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Leslie Dufour : « Le temps passé en prévention est du temps gagnant »

Leslie Dufour est responsable des ressources humaines de deux sites de production de Plastivaloire. Il y a quelques années, elle s’est attelée, avec la Carsat Rhône-Alpes, à un vaste projet de réorganisation de tout un site pour réduire les risques professionnels, en y associant les salariés. Les résultats sont là.

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17/01/2023
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Leslie Dufour, responsable des ressources humaines de deux sites de production de Plastivaloire.

Travail & Sécurité. Quelle est l’activité des deux sites isérois de Plastivaloire au sein desquels vous êtes responsable des ressources humaines ?

Leslie Dufour. Le groupe Plastivaloire est spécialisé dans la plasturgie. Sur le site de Saint-Marcellin, nous travaillons pour les équipementiers automobiles. Nous y produisons 75 000 pièces/jour, essentiellement des poignées de portières. Avec plus de 200 personnes, nous avons une production cadencée, en 3 x 8. Le site de Crémieu, qui comprend une cinquantaine de personnes, est spécialisé dans le matériel pour le médical, la téléphonie…

Pourquoi vous êtes-vous lancés dans une démarche d’amélioration des conditions de travail à Saint-Marcellin ?

L. D. Dans le secteur automobile, la pression est importante. Les commandes de nos clients sont réalisées à J-2, nous sommes en flux tendu et dans l’obligation d’avoir des stocks de sécurité sur nos pièces pour alimenter en temps et en heure les constructeurs. Ces conditions entraînaient des troubles musculosquelettiques (TMS) liés notamment aux gestes répétitifs. En 2012, l’absentéisme atteignait près de 10 % des effectifs et on pouvait être amenés à gérer jusqu’à 40 restrictions médicales. Nous avons ensuite été ciblés par la Carsat dans le cadre du programme TMS Pros. Ça n’a pas été très agréable, mais j’ai transformé cette contrainte en une opportunité pour changer des choses. À partir de là, la Carsat est devenue un partenaire sur toutes les questions de santé au travail.

Quelles actions ont été mises en place ?

L. D. Nous avons effectué, avec la contrôleuse de sécurité de la Carsat Rhône-Alpes, des visites d’ateliers afin d’identifier la personne pouvant relayer la démarche en interne, et notre choix s’est porté sur la technicienne amélioration continue. C’est elle qui était en charge de l’aménagement des postes, c’était donc assez logique. En 2014, elle a été formée à l’analyse des situations de travail. Le principe était de ne pas se limiter aux aspects biomécaniques mais de prendre en compte toutes les composantes de l’activité, c’est-à-dire le poste, l’environnement de travail, ainsi que la perception du salarié…

Quelles décisions ont été prises ?

L. D. À l’issue des analyses, en 2014, nous avons envisagé de faire monter en compétences tous les collaborateurs sur l’ensemble des ateliers (assemblage, injection et peinture). L’objectif était de leur permettre de changer plusieurs fois de postes dans la journée, à raison d’une rotation toutes les 2 heures 30, dans le but de leur éviter de passer 8 heures par jour à effectuer les mêmes activités et les mêmes gestes. Ce n’est pas une décision que nous avons imposée : après avoir fait le tour des ateliers avec le Codir afin qu’il comprenne notre proposition, nous avons expliqué aux opérateurs cette nouvelle organisation. On a fait des allers-retours avec eux, des essais, des tests en leur disant qu’il était toujours possible de revenir à la situation de départ. Les opérateurs en ont rapidement vu le bénéfice. En matière de gestuelle, d’abord, puisqu’ils sont désormais amenés à occuper des postes très différents. Cela améliore également l’intérêt du travail, lui donne du sens : la journée est moins monotone, elle passe plus vite, ils voient d’autres choses et d’autres collègues. Ce travail a été aussi l’occasion de réfléchir à l’amélioration de l’ergonomie des postes de travail.

Y a-t-il eu des réticences ?

L. D. Oui, certains redoutaient de ne pas réussir à acquérir de nouvelles compétences, en particulier dans les secteurs qu’ils ne connaissaient pas. Mais ils ont été formés et accompagnés sur le terrain. En échangeant avec eux, nous avons identifié les postes sur lesquels les contraintes sont les plus importantes – comme la chaîne qui est assez physique car le travail est cadencé, ou bien des postes à l’injection qui impliquent beaucoup de piétinement et de déplacements –, alors que d’autres, comme le contrôle visuel, peuvent être considérés comme plus confortables. Toutes ces considérations nous ont permis d’affiner au mieux l’alternance des tâches. Un opérateur ne fait par exemple pas plus d’une rotation sur la chaîne dans une journée.

