ans.
L’entreprise a profité d’une période de croissance assez inattendue. Malgré le contexte de crise sanitaire, elle a bien vendu : la veille du second confinement, le magasin a écoulé 86 tonnes de croquettes en un jour, contre 6 habituellement. Pour faire monter le personnel en compétence, deux salariés ont été formés à l’habilitation électrique, trois au sauvetage secourisme du travail et à la sécurité incendie. « Je suis secouriste, mais j’aime autant ne pas avoir à utiliser ce savoir, précise Myriam Dupont. Personne ici n’oubliera le jour de l’accident. Nous avons certes acquis des connaissances, mais je crois surtout que les efforts qui ont été placés sur l’amélioration des conditions de travail nous ont permis d’être rassurés. »
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : Pyrénées Canin
Activité : fabrication de croquettes pour chiens et chats, à base de viande achetée localement, de céréales garanties sans OGM et de graisse de canard exclusivement. 90 % de vente directe (magasins d’usine, dépositaires), 10 % via des revendeurs
Lieu : Laméac (Hautes-Pyrénées)
Effectif : 12 salariés