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Détecteurs de gaz à bas coût

Une économie qui peut coûter cher

Les détecteurs individuels de sécurité sont indispensables pour les travailleurs exposés à des gaz toxiques ou explosifs, notamment en milieux clos ou confinés. Depuis peu, des dispositifs dont les prix défient toute concurrence sont disponibles en ligne. Une étude menée par des chercheurs de l’INRS alerte sur les conditions d'utilisation de ces appareils pour assurer la sécurité des opérateurs.

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Damien Larroque - 21/02/2023
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Les points négatifs des détecteurs à bas coût

Lorsque des travailleurs sont amenés à évoluer dans des espaces clos, confinés, ou dans lesquels la qualité de l’air peut représenter une menace immédiate pour leur santé, l’utilisation de détecteurs d’atmosphère dangereuse en temps réel s’impose. Lorsque la concentration de polluants dans l’air dépasse certains seuils, une alarme sonore se déclenche. Pour faire le bon choix parmi les différents types d’appareils existants (fixes ou portatifs, dédiés à tel ou tel polluant, à cellules de détection simple ou multiple…) et pour les mettre en œuvre de manière efficace (positionnement des dispositifs, définition des seuils d’alerte…), il est primordial de s’appuyer sur une évaluation des risques en bonne et due forme.

Lorsque les risques identifiés sont des classiques du genre, les détecteurs individuels de sécurité « quatre gaz » sont souvent privilégiés par les entreprises. Capables de mesurer à la fois le taux d’oxygène dans l’air ainsi que la concentration atmosphérique de gaz inflammables et des deux gaz toxiques les plus courants que sont le monoxyde de carbone (CO) et le sulfure d’hydrogène (H2S), ils sont adaptés à bon nombre de métiers et de situations différentes. En outre, standardisés et produits en grande quantité, ils sont proposés à un prix oscillant entre 500 et 600 euros, plus attractif que celui d’un détecteur à un seul capteur qui peut atteindre plusieurs milliers d’euros en fonction du gaz qu’il est destiné à mesurer.

« Tout salarié amené à utiliser ce type de dispositif doit être formé à son utilisation. En 2020, à l’occasion de sessions de recyclage au certificat d’aptitude à travailler en espaces confinés, des formateurs nous ont informés avoir accueilli des stagiaires équipés de détecteurs “quatre gaz” que nous ne connaissions pas, se remémore Bruno Galland, responsable d’étude à l’INRS. Achetés en ligne pour moins de 100 euros et livrés en sept jours, contre plusieurs semaines pour les modèles de fabricants européens, ces nouveaux appareils “made in China” ont des atouts pour séduire les professionnels, notamment ceux des plus petites entreprises. »

Anonymes et peu explicites 

Mais ces détecteurs individuels de sécurité à bas coût (DSBC) sont-ils sûrs et efficaces ? Afin d’y voir plus clair, le chercheur et ses collègues décident de lancer des investigations par le biais d’une étude mise en route début 2021. Ils font l’acquisition de sept modèles de DSBC parmi ceux disponibles à cette période. Premier constat qui n’inspire pas confiance, les boutiques en ligne ne précisent pas de nom de fabricant. Un anonymat qui se confirme à la réception des colis puisque 80 % des détecteurs n’affichent ni marque ni référence ou, au mieux, un seul de ces signes distinctifs.

REPÈRES

Les seuils standards de déclenchement de l'alarme d'un détecteur individuel de sécurité  quatre gaz  sont les suivants : 

  • inférieur à 19% pour l'oxygène,
  • 10% de la limite inférieure d'explosivité (LIE) pour les gaz inflammables généralement le méthane (CH4),
  • 20 parties par million (ppm) pour le monoxyde de carbone (CO),
  • 10 ppm pour le sulfure d'hydrogène (H2S).

De plus, aucune des normes nécessaires à la mise sur le marché européen n’est spécifiée. Rebelote du côté des fiches techniques qui, elles aussi, brillent par leur absence, laissant les acheteurs dans l’ignorance des éléments qui composent les appareils… Quels types de capteurs renferment les boîtiers ? Mystère à ce stade de l’enquête. Les modes d’emploi, plus ou moins détaillés (voire inexistant pour l’un des modèles), sont au mieux rédigés en chinois et en anglais. Au pire, seuls les idéogrammes de l’empire du Milieu indiquent la marche à suivre aux nouveaux acquéreurs.

