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Organisation du travail

Semaine de quatre jours : quels impacts sur la santé ?

La semaine de quatre jours attire autant qu'elle effraie. Si, sur le papier, l'idée de travailler un jour de moins par semaine peut être séduisante, l'éventuelle perte de salaire, l'exigence d'une productivité identique sur un temps réduit, l'allongement des journées de travail… représentent des freins à sa généralisation et peuvent, pour certains, avoir des conséquences sur la santé.

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Céline Ravallec
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Illustration de la semaine de 4 jours.

Vingt-cinq ans après les lois Aubry instaurant les 35 heures de travail hebdomadaire, la semaine de quatre jours s’annonce-t-elle comme la prochaine réforme au travail ? La formule fait en tout cas de plus en plus parler aujourd’hui. En France, autour de 400 entreprises ont opté pour les quatre jours de travail hebdomadaire, dont certaines dans le cadre de la Loi Robien en 1996 qui autorisait alors l’expérimentation. Mamie Nova, La Macif, Fleury Michon, et plus récemment Welcome to the Jungle ou LDLC ont franchi le pas. À première vue, la satisfaction affichée apparaît unanime, tant de la part des salariés que des employeurs.

À l’été 2022, un essai impliquant une centaine d’entreprises britanniques de tailles et de secteurs divers a été mené durant six mois. Le bilan présenté en février dernier a là aussi mis en lumière une satisfaction quasi-unanime des participants – tant employeurs que salariés – au point que la majorité souhaite poursuivre sous cette forme. Un test similaire se lance en Espagne avec l’aide de l’État auprès de 200 entreprises, qui vont passer à 32 h en quatre jours sans réduction de salaire. Les employeurs observent comme bénéfices une hausse de la productivité, une meilleure attractivité pour embaucher, une baisse du turn over ainsi qu’un renforcement de l’engagement au travail avec un sentiment de confiance augmenté. Une baisse des coûts d’énergie et d’entretien des locaux en cas de fermeture une journée dans la semaine est également avancée. Les salariés quant à eux apprécient un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, moins de fatigue, moins des stress, moins de temps passé dans les trajets.

Une solution miracle ?

Malgré ces résultats proches du plébiscite, qu’en est-il en matière de santé au travail ? Qu’implique le fait de passer à quatre jours sur les rythmes de travail et, par conséquent, sur la santé des salariés ? Malgré les bénéfices positifs perçus par les salariés, ces nouvelles organisations ont-elles leur revers de médaille ? « Ça m’évoque le plébiscite des douze heures chez les soignants, qui préfèrent travailler sur de longues journées et avoir plus de temps libre ensuite, commente Évelyne Morvan, responsable d’études à l’INRS. Mais ce n’est pas sans effets sur la santé à long terme et sur la récupération. On observe au final chez ces populations une fatigue accrue les journées travaillées. »

Derrière l’intitulé « semaine de quatre jours » se cache en fait une multitude de déclinaisons possibles : maintien du nombre d’heures hebdomadaires concentrées sur quatre jours, impliquant alors des journées de travail plus longues ; passage à 32 heures hebdomadaires pour rester à 8h par jour ; annualisation en fonction des périodes d’activité saisonnière ; maintien ou non du salaire ; jour non travaillé imposé ou au contraire au choix du salarié, fixe ou tournant d’une semaine à l’autre ; nombre de jours télétravaillés variable… « Il y a deux manières d’appréhender le sujet, poursuit Évelyne Morvan : soit une densification du travail pour produire autant en travaillant moins, soit un allongement des journées de travail. »

Dans le premier cas, « cela s’apparente à certains dispositifs du lean, où la productivité est stimulée en réduisant les “gaspillages” et où on cherche à chasser les temps improductifs », considère Bertrand Delecroix, responsable d’études à l’INRS. Or le lean appliqué de façon excessive a montré ses effets néfastes, comme l’apparition de troubles musculosquelettiques, une augmentation du stress, mais également une dissolution des collectifs au niveau organisationnel. Dans le cas de journées de travail plus longues, d’autres effets sur la santé peuvent apparaître, notamment liés aux postures sédentaires dans les emplois de bureaux : tensions musculaires, douleurs au dos, pathologies cardiovasculaires, troubles psychiques. « Dans l’industrie, cela peut augmenter des temps d’exposition quotidiens à des substances toxiques sans que les effets en aient été évalués », souligne Bertrand Delecroix. On peut aussi mentionner un risque accru de burnout, ainsi qu’un risque plus élevé d’accident de trajet ou de mission du fait d’une plus grande fatigue.

