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Travailleurs handicapés

Une stratégie de petits pas pour des résultats sur la durée

La Fondation Pluriel regroupe sept Esat dans le Doubs, au sein desquels des adultes en situation de handicap mental ou psychique travaillent, encadrés par des moniteurs. Faire passer des messages, ou utiliser des équipements, ou encore s’organiser dans le but d’améliorer les conditions de travail de ces travailleurs demande du temps. Beaucoup de temps.

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Delphine Vaudoux - 13/06/2023
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Des travailleurs en situation de handicap à la cuisine centrale.

La Fondation Pluriel – en 2022, l’Adapei du Doubs s’est transformée en fondation reconnue d’utilité publique, en créant la Fondation Plurielaccompagne 3 600 personnes en situation de handicap, de dépendance, et de fragilité sociale dans le Doubs. À travers ses sept Esat (établissement et service d’aide par le travail), 1 500 adultes ont accès à l’emploi, encadrés par 600 professionnels. Pour le secteur du Grand Besançon, c’est Thibaud Del’Hozanne qui dirige le pôle travail et insertion professionnelle. À ses côtés, Charlotte Martin, est responsable QHSE (qualité, hygiène, santé, environnement) depuis 2001.

Depuis plusieurs années, elle s’est lancée dans l’amélioration des conditions de travail avec l’aide d’équipes de coordination constituées spécifiquement pour chaque activité. Elles comprennent des encadrants de la production, du médicosocial et parfois de la direction. « Cela nous permet d’avoir des regards différents, souligne Charlotte Martin. On a ainsi des personnes de terrain et d’autres ayant plus de recul. Il nous arrive également de nous faire accompagner par une ergonome. »

À Besançon, l’Esat est divisé en deux structures : la sous-traitance industrielle et espaces verts avec Prolabor industrie et services, et l’activité agroalimentaire avec cuisine d’Uzel, qui, entre autres, prépare 8 000 repas par jour destinés aux crèches, scolaires, entreprises, personnes âgées… Cette cuisine centrale emploie 80 personnes en situation de handicap et 50 professionnels. En cette fin de matinée, elle ressemble à une fourmilière : ici on épluche les légumes, là on les découpe, plus loin on prépare des salades, ou on remplit des barquettes.

« À la légumerie, ça n’est pas encore parfait, il y a encore beaucoup de tâches manuelles », prévient Charlotte Martin. « On prépare un peu plus d’une tonne de fruits et légumes par jour », remarque Laurent Pewzner, responsable de la restauration collective. Afin de limiter le port de charge pouvant être à l’origine de TMS, Charlotte Martin se lance dans des études de postes.

Celui de l’épluchage est tout désigné. Trois parmentières permettent d’éplucher mécaniquement carottes et pommes de terre essentiellement. Pour les alimenter, deux personnes manipulent 50 à 120 caisses de légumes par jour. « Étant donné qu’il y a un déni de la douleur, on a suscité la discussion en face-à-face », remarque la responsable QHSE, en présentant les fiches qu’elle a remplies, illustrées de dessins pour identifier les zones douloureuses. S’en est suivie la constitution d’un groupe de travail associant monitrice, QHSE et encadrement.

Étude de poste et groupe de travail

Des problèmes de manutentions, d’organisation émergent, liés à la pression, à l’activité elle-même ou à la maintenance… Des solutions organisationnelles sont avancées : désormais, une monitrice ne sera plus laissée seule lorsqu’elle doit gérer l’activité sur deux bâtiments ou encore lorsque les fruits sont prévus pour le lendemain ou le surlendemain, ils seront préparés seulement l’après-midi, et non le matin, un moment où l’activité est déjà très intense. De plus, la signature de contrats de maintenance préventive réduit aujourd’hui les pannes. Des équipements ont également été acquis pour réduire les manutentions, comme une table élévatrice, un chariot à hauteur constante ou encore un élévateur à ciseaux...

Un utilisateur et un salarié de la Fondation Pluriel.

