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Numérique

Les datas au service de la santé au travail

Le développement du numérique a entraîné, dans son sillage, la conservation d’une masse faramineuse de données. Si la collecte et l’usage de ces informations intéressent de nombreux secteurs pour différentes raisons, en santé au travail, la data permettrait, par exemple, de mieux cibler les populations à risques en vue de mener des actions de prévention plus efficaces.

5 minutes de lecture
Lucien Fauvernier - 06/09/2023
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Illustration d'un couvreur.

1,7 mégaoctet – soit le poids d’un fichier MP3 d’une chanson d’environ deux minutes. C’est la quantité estimée de données créées par un internaute chaque seconde. Un chiffre colossal appelé à être multiplié par 45 d’ici à 2035. Dans cet océan d'informations, toutes n’ont pas la même valeur. Mais une fois traitées, elles peuvent se révéler utiles dans différents secteurs : en marketing pour créer de la publicité ciblée, en politique pour mieux comprendre les attentes des citoyens… Le domaine de la santé, et plus précisément de la santé au travail, n’est pas en reste concernant cet intérêt pour les données.

En médecine générale, l’étude des données de santé permet déjà, par exemple, de prescrire à des patients des visites de contrôle renforcées pour certaines pathologies. Un mouvement que semble suivre la médecine du travail. « Lorsque l’on parle de données de santé au travail, on pense tout de suite au dossier médical en santé au travail (DMST) qui doit désormais être constitué sous format numérique sécurisé, pour chaque travailleur bénéficiant d’un suivi individuel de son état de santé, indique Amélie Pourchel, chargée d’études juridiques à l’INRS. Au sein d’un service de prévention et de santé au travail (SPST), des données peuvent être collectées pour des raisons multiples. Par exemple, certaines données permettront de renseigner le dossier consacré à l’entreprise afin de mener les missions imparties aux SPST. »

Utiliser les données pour renforcer la prévention

Depuis le 15 novembre 2022, un nouvel article du Code du travail établit une liste des éléments qui doivent figurer dans le DMST : identité du travailleur, informations permettant de connaître les risques actuels ou passés auxquels il est ou a été exposé, informations relatives à son état de santé recueillies lors des visites médicales… Un contenu « minimum » qui vise à harmoniser la constitution des dossiers mais qui représente déjà une somme de données colossales comme le confirme Laurent Eecke, directeur du SPST19-24 (Service de prévention et de santé au travail Corrèze Dordogne) : « Dans un service de prévention et de santé au travail de taille moyenne comme le nôtre, qui suit environ 125 000 travailleurs sur deux départements, nous disposons de 15 à 20 millions d’items de données requêtables, ce qui n’est pas rien ! »

Avec ses équipes, Laurent Eecke s’est attaché à faire parler ces données afin de les valoriser : « Notre idée au départ, c’était de montrer l’intérêt de travailler sur certains indicateurs, les moins contestables possibles, comme le taux d’inaptitude sur une population et sur un temps donnés. Puis nous avons affiné par catégorie socio-professionnelle, âge, type de pathologies, sinistralité, ancienneté au poste… et grâce à ces analyses, nous avons fait apparaître des populations et des métiers plus susceptibles d’être impactés par une inaptitude professionnelle. Ces informations vont nous permettre d’orienter nos activités et de mener des actions coup de poing ou pluriannuelles dans le cadre de nos projets de services. »

Si ces mises à jour ont révélé des éléments « évidents » selon Laurent Eecke – comme un risque d’inaptitude accru chez les salariés des services d’aide à la personne –, elle a également fait émerger des informations nouvelles et singulières : « La population des couvreurs se retrouvait en deuxième position en matière de prévalence d’inaptitude, chose étonnante car nous n’avions jamais identifié “empiriquement” ces travailleurs comme particulièrement à risque d’inaptitude. Nous avons tellement été surpris que, par acquit de conscience, nous avons vérifié à nouveau nos chiffres pour nous assurer qu’il n’y avait aucun biais statistique. » Pour le directeur du SPST19-24, généraliser ce type d’analyses permettrait de pallier certaines difficultés rencontrées par les services de santé au travail (manque de personnel, manque de moyens…) afin de mettre en place des actions de prévention ciblées auprès de populations de travailleurs. Une démarche similaire pourrait être également menée concernant les expositions professionnelles : l’analyse des données permettrait de mieux identifier certains travailleurs et d’agir plus efficacement en prévention auprès d’eux.

Collecter mais aussi protéger et analyser

De telles utilisations des données de santé au travail peuvent sembler pertinentes mais, en tant que salarié, n’est-il pas inquiétant de savoir ses données personnelles exploitées ainsi ? À cet égard, 85 % des Français déclarent avoir des attentes importantes en matière de données personnelles vis-à-vis des services relatifs à la santé. « Le cadre juridique concernant les données du DMST est très strict, rassure Amélie Pourchel. Ces dernières ne peuvent être utilisées que pour des finalités déterminées et légitimes : assurer le suivi individuel de l’état de santé du travailleur, gérer le DMST ou encore réaliser des études et recherches. Seuls les professionnels autorisés peuvent y avoir accès comme le médecin du travail et, sous sa responsabilité, les collaborateurs médecins, internes en médecine du travail et infirmiers. L’intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP) et l’assistant de SPST, sur délégation du médecin du travail, peuvent également alimenter et consulter certaines informations du DMST. » Le Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en application en 2018, précise la manière dont les informations doivent être utilisées.

Si, pour Laurent Eecke, cette garantie de protection des données est essentielle, un autre prérequis doit être également pris en compte lors de la collecte des données : « En France, environ 10 000 personnes vont saisir les données des 17 millions de travailleurs suivis. Il faut que nous ayons un langage commun, si possible simple, afin que cela n’ajoute pas une surcharge de travail pour le médecin. L’important est que nous partagions tous les mêmes items au sein de nos progiciels. Sans cela, la collecte des données numériques ne peut être vraiment valorisée… » Ainsi, faire entrer la médecine du travail dans l’ère de la data doit signifier valoriser toutes les informations disponibles afin d’améliorer le suivi des travailleurs. « Depuis 1946, tous les services de santé au travail ont des monceaux d’informations sur papier, non-requêtables, perdues ou stockées dans des archives… Quand on remet cela en perspective, c’est une véritable perte de chance infligée aux travailleurs. Il est l’heure de nous armer de la data pour identifier les signaux faibles et mieux réagir », conclut Laurent Eecke.

UN GUIDE DES BONNES PRATIQUES

La Commission nationale de l'informatique et des libertés va prochainement mettre à disposition un guide à destination des directions, des professionnels de santé et des équipes des SPST.

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