Les bacs rouges, utilisés par un grand nombre de salariés et sur tous les sites, constituent un formidable objet de réflexion pour améliorer les flux et la santé au travail. - © Guillaume J. Plisson pour l'INRS/2022
Sept heures, un vendredi de décembre, 0 °C. Sous la pluie, le parking de Chez André, à Rillieux-la-Pape, dans le Rhône, est le théâtre d’un incessant ballet de camions. Timothée Ballagh, réceptionnaire, dispatche les palettes et les bacs qui défilent. « Avant, ça n’était pas du tout aussi fluide, explique-t-il. Les quais n’étaient pas aussi larges, ils ne bénéficiaient pas d’une table élévatrice, d’une porte automatique, le sol n’avait pas été refait... Je devais aider certains livreurs et me pencher pour attraper leurs colis. La zone dédiée aux déchets était aussi particulièrement mal positionnée… »
Avant, c’était... en 2016. Le groupe 1 comptait alors 240 personnes – contre 282 aujourd’hui – et avait enregistré 44 accidents du travail. « Nos chiffres de sinistralité n’étaient pas bons, reconnaît la directrice des ressources humaines, Christine Friaud. On enregistrait pour le groupe un taux de fréquence de 107,1 et un taux de gravité de 3 2. Consciente de la situation, la direction a lancé un projet d’envergure. » En 2018, elle fait appel à un cabinet pour se faire aider, et recrute deux personnes à la prévention des risques professionnels – l’une pour le magasin, l’autre pour l’atelier – et lance un ambitieux projet « Santé et Sécurité au travail ».
Rapidement, des actions sont mises en place, comme un audit des magasins et de l’atelier qui fournit les laboratoires. Encadrants, membres du CSE et managers de proximité sont également formés à l’analyse et à la prévention des risques professionnels. Un comité de pilotage (Copil) santé sécurité 3 voit également le jour au niveau du groupe. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) est modifié substantiellement, et revu constamment : « Il existait déjà, mais la méthodologie pour le tenir à jour a été entièrement retravaillée : on a passé en revue toutes les situations à risque pour trouver des solutions organisationnelles, techniques ou humaines », souligne Laurène Chazel, la responsable QHSE (qualité, hygiène, sécurité, environnement) et technique 4.
En 2019, deux sites, celui de Rillieux-la-Pape (magasin de 2 000 m2) et celui de Sodely (atelier de découpe et de préparation des produits du groupe) sont ciblés par le programme TMS Pros du réseau Assurance maladie-risques professionnels. « Ça tombait plutôt bien, poursuit la DRH. On avait le sentiment d’avoir initié des actions, mais aussi que la Carsat allait pouvoir nous aider à aller plus loin. On l’a pris comme une opportunité. » Ce qui n’est pas toujours le cas… « L’entreprise avait de fortes ambitions en prévention des risques professionnels. Ça a facilité le travail », complète Marjorie Poupet-Renaud, contrôleuse de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes qui a pu les accompagner avec un contrat de prévention.
Un rituel sécurité
D’autres actions voient ainsi le jour : les accidents et presqu’accidents du travail font désormais systématiquement l’objet d’une analyse par le responsable hiérarchique et la victime, de façon à trouver des actions correctives. « On communique largement là-dessus, souligne Christine Friaud. Ça n’est plus un sujet tabou. » « C’est important de le faire pour créer du lien entre les différents acteurs sur ce sujet et le maintenir », remarque la contrôleuse de sécurité. L’entreprise a également instauré des rituels sécurité organisés une fois par mois par les responsables de sites. Le thème est défini par la QSE (qualité, sécurité, environnement) et la DRH, en s’appuyant sur l’actualité du moment.
À la plonge du laboratoire de Rilleux-la-Pape, la marche en avant a été instaurée et un lave-batterie a été acheté.