« Reste que certains sont difficiles à faire accepter », pointe Alexandra Dumetier, une monitrice. On touche là le problème du public des travailleurs en situation de handicap : faire en sorte qu’ils s’approprient et utilisent – correctement – le matériel. « L’Esat avance en matière d’amélioration des conditions de travail. Mais avec ces personnes ayant un handicap mental ou psychique, remarque Aude Verpillat, contrôleuse de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté, les résultats sont longs à obtenir, car il faut expliquer, répéter, insister… et recommencer à expliquer. »

Sur le site industriel de l’Esat, Prolabor Industrie, coexistent quatre domaines d’activités stratégiques, ou DAS. Plus de 180 travailleurs en situation de handicap réalisent 25 millions de pièces par an, pour des clients de différents secteurs d’activité... Des petites pièces souvent assemblées à la main ou à l’aide de machines semi-automatiques. « Deux formations sont actuellement en cours pour faire progresser l’ergonomie aux postes de travail, annonce Charlotte Martin, et notamment réduire les gestes répétitifs qui ont été identifiés sur ce site. L’une est consacrée à “la construction d’une culture commune”, l’autre aborde l’activité qui va “de la conception des machines jusqu’à l’utilisation par les travailleurs”. »

25 millions de pièces par an sont réalisées par 180 travailleurs en situation de handicap au sein de Prolabor Industrie.

C’est Sylvie Caire, formatrice Prap, qui anime les groupes constitués de moniteurs, de représentants de l’équipe QHSE, de la production, de la maintenance et de la recherche et développement (R&D). « Car l’un des gros avantages de cette fondation, c’est qu’ils ont un atelier de R&D qui réalise 80 % des machines en interne, souligne Aude Verpillat. C’est intéressant de voir comment ils font pour s’approprier les questions d’ergonomie. »

Les bienfaits de la formation

Dans la première formation, des exercices et activités physiques sont expérimentés pour trouver ou restaurer une posture appropriée destinée aux travailleurs afin qu’ils se fatiguent moins et ainsi contribuer à l’amélioration des postes. À la DAS 4, où sont assemblées de petites pièces automobiles, Sylvie Caire désigne plusieurs personnes qui travaillent les jambes croisées, et mentionne aussi une autre qui travaillait assise en tailleur… « Nous partons d’observations, de l’existant et de propositions faites par le groupe de travail, décrit-elle. Pour m’adapter au public de l’Esat, j’intègre aussi dans mes formations des exercices corporels pour mieux passer des messages qui ne passent pas par le verbal ou l’écrit. »

La deuxième formation vise à faire collaborer entre eux les services afin d’assurer une cohérence dans la réalisation et l’utilisation de machines-outils par les travailleurs en situation de handicap. « Ils tournent sur les postes, explique Mathieu Dardelin, responsable d’atelier. Nous tenons compte de leurs capacités, de leur fatigabilité… c’est important d’en faire part à la R&D pour faire évoluer les machines de façon appropriée. » Mathieu Grangeot, responsable R&D, présente un poste d’insertion d’écrous totalement repensé pour faire disparaître le geste répétitif qui consistait à descendre un bras de levier pour insérer les pièces. D’abord conçu en 3D, il sera testé avant d’être mis en production.

« Cette montée en compétences de la R&D est importante, insiste Aude Verpillat. Comme il y a un parc machine important, il faut planifier son évolution. » « D’autant que l’on cherche à créer plusieurs postes un peu différents sur une même machine, pour s’adapter aux niveaux de compétences des personnes en situation de handicap », complète Mathieu Grangeot. Le travail collaboratif mené depuis plusieurs mois porte peu à peu des fruits. Les travaux réalisés ont été inscrits dans le DUERP. « Cela nous permet de les tracer, de formaliser la réduction des risques et de pérenniser les avancées », conclut Charlotte Martin.

FICHE D'IDENTITÉ

Nom : Fondation Pluriel
Activité : accompagnement au sein de sept Esat de personnes en situation de handicap, de dépendance ou de fragilité sociale dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs projets.
Lieu : Besançon (Doubs)
Effectif : Cuisine d’Uzel : 80 personnes en situation de handicap et 50 professionnels ; Prolabor Industrie : 180 personnes en situation de handicap et 35 professionnels. 3 600 personnes au total bénéficient de l’accompagnemen de la fondation

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