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Dérèglement climatique

La santé et la sécurité au travail représentent des enjeux majeurs

Hausse des températures, multiplication des catastrophes naturelles, événements météorologiques extrêmes… Le changement climatique a d’ores et déjà de nombreuses conséquences sur notre quotidien mais il impacte également le monde du travail. Comment, dans ce contexte, assurer la santé et la sécurité des salariés exposés à des conditions de travail changeantes ?

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Lucien Fauvernier - 28/03/2023
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Un ouvrier sur un chantier boit de l'eau.

650 milliards d’heures de travail sont perdues en moyenne chaque année dans le monde en raison des chaleurs humides. 80 millions d’emplois seraient quant à eux menacés directement par le réchauffement climatique. Les chiffres témoignant de l’impact mondial déjà concret, ou à venir, du changement climatique sur le travail sont éloquents. Ceci explique peut-être que, au niveau individuel, une très large majorité des salariés (80 %) indiquent se sentir concernés par les sujets environnementaux et leur impact sur le travail. Fait intéressant, 70 % d’entre eux considèrent même que le dérèglement climatique, et plus généralement la dégradation de l’environnement, peut affecter la santé des travailleurs. Malgré cette préoccupation réelle, la question du changement climatique est encore peu abordée sous l’angle de la santé et de la sécurité au travail.

« Pourtant, ces enjeux sont bien plus liés qu’il n’y paraît, indique Marian Schaapman, cheffe de l’unité santé-sécurité au travail de l’Institut syndical européen Etui. L’augmentation des températures constitue le principal danger pour les travailleurs. En effet, le stress thermique, les coups de chaleur et l’épuisement accentuent les risques d’accidents et de décès liés à la chaleur. Le réchauffement climatique peut également causer des effets indirects sur la santé. Par exemple, en accentuant la pollution de l’air, la chaleur peut engendrer diverses maladies et allergies. » Si les recherches sur ce sujet demeurent peu nombreuses, une expertise, publiée en 2018 par l’Anses, met en évidence une augmentation déjà présente, et encore plus à venir, de tous les risques professionnels (à l’exception des risques liés au bruit et aux rayonnements artificiels), et, ce notamment en raison de l’augmentation des températures : « Sur les quinze risques professionnels qui pourraient être affectés par les changements climatiques et environnementaux, treize seront influencés par l’augmentation de la température, et plus spécifiquement par l’augmentation de la fréquence, de la durée et/ou de l’intensité des vagues de chaleur, ainsi que par celle des températures extrêmes chaudes », mentionne le rapport.

Travailler avec un thermomètre dans le rouge 

Alors que la réalité du changement climatique se fait plus concrète – avec notamment des épisodes de sécheresse sans précédent –, le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estime le réchauffement planétaire à + 1,5°C dès 2030. Autant de signaux d’alerte qui ont su éveiller les consciences : « Lorsque, en 2018, notre expertise est parue, elle n’a pas fait grand bruit mais elle revient sur le devant de la scène depuis quelque temps, remarque Aurélie Niaudet, adjointe au chef de l’unité d’évaluation des risques liés aux agents physiques à l’Anses. La prise de conscience, au niveau des entreprises, des conséquences potentielles du changement climatiques sur leur organisation et leur fonctionnement est plus que jamais nécessaire. »

Force est de constater qu’une entreprise qui ne s’interrogerait pas sur son exposition aux risques liés au changement climatique pourrait rapidement se trouver en situation de fragilité : « Lorsque l’on parle de l’augmentation de la chaleur, il y a les aspects physiologiques – malaises, coups de chaleur –, mais aussi des effets indirects sur la santé comme l’altération de la vigilance, l’augmentation de certains risques psychosociaux…, poursuit Aurélie Niaudet. Si les risques liés à la chaleur sont très importants, notre expertise ciblait également la modification des risques biologiques auxquels pourraient être exposés certains salariés, avec une diffusion facilitée d’agents biologiques et de maladies infectieuses. Enfin, les risques liés aux aléas climatiques vont venir mettre une pression supplémentaire – notamment psychique – à toutes les personnes intervenant dans l’aide et le secours. » Pour éviter cet écueil, l’agence émettait à la suite de son expertise plusieurs recommandations dont celle de « poursuivre les efforts […] afin d’intégrer les effets du changement climatique sur la santé dans les démarches de prévention des risques ». Une recommandation qui semble porter ses fruits, puisque de plus en plus d’entreprises choisissent de prendre cette problématique à bras-le-corps et de réaliser un travail d’analyse de leurs vulnérabilités face au changement climatique.

Adapter les démarches de prévention

Parmi celles-ci, Ariane Group, qui s’est engagée depuis deux ans dans une démarche complète. « Pour interroger nos vulnérabilités au sens large, indique Frédéric Demailly, responsable central du service HSE (hygiène, sécurité, environnement) de l’entreprise. En 2022, aidés de l’outil Ocara, nous avons réalisé une évaluation complète d’un de nos quinze sites. Nous avons choisi un site de taille assez restreinte et monoproduit afin de voir si la démarche prenait, pour nous interroger sur les limites de l’exercice, mais aussi évaluer le temps que cela demandait. L’idée était d’embarquer les salariés dans une réflexion globale, pas simplement de venir leur dire : “D’ici à dix ans, suivant les modélisations climatiques, vous ne pourrez plus travailler dans ce bâtiment car celui-ci est trop exposé aux aléas météorologiques”, mais vraiment de les inclure dans la réflexion. »

Au fil des réunions, les salariés se prennent au jeu, témoignent de certaines de leurs inquiétudes et participent à l’esquisse de solutions. « Une vulnérabilité identifiée du site concernait les voies de circulation – accès au site mais aussi les voies de circulation internes – qui pouvaient être coupées ou devenir trop dangereuses, décrit le responsable HSE d'Ariane Group. Les collaborateurs ont, de leur propre chef, imaginé des solutions opérationnelles grâce à leur connaissance des risques et du terrain. C’est un exemple parmi tant d’autres de réussite d’une démarche résolument collaborative. »

QUAND LE CLIMAT CHANGE LA DONNE

« Ce qui constitue un challenge majeur posé par le changement climatique dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, c’est qu’on ne peut plus véritablement se fonder sur ce qui a été fait par le passé pour en dégager de bonnes pratiques », explique Frédéric Demailly. Pour le responsable HSE, la prévention des risques dans un monde de moins en moins prévisible devra forcément se jouer sur un mode plus agile. « Chez Ariane Group, nous avons déjà dû prendre des mesures sur certains de nos sites lors de pics de chaleur, précise-t-il : travail en horaires décalés, arrêt temporaire de certaines activités, modification des bâtiments de stockage… Nous avons pleinement conscience que ce qui se joue nous impacte déjà, que ce n’est pas qu’une “crise” climatique mais un changement à appréhender dans la durée. »

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