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Innovation

Les drones, nouveaux champions de la prévention ?

Nettoyage de façade, démoustication, inspection de centrale nucléaire, surveillance des incendies… L’usage de drones est de plus en plus répandu en milieu professionnel. Mais si ces pratiques permettent de supprimer certains risques, sont-elles pour autant suffisamment sécurisées ?

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Corinne Soulay - 30/10/2023
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Illustration humoristique des usages professionnels d'un drone.

Au printemps dernier, la mairie de Villemort, dans la Vienne, a fait appel à une entreprise locale pour nettoyer la façade de son église du XVIIIe siècle. Or, le jour de l’intervention, aucun échafaudage n’a été monté, aucune nacelle installée, aucun cordiste sollicité… Celle-ci a été réalisée à l’aide d’un drone, par pulvérisation d’un produit à base de citronnelle. En deux heures, l’opération était terminée.

Ces dernières années, le recours aux drones – ou « aéronefs sans équipage à bord », comme ils sont dénommés dans la règlementation – s’est considérablement développé dans le cadre professionnel. Selon la Direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC), le nombre d’exploitants en France augmente à raison de 2 000 nouveaux acteurs par an, pour un total actuellement de plus de 8 500. Autre témoignage de cette tendance : le virage stratégique opéré par Parrot, principal fabricant français, qui a décidé, en 2019, d’abandonner le secteur du drone de loisir pour se consacrer pleinement aux engins professionnels.

Les drones et leurs usages professionnels 

Alors que leur usage se limitait au départ à la prise de vues (photos et vidéos), ces aéronefs sont désormais plébiscités pour nettoyer des monuments, démousser des toitures, démoustiquer des zones infestées, surveiller des incendies, réaliser des inspections techniques de ponts, de passerelles ou de centrales nucléaires, s’introduire en milieu souterrain pour repérer des canalisations défectueuses, faire de la photogrammétrie dans le but d’une modélisation 3D, prendre des clichés thermographiques pour déceler des dysfonctionnements de panneaux photovoltaïques... « Les progrès technologiques, notamment l’augmentation de la puissance des moteurs et de l’autonomie des batteries, permettent aujourd’hui de recourir aux drones dans plus de 200 activités, assure Patrice Le Foll, directeur de l’entreprise Drones Ingénierie Systèmes, qui exploite une quinzaine d’engins, mesurant entre 40 cm et 2 m et pesant de 500 g à 25 kg. Les applications ne cessent d’évoluer : demain, on pourra sans doute couper des arbres grâce à des drones ! »

LES TEXTES DE RÉFÉRENCE

Réglement délégué (UE) 2019/ 945 de la commission - du 12 mars 2019 - relatif aux systèmes d'aéronefs sans équipage à bord et aux exploitants, issus de pays tiers, de systèmes d'aéronefs sans équipage à bord (europa.eu)

Réglement d'exécution (UE) 2019/ 947 de la commission - du 24 mai 2019 - concernant les règles et procédures applicables à l'exploitation d'aéronefs sans équipage à bord (europa.eu)

Arrêté du 12 octobre 2018 relatif à la formation exigée des télépilotes qui utilisent des aéronefs civils circulant sans personne à bord à des fins de loisir - Légifrance

En matière de prévention, leur usage présente un atout de taille : en se substituant aux humains pour réaliser certaines tâches, ils permettent de supprimer les risques associés, en particulier ceux liés au travail en hauteur ou en milieu confiné, ou encore l’exposition à des produits chimiques… Guillaume Antoniali, charpentier couvreur-zingueur, à Charly, dans le Rhône, pilote un drone depuis juin 2021 : « Je m’en sers à chaque fois que je vais chez un client, pour prendre les cotes des toitures afin d’établir les devis. Non seulement, je n’ai plus besoin de monter sur le toit, mais il n’y a plus de risque d’erreurs ou d’oublis qui m’obligeraient à revenir plusieurs fois. »

Sur le papier donc, le drone a tout bon en matière de prévention… Mais, en pratique, son usage n’est pas sans risque. À l’INRS, Jean-Christophe Blaise, responsable de laboratoire, attire l’attention sur plusieurs points de vigilance : « Il y a des risques de collision avec un autre objet volant ou fixe, des risques de chute de l’aéronef ou d’un objet – caméra, tuyau, colis… – transporté par le drone, sans compter les rsiques liés aux batteries ceux liés à l'utilisation de l'engin, par exemple, le risque chimique s’il transporte des produits chimiques. » Clémentine Borgeot, experte d’assistance-conseil à l’INRS, pointe, quant à elle, le cas particulier d’une défaillance ou d’une panne de l’appareil : « Des mesures sont-elles prévues à la conception pour permettre un atterrissage sécurisé ? Et si l’engin se retrouve coincé dans un arbre, comment est géré le risque de chute de hauteur pour aller le récupérer ? »

Par ailleurs, comme pour tous les dispositifs qui impliquent de la télé-opération, les opérateurs s’exposent à un risque de surcharge cognitive. « Le pilotage à distance induit une gymnastique mentale constante pour se représenter la position de l’appareil, en fonction des données reçues – altitude, retour vidéo… – , en particulier lorsque quelque chose ne se passe pas comme prévu et qu’il faut intervenir en urgence pour rétablir la trajectoire », précise Liên Wioland, chargée d'études à l’INRS. Cela peut entraîner de la fatigue, une baisse de vigilance… En outre, pour rester concentré, le télépilote peut avoir tendance à se mettre dans une « bulle » qui l’empêche de percevoir les risques de son environnement, notamment en cas de coactivité (collisions engin-piéton…).

