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La faute inexcusable de l’employeur

L’accident du travail n’est jamais une fatalité. Si les circonstances d’un tel événement peuvent être multiples, il arrive qu’il soit le résultat d’un manquement de l’employeur à son obligation légale de sécurité. Née avec la loi du 9 avril 1898, la notion de « faute inexcusable de l’employeur » a longtemps été difficile à appréhender, le législateur ne l’ayant pas définie précisément. Progressivement, la jurisprudence a pallié cette carence.

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Corinne Soulay - 19/07/2023
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Illustration d'un travailleur en hauteur.

En matière d’indemnisation des accidents de travail, il y a un avant et un après 1898. Cette année-là, la loi du 9 avril est promulguée, après 20 ans de débat. Celle-ci résulte d’un compromis social, construit sur la notion de « risque professionnel », c’est-à-dire qu’elle abandonne partiellement la faute pour retenir la notion de risque professionnel comme fondement de la réparation, et pose ainsi le principe de responsabilité sans faute de l’employeur. Autrement dit, en cas d’accident dans le cadre de son activité professionnelle, la victime n’a plus besoin d’établir devant les tribunaux l’existence d’une faute de l’employeur, d’un dommage, et d’un lien de causalité entre cette faute et ce dommage, pour obtenir réparation : l’employeur est automatiquement reconnu responsable et l’indemnisation est systématique. Cette législation sera ensuite étendue sous certaines conditions aux maladies professionnelles et aux accidents de trajet.

Une avancée pour les victimes

Une avancée pour les victimes qui sont ainsi plus facilement indemnisées… Mais il y a une limite, car la réparation automatique prévue par la loi est forfaitaire. Pour espérer obtenir une indemnisation complémentaire, comparable à celle en usage dans le droit commun, le salarié doit apporter la preuve d’une faute inexcusable de l’employeur.

Or, si ce concept est bien prévu dans la loi du 9 avril 1898, sa définition reste floue. Il faut attendre un arrêt du 15 juillet 1941, dit Veuve Villa, concernant un accident survenu treize ans plus tôt, pour que ses contours se précisent. Retour en arrière : le 18 octobre 1928, un immeuble en construction s’effondre, ensevelissant plusieurs ouvriers. Des experts désignés par le juge d’instruction attribuent la catastrophe « à la nature du terrain, l’insuffisance des fondations de la plupart des points d’appui et à la défectuosité du mortier ». Selon eux, l’entrepreneur est responsable de l’accident car il n’a pas observé les règles les plus élémentaires de l’art de bâtir. Le 3 décembre, l’homme est condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à 500 francs d’amende, le tribunal retenant contre lui « une faute lourde » ayant « concouru à l’effondrement de son édifice ».

Une notion complexe

S’appuyant sur cette condamnation, la veuve de l’un des ouvriers, tué dans la catastrophe, assigne le chef d’entreprise pour faute inexcusable, et exige le paiement d’une rente majorée pour elle et ses deux enfants. Plusieurs jugements, appels et pourvois en cassation s’en suivent, aboutissant au fameux arrêt, qui fait émerger une première définition de la faute inexcusable : une « faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’élément intentionnel ». La notion est complexe. Pour la victime, il s’agit donc, pour que cette faute soit reconnue, de faire la preuve de cinq éléments, une procédure difficile à mettre en œuvre. Résultat : pendant plusieurs dizaines d’années, de telles reconnaissances restent exceptionnelles.

Mais en février et avril 2002, une série d’arrêts rendus par la Cour de Cassation, concernant des victimes de l’amiante, viennent changer la donne et modifier les critères de reconnaissance de la faute inexcusable. Ils précisent désormais que l’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, résultant de l’existence du contrat de travail. Le manquement à cette obligation revêt le caractère d’une faute inexcusable si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (défaut dans l’évaluation des risques professionnels, absence de mise en œuvre des actions de prévention, d’information, de formation…).

Depuis, d’autres arrêts ont confirmé cette obligation de sécurité de résultat de l’employeur et son manquement comme étant constitutif d’une faute inexcusable, et sont venus, petit à petit, affiner cette notion. L’un d’eux spécifie, par exemple, que même si plusieurs fautes ont concouru au dommage, il suffit que l’employeur y ait contribué (qu’il en soit la cause principale ou non), pour qu’il soit considéré comme responsable. Pour entreprendre une action en reconnaissance, la victime ou ses ayants droit bénéficie d’un délai de deux ans.

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