« J’ai commencé ce métier à seize ans et j’en ai vu tous les aspects les plus difficiles : horaires de travail à rallonge, pénibilité des tâches, locaux non adaptés… Lorsque je suis devenu chef d’entreprise, j’étais décidé à faire autrement et à proposer à mes employés une meilleure qualité de vie au travail. » Depuis 2014, Xavier Brignon est à la tête de sa propre pâtisserie-chocolaterie, siglée de ses initiales « XB ». Son laboratoire de production, acquis en 2019, en zone industrielle, non loin du point de vente demeuré en centre-ville, est spacieux, lumineux et résolument moderne.
« Lorsque j’ai débuté mon activité en propre, tout le monde m’a dit de ne surtout rien modifier, que c’était trop risqué. Je crois avoir au contraire tout changé, de l’offre de la boutique à la façon de travailler dans le laboratoire… et force est de constater que le succès est au rendez-vous. Le laboratoire sous la boutique en ville, déjà peu pratique, est vite devenu vraiment trop exigu pour assurer la production. C’est pourquoi j’ai beaucoup investi dans ce nouvel espace. » D’un local en sous-sol de 80 m2, sans fenêtre et avec salles en enfilade, l’équipe de production évolue désormais dans un espace de 350 m2, de plain-pied, avec de nombreux ouvrants permettant une bonne diffusion de la lumière naturelle, complétée par des dalles de leds au niveau des plans de travail.
Des machines à la rescousse
Si aujourd’hui pas moins d’une dizaine de pâtissiers et apprentis s’activent pour répondre à la demande, Xavier Brignon le reconnaît, il n’aurait pu faire face au volume de production sans un investissement conséquent dans les nombreuses machines du laboratoire : « C’était une obligation pour répondre à une demande de plus en plus importante, notamment avec notre nouvelle activité en B2B – nous livrons des desserts à des hôtels et restaurants. Mais surtout pour réduire le plus possible la pénibilité pour mes employés et leur permettre de penser à la création. Car l’idée n’est pas juste de produire toujours la même chose, mais d’innover et de proposer des nouveautés. Pour moi, il n’y a aucune plus-value à broyer pendant des heures du pralin alors qu’une machine peut le faire en plus grosse quantité et bien plus rapidement. »
Une vision largement partagée par Jean-Louis Grosmann, ingénieur-conseil à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté : « L’utilisation des machines est un vrai plus notamment pour éviter aux salariés les tâches les plus fastidieuses et à l’origine d’un risque important de troubles musculosquelettiques ». Seule ombre au tableau : il existe, en pâtisserie-chocolaterie, presque autant de machines (fonceuse, dresseuse à macarons, turbine à dragées, tempéreuses à chocolat…) que d’opérations à réaliser pour confectionner tel ou tel gâteau, réaliser telle ou telle création… Ce qui implique un coût assez conséquent.
« Je pense avoir investi pas moins de 300 000 € en machines au total, indique Xavier Brignon. J’ai pu bénéficier d’une subvention de la Carsat pour l’achat de la machine de découpe au jet d’eau qui était la plus onéreuse mais qui supprime les opérations de découpe à la guitare pâtissière, éprouvantes physiquement, ainsi que l’usage du bistouri pour certaines pièces délicates, donc les risques de coupures. » Pour illustrer l’efficacité de la machine, Xavier Brignon dépose dans la zone de découpe, protégée par un capot, une plaque de cube de pommes congelées.
