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Transport de marchandises

La logistique urbaine se métamorphose

Développement du e-commerce, zones à faibles émissions… Face à ces nouvelles contraintes, la livraison urbaine doit se réinventer. Des organisations et des acteurs nouveaux voient le jour avec, à la clé, des risques professionnels à prendre en compte.

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Corinne Soulay - 26/02/2024
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Vue d'un livreur à vélo en situation de travail.

Alimentation, produits d’hygiène, mode, décoration… Selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), les ventes de produits en ligne ont augmenté en France de 33 % entre 2019 et 2022. 42 millions de Français achètent désormais sur internet, à raison de 54 commandes par an. Une pratique particulièrement développée chez les urbains. À Paris, 500 000 colis sont ainsi livrés chaque jour. Conséquence : une intensification et une congestion du trafic au cœur des villes... et donc des difficultés pour les livreurs à stationner et opérer leurs livraisons en sécurité. À Brest, par exemple, dans 31 % des cas, le stationnement se fait en double file ou dans des zones interdites.

Parallèlement, les grandes villes se dotent de zones à faibles émissions (ZFE), dont l’objectif est d’améliorer la qualité de l'air en interdisant à terme les véhicules les plus polluants. Le transport de marchandises est dans le viseur : il serait responsable de 20 % des émissions de CO2 et de 45 % des émissions de particules fines dans les grandes cités françaises. Ces deux paramètres poussent la logistique urbaine à se réinventer. « Le modèle classique du semi-remorque qui livrait directement en centre-ville n’est plus possible, explique Éric Veretout, expert d’assistance-conseil à l’INRS. On voit émerger de nouvelles configurations, avec des entrepôts alimentés par poids lourds, qui s’installent aux portes des villes, et des véhicules plus légers – utilitaires ou deux-roues –, avec une motorisation plus propre – électrique ou GNV – qui prennent le relais vers les magasins, les particuliers ou des box où le client vient chercher son colis. »

L'essor de la cyclologistique

Des zones de stockage intermédiaire sont aussi aménagées en cœur de ville, parfois dans des parkings souterrains, pour favoriser la prise en charge du dernier tronçon par des véhicules encore plus légers. Des expérimentations de fluviologistique se font aussi, notamment à Lyon et Paris. Le principe ? Une péniche s’amarre au plus près du centre, puis les colis sont répartis sur des vélos cargos. Ces nouvelles organisations favorisent le développement de la cyclologistique – qui consiste à livrer via des vélos cargos, bi ou triporteurs, avec ou sans remorque, capables de transporter jusqu’à 350 kg. « Difficile d’estimer la part de livraison qui se fait par vélos cargos, comparée aux véhicules utilitaires, mais des études montrent qu’on pourrait atteindre 40 % d’ici 2050 et passer de 2 200 emplois à 110 000 », se réjouit Gaétan Piegay, coordonnateur général de la Fédération professionnelle de cyclologistique, créée en novembre 2022.

Une montée en puissance qui doit prendre en compte les risques professionnels générés par ce mode de livraison. Selon un observatoire piloté par la Fédération et l’Ademe, les livreurs sont exposés à des risques multiples : conditions climatiques, effort physique, port de charges, violences externes… et, bien sûr, risques routiers. « Les infrastructures ne suivent pas toujours et ces nouveaux acteurs ne sont pas forcément bien formés », remarque Éric Veretout. En 2018, une observation, réalisée à Paris, pendant deux jours, à un croisement jugé dangereux, a montré que 75 % des cyclistes livreurs ne respectaient pas le feu rouge.

Les nouvelles tendances de la livraison en ville

« La formation est un levier à activer, confirme Gaétan Piegay. Dans le cadre du dispositif national des Certificats d’économies d’énergie (CEE), nous avons lancé le programme “Cyclo-cargologie”, dont l’un des objectifs est de créer une formation certifiante harmonisée pour les livreurs, mais aussi les dispatchers (organisateurs de tournée) et les managers d’entreprise. » Autre point positif, pour Éric Veretout, le changement de profils des entreprises : « Auparavant, la cyclologistique était opérée par des start-up, souvent éphémères, mais désormais les gros transporteurs – comme La Poste, DHL… – , plus sensibilisées aux questions de santé et sécurité au travail, s’y mettent. »

En complément de ce nouveau modèle de livraison, une autre tendance se dessine : le recours aux livraisons de nuit pour les marchandises les plus lourdes. Un système envisagé notamment à Paris, dans le contexte des Jeux olympiques, et qui pourrait être pérennisé. Or, travailler régulièrement de nuit peut altérer la santé des travailleurs (troubles du sommeil, maladies cardiovasculaires…).