« Pour un utilisateur confirmé de ce type de détecteur, ce n’est pas vraiment un problème. En cherchant un peu dans les menus, il est possible de se débrouiller. Mais pour un novice, c’est une autre paire de manches, prévient Bruno Galland. D’autant qu’à l’allumage, si plusieurs appareils affichent directement les quatre cellules de mesure, à l’image de ce qui se fait sur le matériel européen, d’autres nécessitent de naviguer avant d’y arriver. » Ajoutons que deux des DSBC ont été livrés avec un chargeur aux normes américaines…

Mais ces dispositifs bon marché ne sont pas dépourvus d’aspects positifs. Tous sont accompagnés d’une coiffe de calibrage, élément indispensable au contrôle du bon fonctionnement des capteurs. Elle permet en effet de faire le lien entre la bouteille de gaz étalon et l’appareil, en évitant la dispersion des molécules. Un autre point à mettre au crédit de ces appareils a été mis en évidence lors de leur démontage : les capteurs qu’ils renferment sont soit des références européennes soit des copies de celles-ci.

En conséquence, une fois bien paramétrés, les tests métrologiques réalisés dénotent un niveau de fiabilité acceptable puisque les alarmes se déclenchent aux seuils attendus (lire l’encadré Repères). « Mais au contraire des détecteurs plus onéreux, les DSBC ne sont pas livrés correctement calibrés. Il y a notamment un grand décalage sur les explosimètres, souligne Bruno Galland. Le risque de fixer un seuil d’alarme erroné, qui peut aboutir à des déclenchements intempestifs s’il est trop bas ou à un drame s’il est trop haut, est loin d’être négligeable. »

Des éléments difficilement remplaçables

Les DSBC pèchent aussi par des possibilités de maintenance et de réparation limitées. En effet, les capteurs doivent être testés très régulièrement avec un gaz étalon – sans se contenter des tests lancés automatiquement à chaque démarrage – pour s’assurer que le temps, d’éventuels chocs ou immersions, par exemple, n’entraînent pas de dérive. Si l’entreprise n’est pas en mesure d’effectuer ces vérifications en interne, elle doit se tourner vers le fabricant ou le distributeur. Or, dans le cas des DSBC, le premier est inconnu tandis que le second est inexistant puisque l’achat est réalisé via une plate-forme commerciale chinoise.

Si les capteurs évoqués plus haut peuvent être remplacés, les explosimètres sont pour leur part soudés à la carte mère, ce qui empêche de les changer. Il en va de même pour les batteries au lithium dont le voltage et l’ampérage ne sont pas précisés et qui ne peuvent pas être renouvelées sans prendre le risque de voir l’appareil dysfonctionner ou pire, être à l’origine de l’explosion qu’il est censé prévenir.

« De ce fait, les DSBC sont du matériel jetable, ce qui remet en cause l’attrait que leur prix intéressant peut exercer, remarque Bruno Galland. Il est de toute manière impossible de recommander leur utilisation puisque, si certains défauts sont surmontables par un utilisateur expert, l’absence totale de norme laisse dans l’expectative quant à leur sécurité. Par exemple, l’explosimètre peut être à l’origine d’une déflagration. Ce capteur déclenche en effet localement la combustion de molécules de gaz pour réaliser ses mesures et il est indispensable que cette réaction soit parfaitement isolée et contrôlée… »

Si, dans quelques années, les fabricants chinois se plient à la réglementation européenne, leurs DSBC pourraient bien venir concurrencer leurs homologues du Vieux Continent. Mais, pour le moment, il est nécessaire pour les entreprises concernées de bien réfléchir aux modèles qu'elles acquièrent et à leur utilisation, afin de garantir la sécurité de leurs salariés.

De l'importance de l'évaluation des risques

Bruno Galland, responsable d’étude à l’INRS : « Considéré par l’industrie comme le détecteur de sécurité par excellence pour les activités en espaces clos ou confinés, le détecteur “quatre gaz” doit être utilisé en cohérence avec les résultats de l’évaluation des risques. Cela notamment dans l’objectif de s’assurer que la configuration “quatre gaz” est suffisante. Par exemple, pour des salariés du secteur de l’eau potable, ajouter un capteur de chlore gazeux, utilisé pour la désinfection, peut être approprié. L’évaluation des risques permet aussi de faire coïncider le niveau des seuils d’alarme et le choix du gaz de référence des explosimètres à la réalité des polluants de l’environnement de travail. Précisons également que les appareils doivent être à la fois fiables et robustes pour être utilisables dans toutes les situations industrielles, et de dimensions réduites afin d’être portés sans gêne par un opérateur, et avoir une autonomie supérieure à la durée d’un poste de travail, soit huit heures a minima. »

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