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Travail maritime

Les yeux, parents pauvres de la prévention en mer

L’Institut maritime de prévention (IMP) vient de publier une étude sur les lésions oculaires chez les marins professionnels, réalisée pour l’Enim, le régime social des marins. Nicolas Le Berre, chef de projet à l’IMP, revient sur les constats de cette étude, et donne des pistes pour agir en prévention.

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Delphine Vaudoux - 07/11/2023
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Vue d'un navire en mer.

Travail & Sécurité. Pour quelles raisons avez-vous été amené à réaliser l’étude « Prévenir les risques de lésions oculaires chez les marins professionnels » ?

Nicolas Le Berre. On entendait beaucoup parler d’accidents du travail (AT) graves qui touchaient les yeux, et personne ne s’était penché vraiment sur ce sujet. Cédrik Renault et moi-même avons réalisé cette étude en nous appuyant sur des données statistiques, en reprenant les QCATM (questionnaires sur les circonstances des accidents du travail maritime) sur cinq ans, de 2016 à 2020 ainsi que des données fournies par l’Enim (NDLR. Le régime social des marins). L’idée était d’avoir des éléments chiffrés sur la gravité de ces AT, leur coût et les secteurs les plus touchés. Sur cette période, nous avons ainsi étudié 252 accidents ayant pour siège de lésion les yeux. Parmi eux, 117 ont entraîné un arrêt de travail, ce qui représente 6 885 journées de travail perdues et 29 1 361 euros d’indemnités. Par accident, cela représente une moyenne de 59 jours d’arrêt et un coût moyen de 2 490 euros.

Quels sont les principaux constats que vous avez pu faire, et peut-on les comparer à d’autres secteurs ?

N. Le B. Pour le secteur du commerce maritime, les lésions oculaires représentent 2,2 % de la totalité des ATM (NDLR. accident du travail maritime). Pour la pêche, ce chiffre atteint 3,1 %, et pour les cultures marines, il est de 4,8 %. À noter que ce tout dernier chiffre porte sur un échantillon très restreint. Comparé au régime général, nous sommes au-dessous des chiffres des secteurs du BTP ou des espaces verts par exemple, mais dans le même ordre de grandeur que les statistiques de l’industrie, voire au-dessus.

Avez-vous pu analyser les circonstances dans lesquelles surviennent ces accidents ?

N. Le B. Je ne vous parlerai que des deux principaux secteurs que sont la pêche (37 % des accidents oculaires) et le commerce (50 %), celui des cultures marines ne regroupant pas assez de données. Dans le secteur de la pêche, les ATM ayant pour siège de lésion les yeux ont lieu principalement sur les chalutiers lors des phases de travail avec l’engin de pêche (réparation et filage), de travail des captures (éviscération) et de maintenance. Ce sont plutôt des lésions traumatiques (frappé par un élément du gréement et/ou piqué par un outil lors de l’éviscération ou la maintenance). Dans le commerce maritime, les lésions aux yeux concernent essentiellement le personnel d’exécution. Elles surviennent surtout à l’occasion de travaux de maintenance pont et machine lors de l’utilisation de produits chimiques et, pour une moindre part, lors de l’utilisation de machines fixes ou portatives. Les accidents ne sont pas seulement des lésions traumatiques mais également des projections de corps étrangers dans l’œil (solide, liquide et « coup d’arc »).

Quelle est la gravité de ces accidents ?

N. Le B. Pour en connaître la gravité, nous nous sommes appuyés sur des données du service médical de l’Enim. Il en ressort que les ATM graves aux yeux représentent 1 % environ de l’ensemble des ATM graves, et qu’ils sont plutôt recensés dans le secteur de la pêche. Ce sont très majoritairement des lésions oculaires entrant dans la classification « lésion traumatique de l’œil et de l’orbite ». Le genre d’accident le plus important est « frappé, fauché, coincé, écrasé par… », représentant plus de la moitié des incapacités partielles permanentes accordées.

Quelles sont les mesures de prévention qui peuvent être mises en place ?

N. Le B. On observe que l’évaluation des risques touchant les yeux est souvent insuffisante. Il est donc important que l’employeur/armateur identifie les postes à risque pour les yeux dans le DUERP (NDLR. Document unique d’évaluation des risques professionnels) afin d’y associer les moyens de prévention qui devront privilégier les approches collectives, organisationnelles et techniques d’abord, puis individuelles. Par exemple, les produits chimiques dangereux sont généralement identifiés, des protections sont proposées pour les mains mais plus rarement pour les yeux ; pour ce qui est des machines, elles doivent être cartérisées afin d’éviter toute projection ; lors des opérations de pêche, il est possible de se protéger en se positionnant correctement pour limiter les accidents pouvant affecter les yeux. Quant aux EPI, on pense bien sûr aux lunettes, qu’il est important de porter lors du travail d’épissure sur les câbles par exemple, ou lors de manipulation de produits chimiques.

REPÈRES

Le secteur maritime professionnel regroupe trois activités :
 

  • la pêche, qui représente environ 9 000 équivalents temps plein (ETP)
  • le commerce (fret et transport de passagers, services portuaires et plaisance professionnelle) : 10 000 ETP
  • les cultures marines (ostréiculture et mytiliculture) : environ 3 000 ETP
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