Mobiliser tous les acteurs

Globalement, ces métamorphoses de la logistique urbaine nécessitent la coordination de l’ensemble des acteurs impliqués, pour assurer aux livreurs des conditions de travail sûres. « En cela, le développement des chartes de logistique urbaine dans les métropoles, d’abord élaborées dans un but environnemental, par la mise en place des ZFE, apparaît comme une opportunité d’intégrer la prévention, estime Antoine de Lipowski, ingénieur-conseil à la Carsat Bretagne. Dans le cadre de celle de la ville de Rennes, un groupe de travail associant service de la voierie, fédérations de transport, transporteurs et Carsat a ainsi permis la mise en place d’un outil de remontées de terrain. »

Lorsqu’un livreur rencontre une difficulté, il la notifie sur un formulaire en ligne afin que ce soit pris en charge. S’il faut araser un trottoir ou déplacer du mobilier urbain pour faciliter les livraisons, renforcer la séparation entre piste cyclable et route par une bande rugueuse, c’est la métropole qui peut agir. Si cela relève du domaine du privé – une porte à élargir dans une boulangerie pour faire passer les transpalettes et éviter que les livreurs ne portent les sacs de farine –, la Carsat peut mobiliser des aides financières pour l’aménagement des lieux et/ou la mise en place d’aides techniques. Cette coordination permet aussi d’agir dès la conception. « Prenez une métropole qui projette de piétonniser son centre-ville, si la Carsat est partie prenante, elle peut alerter sur la nécessité de prévoir, à côté des pavés, des bandes de roulement lisses pour réduire les vibrations pour les livreurs à vélo cargo ou pour les chauffeurs-livreurs lorsqu’ils tirent les transpalettes. Agir en correctif c’est bien. Mais supprimer le risque avant qu’il n’apparaisse, c’est encore mieux », insiste Antoine de Lipowski. Dans cette même logique, à Rennes, un autre groupe, auquel la Carsat participe, travaille sur l’implantation et la définition des aires de livraison.

Des zones de livraison mutualisées

À Nantes, le « pacte pour une logistique urbaine durable et résiliente » intègre la question des flux de marchandises pour le BTP, le ballet des camions participant à la congestion du trafic. Il prévoit d’optimiser et de mutualiser la logistique des chantiers par une concertation en amont de tous les acteurs (maîtres d’ouvrage, entreprises…). Il s’agit d'introduire un lot logistique dans chaque projet de construction et éventuellement d'aménager des zones de livraison mutualisées pour les grands chantiers.

« Sur toutes ces questions, mettre en œuvre l’intelligence collective des différentes parties prenantes dans l’élaboration de ces chartes nous permettra de trouver des solutions », conclut Antoine de Lipowski. Pour l’heure, cinq chartes de logistique urbaine durable ont été signées, mais des dizaines d’autres sont actuellement en cours de création.

ET DEMAIN, DES ROBOTS LIVREURS ?

C’est une première en France : à Montpellier, La Poste expérimente, depuis deux ans, un véhicule autonome électrique pour accompagner la tournée du facteur et faciliter la livraison de 5 000 colis quotidiens. Capable de transporter 300 kg et bardé de capteurs, il se déplace à la vitesse d’un marcheur sur les trottoirs. En Isère et dans le Var, l’entreprise DPD a, quant à elle, déployé deux lignes officielles de livraison par drone, dans des zones isolées. Doit-on s’attendre à la généralisation de ces nouvelles technologies en ville ? « Pour les drones, cela paraît difficile car il faudrait l’autorisation de la Direction générale de l’aviation civile et une évolution de la réglementation. Par ailleurs, se posent des questions de sécurité : collisions, chutes d’objet… », note Éric Veretout, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Le déploiement de ces équipements ne pourra pas se faire sans la prise en compte des risques associés.

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