Travail & Sécurité. En tant que médecin référent pour le domaine de la maintenance à la RATP, quels sont vos rôle et périmètre d’intervention ?
Dr Laurence Bard. La fonction de médecin référent est récente et résulte de la réorganisation du service de prévention et santé au travail qui a eu lieu en 2021. À ce titre, je coordonne les activités du service de prévention et de santé dédié aux activités de maintenance, qui comprend six médecins et huit infirmières. Nous suivons près de 9 000 agents de maintenance en Île-de-France, et plus de 90 % de ce personnel fait l’objet d’un suivi individuel renforcé. À titre indicatif, en 2022, nous avons réalisé 3 300 visites périodiques et 4 500 visites non périodiques (visites d’embauche, à la demande du salarié ou de l’employeur).
Que recouvre le domaine d’intervention des salariés que vous suivez ?
Dr L. B. Nos salariés interviennent sur le matériel roulant ferroviaire (métro et RER), les infrastructures et les espaces et équipements industriels. Les infrastructures désignent tout ce qui permet aux trains de rouler : les voies ferrées, les caténaires et les ouvrages d’art, par exemple. Les espaces et équipements industriels concernent ce qui se trouve dans les stations de métro et gares RER. Pour ces derniers, la maintenance fait appel à de très nombreuses disciplines : informatique industrielle (lignes de péage, caméras, sonorisation…), électricité et électromécanique (ascenseurs/escaliers mécaniques, puisards…), et génie civil (plomberie, maçonnerie, serrurerie). Pour ces trois secteurs, il existe trois types de maintenance : préventive, curative et patrimoniale (NDRL : il s'agit de révision générale du matériel). Le réseau de bus n’entre pas dans notre périmètre, il est rattaché au réseau de surface et pris en charge par les médecins et infirmiers de ce domaine.
Quels sont les principaux risques rencontrés dans ces activités de maintenance ?
Dr L. B. Les activités de maintenance sont variées donc les risques multiples. On rencontre ainsi des contraintes physiques (mouvements répétitifs, ports de charges, postures contraignantes comme travailler les bras levés constamment…) qui peuvent être à l’origine de troubles musculosquelettiques. Pour les réduire, on cherche des outils moins vibrants, moins lourds. Des essais d’exosquelettes sont réalisés sur certains sites avec les salariés, les ergonomes, l’encadrement et les médecins du travail. Le bruit reste également présent dans certains ateliers et fait l’objet d’actions correctives comme à la serrurerie où une insonorisation a été mise en place il y a plusieurs années. Les risques traditionnels tels que les champs électromagnétiques ou les risques chimiques perdurent mais font l’objet d’actions de prévention. Ainsi, de gros progrès ont été réalisés sur l’utilisation des produits chimiques depuis une vingtaine d’années : ils sont beaucoup moins nombreux et leur référencement, après validation, fait l’objet d’instructions générales. La priorité a été donnée à la prévention collective telle que la table aspirante ou la substitution.
Les risques inhérents aux activités industrielles de maintenance, comme la silice, les fumées de soudage, le H2S dans certains locaux et, très ponctuellement, de l’amiante dans du matériel, existent. Le personnel est formé et équipé individuellement en cas d’exposition à ces substances. Les salariés peuvent aussi être amenés à être au contact d’eaux usées dans des éjecteurs ou des compresseurs, de moustiques, de rats. Enfin, on peut mentionner les risques psychosociaux dans un contexte d’évolution de l’entreprise.
Ces activités de maintenance font-elles l’objet de contraintes spécifiques ?