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© Guillaume J. Plisson pour l'INRS/2022
« Pour ma part, explique Kévin Reinhard, directeur du magasin de Rillieux-la-Pape et membre suppléant du CSE, je ne les fais pas dans le magasin ou le labo, mais dans une salle pour montrer l’importance de ce rituel qui dure une vingtaine de minutes. On essaie de partir de cas concrets, de façon à libérer la parole. Une fois, par exemple, un salarié a chuté à cause d’une bonde qui avait été mal remise. La scène a été filmée par une caméra de surveillance. Avec l’autorisation du salarié, nous avons diffusé cette vidéo lors de cette réunion. » Et ça a fait son petit effet, et permis de lancer la discussion.
Pour la démarche TMS Pros, les analyses de situations de travail ont été menées sur les flux de commandes préparées entre l’atelier de production et la mise en rayon dans les magasins. « Des bacs rouges de stockage sont utilisés sur tous les sites en remplacement des cartons, explique Laurène Chazel. C’était une belle opportunité pour associer tout le monde et mener une réflexion globale sur les flux logistiques. » Car ces fameux bacs rouges – il y en a des grands et des petits – servent tout au long de la chaîne, pour la viande, la charcuterie et le rayon traiteur.
Dans l’atelier de Sodely, 1 500 bacs sont manipulés par trois personnes, chaque jour. Et chacun pèse de 13 à 20 kg. « On a fait des “vis-ma-vie” entre l’atelier et les magasins, et chacun a pu se rendre compte des contraintes de l’autre, tout au long de la chaîne. On s’est aperçu que la solution qui semblait évidente pour le personnel de la mise en rayon générait trop de contraintes à l’atelier. D’ailleurs, des réflexions sont toujours en cours sur le sujet », relate la responsable QHSE et technique. Pour la mise en rayon, des tests sont en cours avec de nouveaux chariots, à niveau constant et équipés de fourches à taquet notamment. Des prototypes sont actuellement à l’étude et vont être testés sur site prochainement.
Faciliter le lavage
Les bacs rouges, une fois vidés, reviennent désormais triés selon leur taille dans l’atelier, pour y être lavés, ce qui facilite le travail de la personne en charge de cette activité. D’autres améliorations ont vu le jour sur le secteur de la plonge… Pour le lavage des ustensiles du laboratoire du magasin de Rillieux, la marche en avant a été instaurée ; les bouchers peuvent désormais accrocher leurs cottes de maille pour les nettoyer (et non plus manipuler ces lourdes protections dans un bac) ; le lavage des plateaux et autres ustensiles bénéficient d’un imposant lave-batterie, ce qui libère du temps à la personne qui était en charge de la plonge. Quant aux bouchers, ils ont bénéficié de formations au pouvoir de coupe et disposent désormais de nouveaux aiguiseurs et de porte-couteaux à leur poste de travail.
300 000 €
vont être investis en santé et sécurité dans les deux prochaines années.
« On avance mieux, résume la DRH, en impliquant tout le monde. » « On est malgré tout obligés de prioriser les actions, reprend Laurène Chazel. Pour les deux prochaines années, j’ai présenté une série de projets d’investissement à ma direction. Elle a donné son accord pour 300 000 €, ce qui est énorme pour une PME familiale comme la nôtre. Les arguments avancés sur les bénéfices en matière de santé et sécurité au travail, mais aussi les gains en matière de performance, ont été entendus. »
En 2022, il y a eu moins de 15 accidents du travail, alors que l’effectif a progressé, et le taux de fréquence a chuté pour atteindre 30,42. Le taux de gravité, quant à lui, est passé à 0,4 pour le groupe. « C’est important pour une DRH de pouvoir afficher de tels résultats, notamment pour ma communication dans le cadre des recrutements », remarque en souriant Christine Friaud.
FICHE D'IDENTITE
Nom : Chez André
Activité : commerce de détail spécialiste de la boucherie, charcuterie, traiteur mais aussi crémerie, épicerie, primeur, boissons et cave à vins
Lieux : siège à Rillieux- la-Pape (Rhône), huit magasins autour de Lyon et un atelier de fabrication (Sodely) à Brignais dans le Rhône + un élevage haute valeur environnementale dans la Loire
Effectif (groupe) : 282 personnes (représentant plus de 45 métiers différents)
Chiffre d’affaires : 52 millions d’euros par an