Et sur le long terme ?

« À court terme, faire le choix d’horaires longs – de plus de 10 heures par jour – se révèle positif pour concilier vie professionnelle et vie personnelle, résume Marie-Anne Gautier, expert d’assistance médicale à l’INRS. » Avec apparition à terme d’effets liés à la surcharge du temps de travail sur la santé déjà bien connus : effets cardiovasculaires, troubles psychiques, principalement anxiété et dépression, qualité de sommeil perturbée. La capacité de récupération n’est pas la même non plus en début et en fin de carrière, l’usure professionnelle doit donc aussi être prise en compte. « Et si la charge de travail n’est pas adaptée au volume horaire, ça conduira à des horaires longs avec la tentation de continuer sa journée le soir à la maison, et des horaires anarchiques », estime encore Marie-Anne Gautier.

Étant donné la diversité des entreprises et des déclinaisons possibles, il n’existe pas un modèle universel applicable. Si une entreprise décide de passer à la semaine de quatre jours, il est nécessaire de le préparer par un bon dialogue social, en associant étroitement les salariés. Il est impératif d’être volontaire pour entrer dans ce type d’organisation, avec une négociation collective choisie, de prendre en compte l’ensemble des contraintes (économique, organisation, attentes des différentes parties prenantes).

Cela doit passer par une période d’essai de quelques mois pour estimer les effets, négatifs et positifs, d’une telle organisation et trouver les ajustements. Le sujet est à mettre en place en tenant compte des contraintes spécifiques de chaque entreprise : l’activité, les attentes des salariés, des clients, et ne pas chercher à imposer un format prédéterminé. Car n’occultons pas que, si elles passent plus inaperçues, certaines entreprises qui se sont lancées dans la semaine des quatre jours sont revenues en arrière. Des effets négatifs sur l’organisation peuvent survenir : coordination plus difficile entre les personnes, création d’un collectif plus compliquée, nouveaux horaires d’ouverture à faire accepter aux clients. Et les cadres se retrouvent alors les premiers exposés, à devoir élaborer de nouveaux plannings, assurer plus de polyvalence, avec des durées de travail plus longues et une intensification de leur activité.

UN TEST DE SIX MOIS À GRANDE ÉCHELLE EN GRANDE BRETAGNE

À partir de juin 2022, près de 100 entreprises britanniques comptabilisant 3 000 salariés ont testé durant six mois à la semaine de quatre jours. Tous secteurs d’activité (services, éducation, industrie, santé, BTP…) et toutes tailles d’entreprises (66 % < 25 personnes, 22 % entre 25 et 100 salariés, 12 %> 100 personnes) étaient représentés. Une étude menée par des chercheurs de l’université de Cambridge et du Boston College a porté sur 61 d’entre elles pour faire un bilan au bout de six mois. Le temps de travail hebdomadaire moyen est passé de 38 à 34 h, allongeant la durée de travail quotidienne moyenne de 7 h 36 à 8 h 30. Au terme de cette expérimentation, 90 % des employés voulaient conserver la semaine de quatre jours, ainsi que leurs employeurs. Bilan constaté : réduction de l’absentéisme de 65 %, moins de stress, de burnout et plus de satisfaction au travail ; bien-être émotionnel, mental et physique amélioré, meilleur sommeil, moins de fatigue, meilleure vie de famille, meilleure égalité hommes/femmes. La productivité est restée la même, avec même une hausse du chiffres d’affaires de 1,4 % en moyenne. À noter que ces résultats étaient uniquement déclaratifs et n’ont pas fait l’objet d’une démarche d’analyse scientifique formalisée.

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