Dr L. B. Les opérations de maintenance se déroulent soit en ateliers, soit en maintenance itinérante. ll existe des points communs entre ces deux types de maintenance, mais aussi des différences majeures, surtout en matière d’organisation. Nos ateliers sont parfois anciens, avec des espaces contraints. Les horaires constituent également une particularité importante de ce domaine, avec une multitude de possibilités : matinée, journée, soirée, 2 x 8, 3 x 8, nuit… Les médecins du travail mènent des actions d’information et de prévention sur les horaires décalés et sur les effets sur la santé et la vie sociale. Cependant, certains y voient des avantages, notamment dans l’organisation de leur vie familiale. Dans le cadre des interventions de nuit, les équipes ont aussi des délais à tenir : l’intervention s’insère entre la fin du service et la reprise du service suivant, soit entre 1h30 et 5h30 du matin, en semaine. Les temps de préparation et de consignation s’y ajoutant, le temps effectif d’intervention est au final très court. Ça constitue un vrai stress, et n’autorise pas le droit à l’erreur.
Le personnel itinérant, quant à lui, est soumis aux conditions de circulation, souvent stressantes et à l’origine de pertes de temps. Si les agents itinérants ont davantage d’autonomie dans leur organisation, ils croisent cependant moins leurs collègues, et regrettent parfois cet isolement. Alors qu’en atelier, les liens entre collègues et les managers sont constants. Les agents itinérants sont par ailleurs fréquemment au contact des usagers, ce qui peut créer des échanges tendus ou des incivilités. Pour les aider à faire face à de telles situations, il existe des formations à la gestion des conflits. Et s’ils se sentent en danger, ils peuvent ne pas intervenir et faire appel aux agents de sécurité de notre réseau.
Comment s’organise la prévention des risques professionnels, en parallèle du service interne de médecine du travail ?
Dr L. B. Nous avons constitué cinq cellules transversales pilotées par des médecins du travail sur différents thèmes afin de mener des actions de prévention sur les sujets suivants : toxicologie industrielle, prévention des comportements à risque, prévention des RPS ainsi qu’une cellule dédiée aux études épidémiologiques et une autre à l’hygiène de vie. En parallèle, au niveau des ressources humaines, nous avons une agence de la prévention, en interne, qui décline la politique générale de prévention de l’entreprise. Ensuite, chaque direction possède ses préventeurs spécialisés dans leur domaine. L’objectif est que la prévention soit pensée au plus près du terrain, par l’intermédiaire de préventeurs locaux. Leur mission est d’analyser les situations de travail et de déployer les actions de prévention. Nous avons également en interne un pôle ergonomie. Lorsque l’on travaille à un aménagement de poste par exemple, il y a un travail conjoint de la médecine du travail, du pôle ergonomie et des préventeurs locaux, pour trouver le matériel adéquat et organiser des phases de tests. Dans le cas des essais d’exosquelettes dont je parlais précédemment, ces acteurs se coordonnent pour faire des études et évaluer si l’outil ne crée pas de nouvelles contraintes pour les porteurs et répond bien à la problématique posée.
La RATP affiche actuellement des campagnes de recrutement. Pour les nouveaux embauchés aux services maintenance, comment s’organisent leurs premiers pas dans l’entreprise ?
Dr L. B. Ils suivent une formation de quelques jours sur l’entreprise, l’environnement de travail puis sont en binôme pour découvrir le métier, les situations de travail, et apprendre de l’expérience des plus anciens. Sur le plan médical, il y a une visite de préembauche, puis tous les deux ans une visite médicale. Nous recevons quasiment tous les ans les agents travaillant de nuit, et, lorsque nous menons une réflexion sur un aménagement de poste, on peut être amenés à les rencontrer plus fréquemment. Le fonctionnement en service de prévention et de santé au travail autonome nous permet de bien connaître les activités de nos salariés et de leur assurer un suivi médical au plus près du terrain.
REPÈRES
- 2001. Fin d’internat en médecine du travail
- 2001. Intègre la RATP en tant que médecin du travail
- 2021. Médecin référent pour le domaine de la maintenance
La RATP compte environ 46 000 agents et salariés en Île-de-France. Son service interne de prévention et de santé au travail compte 33 médecins du travail et un médecin coordinateur.