Les drones sont-ils des machines ?

Comment tous ces nouveaux risques sont-ils pris en compte ? « D’un point de vue juridique, les drones répondent à la définition d’une machine. Ils relèvent donc de la réglementation relative aux machines qui impose des obligations aux fabricants, importateurs et distributeurs afin de garantir un haut niveau de sécurité pour les utilisateurs. Toutefois, pour les risques liés à la sécurité du vol, deux autres règlements spécifiques datant de 2019 (2019/945 et 2019/947) s'appliquent », précise Jean-Christophe Blaise. Ces textes définissent trois catégories d’opérations de drone – ouverte, spécifique et certifiée – en fonction du niveau de risque, celui-ci dépendant du poids de l’appareil, de ses spécifications techniques ou encore du type de vol (hors ou en agglomération, à proximité ou non de tiers, vol en vue ou hors vue, transport ou non de marchandise dangereuse…) et y associent un certain nombre d’obligations, focalisées essentiellement sur le partage en sécurité de l’espace aérien. Altitude maximale à respecter, distance de vol…

Tous les drones de plus de 250 g et tous les exploitants doivent par ailleurs être enregistrés sur Alpha Tango, la plate-forme de la DGAC. Dans le cadre de la catégorie spécifique, les exploitants de drone déclarent chaque vol à la préfecture et leurs appareils sont tenus de respecter certaines conditions techniques, afin d’assurer la sécurité des tiers. Ils doivent ainsi être dotés d’une fonction coupe-circuit permettant d’arrêter les moteurs en vol, si nécessaire, d’un système de parachute pour les drones de plus de 2 kg et d’un signal sonore qui s’active en cas de perte de contrôle pour les engins excédant 4 kg.

Quant aux télépilotes, selon un arrêté du 18 mai 2018, ils ont l’obligation depuis le 1er juillet 2018 d’être titulaires d’un Certificat d'aptitude théorique de télépilote (Catt), remis par la DGAC après réussite d’un examen composé de 60 questions, complété par une formation pratique. « On leur enseigne les exigences réglementaires, comme les limites de hauteur de vol, mais on leur apprend aussi à calculer la puissance d’une batterie, à lire un bulletin météo pour préparer un vol… Il y a également un volet sécurité des personnes, avec les règles à mettre en œuvre au moment du décollage et de l’atterrissage – baliser la piste d’envol avec des cônes, s’assurer que le drone est posé dans le bons sens, que la zone est dégagée, que personne n’y circule… – ou lorsqu’on croise un autre drone », explique Vincent Dupin, responsable secours et sécurité de l’entreprise Escadrone, qui compte un centre de formation.

Cela suffit-il ? « Les textes réglementaires existants permettent de couvrir un certain nombre de risques professionnels, mais nous avons encore trop peu de recul pour savoir s’ils couvrent l’ensemble des champs de la prévention, remarque Thomas Nivelet, juriste à l’INRS. Il va falloir attendre les retours d’expérience pour s’en assurer. » Dernièrement, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-Osha) a publié un article de discussion sur le sujet, proposant plusieurs recommandations. Parmi lesquelles la nécessité d’augmenter les efforts de normalisation et de proposer une formation approfondie à tous les travailleurs amenés à évoluer à proximité de drones, afin qu’ils soient sensibilisés aux risques et à la manière d'interagir avec ces engins.

UN VOL, ÇA S'ANTICIPE

Guillaume Antoniali, charpentier, couvreur-zingueur et télépilote de drone : « Avant chaque décollage, je vérifie l’état de mon drone, les éléments du moteur, je m’assure que les hélices ne sont pas abîmées, qu’il n’y a pas de fissures, que les vis sont bien serrées, que la batterie n’est pas gonflée. Je consulte également la météo : les caractéristiques du modèle que j’utilise, qui pèse environ 300 g, indiquent qu’il peut résister à des rafales de vent allant jusqu’à 50 km/h donc si le vent est plus fort, j’annule le vol. Même chose s’il pleut : l’appareil n’étant pas imperméable, cela risquerait de l’endommager et d’altérer son fonctionnement avec des risques de chute. Je balise ensuite la zone de décollage et j’enfile un gilet jaune. Je fais en sorte de toujours pouvoir voir mon drone. Si le signal entre la télécommande et l’engin est rompu, il y a une sécurité : le drone retourne à son altitude préenregistrée, puis revient au point de décollage pour y atterrir. Concernant la batterie, je ne la charge pas directement après qu’elle a été utilisée et je ne l’utilise pas non plus tout de suite après un chargement. »

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