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Égalité femmes-hommes

« La prévention ne doit pas être genrée, mais rester universelle »

En 2023, la délégation aux droits des femmes a publié un rapport sur la santé des femmes au travail. Agnès Aublet-Cuvelier, adjointe au directeur des études et recherches à l’INRS, revient sur les constats mis en lumière par les membres du Sénat et leur impact éventuel sur la prévention des risques professionnels.

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Corinne Soulay - 21/05/2024
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Vue d'ensemble de travailleurs d'une grande surface.

Travail & Sécurité. Existe-t-il des différences ou des inégalités entre hommes et femmes face aux risques professionnels ?

Agnès Aublet-Cuvelier. Clairement, les femmes et les hommes ne sont pas égaux face aux risques professionnels. On constate d’abord des différences en termes de sinistralité. Alors qu’on observe une baisse globale des accidents de travail (AT) depuis une vingtaine d’années, si on regarde de plus près, ils ont baissé de 27 % chez les hommes entre 2001 et 2019, mais, sur la même période, ils ont augmenté de 42 % chez les femmes. On s’aperçoit aussi qu’il existe des différences en matière de maladies professionnelles (MP) reconnues. Les femmes présentent ainsi plus de troubles musculosquelettiques (TMS), d’allergies cutanées, et d’épisodes dépressifs – reconnus par le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP). Tandis que chez les hommes, on trouve davantage de cancers, de surdités d’origine professionnelle et d’affections respiratoires en lien avec les poussières de silice le plus souvent. Ce phénomène est lié à plusieurs paramètres, notamment aux types d’emploi, aux secteurs d’activité, ainsi qu’aux postes de travail occupés qui diffèrent entre les hommes et les femmes, mais aussi à des déterminants sociaux et culturels.

La différence de genre peut-elle aussi être à l’origine de vulnérabilités variées vis-à-vis de certains risques ?

A. A.-C. Oui, d’un point de vue physique et physiologique, certaines disparités peuvent avoir un impact. Par exemple, les femmes sont en moyenne de plus petite taille, elles présentent également une plus grande part relative de masse adipeuse que les hommes. Donc, si elles sont exposées à certains solvants lipophiles, ceux-ci peuvent être plus facilement stockés dans l’organisme, sur une période plus longue, avec des conséquences potentiellement plus graves sur la santé, à exposition équivalente à celle des hommes. En termes de thermorégulation, les femmes s’adaptent plus difficilement aux ambiances chaudes, car elles transpirent moins et leur thermorégulation est influencée par le cycle hormonal. Elles vont également avoir une plus grande vulnérabilité vis-à-vis de certains perturbateurs endocriniens, qui vont agir de manière différenciée, en particulier sur la fonction de reproduction et sur le développement de certaines affections hormono-dépendantes. Et donc, elles réagiront différemment à certaines expositions.

Le rapport sénatorial montre aussi que les EPI ne sont pas toujours adaptés aux femmes…

A. A.-C. En effet, ces équipements de protection sont, dans certains milieux professionnels, souvent mis à disposition en fonction d’un homme moyen, et ne sont donc pas forcément adaptés à la taille et à la morphologie d’une femme. Si on prend l’exemple des gants, il n’est pas rare, en entreprise, d’avoir seulement des tailles M ou L, pour s’adapter au plus grand nombre. Or, des gants trop grands peuvent provoquer une gêne et des efforts musculaires supplémentaires si la tâche nécessite de serrer un objet ou de faire de la manutention manuelle, et donc accroître le risque de TMS. Il faut donc être attentif à proposer des EPI adaptés. Cela dépasse d’ailleurs la seule question du sexe, car il existe une grande variabilité morphologique entre les salariés, indépendamment du sexe. Cette réflexion s’applique plus généralement aux outils et équipements de  travail. Une visseuse dotée d’une large poignée ne sera pas adaptée aux caractéristiques morphologiques de certaines personnes qui auront alors des difficultés à la manoeuvrer. Il y a une réflexion à mener avec les concepteurs d’équipement de travail et les entreprises clientes pour proposer différents modèles, afin de donner le choix aux opérateurs.

Plus généralement, une approche sexuée de la santé au travail se justifie-t-elle ?

A. A.-C. Concernant l’évaluation des risques, cette notion d’approche sexuée est inscrite dans la loi. Puisque la nature de certaines expositions et leurs conséquences sur la santé des salariés peuvent s’avérer différentes selon le sexe, l’employeur doit tenir compte de cet impact différencié : les DUERP doivent donc comporter une évaluation des risques qui intègre les disparités hommes-femmes vis-à-vis de certaines expositions. Mais si cela peut avoir du sens en matière d’évaluation des expositions, dans la mise en oeuvre de la prévention, à l’exception des femmes enceintes qui relèvent de dispositions réglementaires spécifiques en droit du travail, l’approche doit rester universelle, collective et adaptée à tous, y compris les personnes les plus vulnérables, quelles que soient leurs caractéristiques physiques et physiologiques, d’âge, de sexe et de santé. En mettant en place de telles démarches de prévention, on peut espérer améliorer les conditions de travail pour tous. On le voit dans les professions traditionnellement masculines, qui se féminisent, avec une baisse des risques liés aux manutentions manuelles notamment. Le fait que les femmes, selon le Code du Travail, ne sont pas autorisées à porter des charges de plus de 25 kg devrait profiter àtout le monde indépendamment du sexe.

REPÈRES

Santé des femmes au travail : des maux invisibles, rapport rédigé par des membres de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, disponible sur le site de l’institution : www.senat.fr

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