Une fois les instructions saisies – forme et nombre de pièces souhaitées – la buse de découpe s’active en projetant à 3 000 bars un mince jet d’eau. Sur l’écran de contrôle s’affiche le temps total de l’opération, ici à peine plus de 3 minutes, mais aussi le pourcentage de perte : 19 %, qui sera réutilisé pour d’autres recettes. Des chiffres impossibles à atteindre si la découpe devait se faire manuellement. « Ce qui est remarquable ici, souligne Jean-Louis Grosmann, c’est que la machine a été installée dans un local dédié. La porte s’ouvre automatiquement pour limiter les manutentions, le compresseur a été couplé à un déshydrateur et un système d’aspiration afin de bien évacuer l’eau et ne pas créer de risque de glissade. On sent que la réflexion a été menée jusqu’au bout. »
Repenser l'organisation du travail
« S’il y a bien une chose, en revanche, qui n’a pas coûté un centime mais qui a nettement amélioré la qualité de vie au travail de mes salariés – et la mienne – c’est la réorganisation totale de notre temps de travail », indique Xavier Brignon. Pour lui, l’époque où être pâtissier était forcément synonyme de travail en horaires décalés sans possibilité d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est révolue. « C’est un impératif pour garder mes salariés et que mes équipes fassent un travail de qualité. Qu’elles puissent avoir une vie sociale normale, avec des temps de repos partagés en famille par exemple. C’est pourquoi nos plages horaires en semaine – du mardi au vendredi – sont de 6 h à 14 h, de 6 h à 11 h le samedi et de 6 h à 8 h le dimanche où nous ne faisons que la fournée, avec repos le lundi. Cela a demandé quelques ajustements, comme de décaler l’ouverture de la boutique à 9 h ou d’arrêter de prendre des commandes de gâteaux le vendredi à midi pour le week-end. »
NUMÉRISER POUR DIMINUER LA CHARGE MENTALE
Au sein du laboratoire Xavier Brignon, fini les post-it et cahiers de recettes papier. Désormais, tout est centralisé grâce à un logiciel qui permet, pour chaque création, de connaître les ingrédients nécessaires et de déterminer les quantités en fonction des besoins. « Nous doter de cet outil a été un vrai investissement au départ. Nous avons également dû changer certaines de nos habitudes mais les retombées positives sont nombreuses : c’est un gain de temps considérable pour les pâtissiers. Fini les produits en croix pour calculer les quantités, fini les oublis ou gâchis potentiels… Au final, cela représente de la charge mentale en moins pour tout le monde. Une énergie qui peut être déployée ailleurs : être mieux concentré lors de la réalisation de certaines pièces, plus créatifs, avoir les idées claires… » Un outil qui permet également aux équipes de connaître le coût à la pièce d’une nouvelle recette afin de déterminer si celle-ci est viable économiquement ou non.
Le chef d’entreprise ne voit que des avantages à cette organisation : ses pâtissiers sont reposés, peuvent prendre de la hauteur par rapport à leur travail pour être, au final, plus productifs et créatifs. Un constat partagé par Vincent Gremillot, chef de partie dans l’entreprise depuis cinq ans : « Concernant les horaires, moi qui ai longtemps travaillé de nuit auparavant, cette organisation constitue un vrai confort. Pour ce qui est de l’espace de travail, c’est presque impossible de comparer avec l’ancien labo de la boutique. Ici, le plain-pied permet de tout mettre sur chariot, alors qu’avant il y avait toujours des marches quelque part. On profite aussi de la lumière naturelle et puis, avec l’aide des machines, on se sent beaucoup moins éreintés en fin de journée. »
Heureux d’entendre le ressenti de ses salariés, Xavier Brignon, jamais à court d’idées et d’envies, ne semble pas prêt à s’en tenir à cette réussite. Entre un coup de téléphone à l’un de ses chefs en voyage à Madagascar pour goûter de nouveaux cacaos et une commande à un producteur de cassis local, le chef évoque déjà les futurs travaux qu’il souhaiterait entreprendre pour relocaliser sa boutique principale au sein du laboratoire.
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : Xavier Brignon – artisan pâtissier et chocolatier
Activité : Pâtisserie-chocolaterie
Effectif : 10 personnes (salariés et apprentis) en production, 5 à la vente
Lieu : Besançon – boutique et corner –, Miserey-Salines – atelier (Doubs)