Cela a nécessité beaucoup de formations ?

L. D. Oui, notamment pour les opérateurs – qui sont amenés à travailler sur trois à cinq postes différents –, mais aussi pour les managers. Il a fallu faire tout un travail pour accompagner ces derniers et qu’ils comprennent que, au-delà de la production de pièces, le ressenti des opérateurs faisait aussi partie de leurs missions. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que la mise en place des rotations et l’augmentation de la polyvalence des opérateurs avaient reporté beaucoup de charge sur les managers de proximité. Pour les accompagner, j’avais mis en place une réunion hebdomadaire pour parler de santé au travail. Au fil du temps, nous avons moins parlé d’absentéisme et de restriction, et davantage de l’évolution de leur travail. Cela m’a permis de les aider à prendre conscience de l’importance des rotations dans la gestion de leur personnel et de leur management. Il faut savoir que les plannings des rotations nécessitent chaque jour de planifier au moins trois créneaux horaires par personne, sachant que certaines équipes dépassent les 30 personnes… et tout ceci en fonction de la compétence de chacun.

On n’est pas loin du casse-tête, comment se sont-ils organisés ?

L. D. Il n’y a pas de mystère, ils doivent bien connaître leurs équipes et le travail réel. Pour que cela fonctionne, nous avons séparé le management de la technique. Avant, le responsable de production gérait les régleurs, les conducteurs de ligne mais aussi les opérateurs. J’ai convaincu la direction que c’était un peu compliqué, qu’il nous fallait des managers dont le métier était de manager et d’autres plutôt spécialisés dans la technique. Pour cela il y a eu des recrutements internes et externes.

Combien a coûté cette réorganisation ?

L. D. On a tout fait en interne, avec l’aide de la Carsat. Une fois que la direction a été convaincue, elle a accepté la constitution de groupes de travail et la participation des opérateurs, pour qu’ils échangent, s’expriment… C’est autant de temps pendant lequel ils ne fabriquent pas de pièces. Mais quand ils retournent en production, ils sont plus efficaces, car ils se sont approprié la démarche, et l’entreprise n’est pas perdante.

Quelles sont les clés de la réussite et comment pérenniser la démarche ?

L. D. Cela n’a été possible que parce que le directeur du site, les collaborateurs, et l’ensemble des salariés y ont cru, et que tout le monde a été associé d’une façon ou d’une autre. De plus, dans chaque groupe de travail, un membre du CSE était invité. Nous sommes 200, c’est beaucoup mais ça reste à taille humaine. Le directeur du site et moi-même sommes présents tous les jours dans l’atelier. S’il y a un problème, s’il y a des postes à améliorer, les salariés s’autorisent à en parler. Globalement, nous avons mis en place un système de communication fluide, avec des fiches de remarques que le salarié peut remplir à tout moment s’il y a un souci sur un poste, et auxquelles le manager est tenu de répondre. Cela permet non seulement de prévenir les TMS mais aussi d’autres risques comme les risques psychosociaux. Les chiffres sont parlants : en 2021-2022, le taux d’absentéisme est tombé à 5,26 %, sachant qu’il y a eu des absents à cause de la Covid. Côté restrictions, on constate aujourd’hui qu’elles ne touchent plus qu’une vingtaine de personnes que nous maintenons au travail plus facilement. Lorsqu’un salarié arrive le matin avec une douleur ou une fatigue et qu’il le mentionne au superviseur, le système actuel permet à ce dernier d’adapter les rotations. Nous gardons tous en tête que l’objectif de cette démarche est de conserver nos emplois avec une qualité de vie au travail correcte, dans un secteur particulièrement concurrentiel. 

REPÈRES

  • 1998. Diplômée en psychologie du travail
  • 1999-2001. Chargée de recrutement pour une agence d’intérim
  • 2001. Entre à Unidecor, qui deviendra en 2011 Plastivaloire, en tant que gestionnaire du personnel
  • 2004. Responsable des ressources humaines du site de Saint-Marcellin
  • Depuis 2019. Responsable RH multisite (Saint-Marcellin et Crémieu) en charge de la qualité de vie au travail
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