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Retour de congé maternité

Expositions professionnelles et allaitement : des connaissances à approfondir

Si des aménagements de poste sont envisageables durant la grossesse pour éloigner les futures mères de l’exposition à certains risques, ils sont beaucoup moins pensés au retour du congé maternité, en période d’allaitement. Or l’allaitement peut s’avérer une voie d’exposition du nourrisson. Face à des connaissances scientifiques parcellaires et un faible questionnement autour de ce sujet, comment prévenir l’éventuel risque ?

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Céline Ravallec - 30/04/2024
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Illustration du sujet allaitement et expositions professionnelles.

« Je reprends mon poste dans un pressing après un congé maternité, puis-je allaiter mon enfant sans risque pour sa santé ? » « Je travaille au contact d’animaux et souhaite continuer à allaiter mon nouveau-né, y a-t-il des précautions à prendre ? » Nombre de médecins du travail se retrouvent confrontés à ce type de questions de la part de femmes reprenant leur activité professionnelle après un congé maternité. Activité qui, dans certains cas, les expose à des substances potentiellement nocives. « Les facteurs de risque sont principalement chimiques et biologiques », explique le Dr Stéphane Caron, médecin-conseil à la direction de la santé environnementale, au travail et de toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), qui a particulièrement étudié le sujet.

Pour les substances chimiques, ce sont par exemple des métaux, solvants, polluants organiques persistants reconnus comme perturbateurs endocriniens tels que le DDT, les dioxines, les polychlorobiphényles (PCB), les phtalates, les retardateurs de flamme pour n’en citer que quelques-uns. Or, s’il est établi que certaines substances de la consommation courante ingérées par la mère passent dans le lait maternel (caféine, nicotine, alcool…), qu’en est-il de substances rencontrées dans l’activité professionnelle ? Et avec quelles conséquences pour l’enfant ? Les études sur le sujet s’avèrent peu nombreuses, les connaissances parcellaires.

Risque chimique et réglementation

Le Code du travail prévoit une interdiction d’affectation des salariées enceintes ou allaitant à certains postes les exposant à des agents chimiques classés toxiques pour la reproduction de catégorie 1A, 1B (repérables par la mention danger H360 « peut nuire à la fertilité ou au fœtus ») ou présentant des effets sur ou via l’allaitement (repérage par la mention H362 « peut être nocif pour les bébés nourris au lait maternel »), selon les critères du règlement CLP. Aujourd’hui, peu de substances chimiques ont été évaluées du point de vue de leur potentielle toxicité sur ou via l’allaitement. Sur des milliers de substances référencées dans l'inventaire des classifications CLP, seules une cinquantaine disposent d’une classification harmonisée vis-à-vis de l’allaitement.

Une synthèse des études portant sur l’exposition professionnelle à des substances chimiques au cours de l’allaitement, publiée par l’INSPQ, a mis en évidence des concentrations de plomb, cuivre, zinc, PCB et solvants organiques plus élevées dans le lait maternel chez des femmes exposées par rapport à des femmes non exposées. L’exposition de la mère peut se faire par voie digestive, respiratoire ou cutanée. La toxicité pour l’enfant dépendra de la forme sous laquelle la substance chimique est présente dans le lait, et de sa concentration. Certaines substances chimiques transiteront sous forme inchangée dans le lait, d’autres subiront une dégradation métabolique. D’autres encore pourront altérer la qualité de l’allaitement du fait de perturbations hormonales.

Le passage potentiel dans le lait dépend aussi des caractéristiques physico-chimiques des substances : certaines passeront davantage dans le lait maternel, certaines s’y concentreront en plus forte proportion. Par ailleurs, l’évaluation des risques pour l’allaitement doit tenir compte des expositions contemporaines mais aussi des expositions antérieures. En effet, certaines substances telles que les métaux peuvent s’accumuler dans l’organisme de la salariée exposée, puis s’éliminer lentement, notamment en contaminant le lait maternel. Selon la nature et la concentration de ces substances dans le lait, des effets toxiques peuvent ainsi survenir chez l’enfant, de façon plus ou moins différée.

État des connaissances limités 

La substance chimique dont les effets en la matière sont les mieux connus est le plomb, à l’origine du saturnisme. En présence d’un lait fortement contaminé du fait d’une exposition passée (l’exposition au plomb étant interdite au cours de la grossesse et de l’allaitement), des conséquences potentiellement graves et irréversibles peuvent survenir chez l’enfant, notamment sur le plan du développement psychomoteur et cognitif. Lorsque le plomb passe dans le lait, sa concentration est de l’ordre de 3 à 10 % de celle mesurée dans le sang maternel. Or l’absorption par les muqueuses digestives de l’enfant dans les premiers mois de vie est différente de chez l’adulte : dans le cas du plomb, on sait que l’absorption sera plus forte chez le nouveau-né que chez l’adulte.

L’INSPQ a défini une méthodologie générale d’évaluation des risques vis-à-vis de l’allaitement dans un contexte d’exposition professionnelle. Cette approche consiste à répondre à plusieurs questions successives : quelles sont les conditions d’exposition de la mère ? Un transfert et une concentration dans le lait maternel sont-ils possibles ? Sa consommation peut-elle entraîner des effets néfastes pour l’enfant ? Si oui, lesquels ? Si cette approche offre une grille de lecture intéressante, « les risques vis-à-vis de l’allaitement, et plus généralement les risques pour la reproduction, sont rarement évalués de façon anticipée, considère Stéphane Malard, expert d’assistance médicale à l’INRS. Dans la plupart des cas, aucune information ne figure dans le document unique à ce sujet, et, quand la question est abordée, elle l’est presque toujours sous le même angle : dès lors que la présence de la substance dans le lait maternel est suspectée, l’approche privilégiée est celle de la précaution, conduisant généralement à un retrait temporaire du poste. » L’évaluation des risques vis-à-vis de l’allaitement devrait au contraire être systématique et anticipée, intégrée à l’approche globale des risques professionnels, en tenant compte de l’impact différencié des expositions professionnelles, tout cela dans une optique d’amélioration globale des conditions de travail. « Si on se fixe pour objectif de protéger la mère, de fait on protégera l’enfant », insiste-t-il.

Anticipation et information

Force est de constater les lacunes importantes autour de cette question. C’est la raison pour laquelle « c’est un sujet que l’on souhaite développer pour mieux outiller à l’avenir les professionnels et les médecins », poursuit le Dr Stéphane Caron. Face à ces connaissances encore parcellaires, le maître-mot est donc l’anticipation. Les salariées en âge de procréer doivent être sensibilisées à l’intérêt de prendre contact avec leur service de prévention et de santé au travail en cas de projet de grossesse. C’est un sujet à aborder dès la première visite d’information et de prévention. Cette information est très importante afin de pouvoir anticiper d’éventuels aménagements de poste ou changement temporaire d’affectation nécessaires en cas de grossesse mais aussi au retour du congé de maternité en cas de désir d’allaitement. « Si on sensibilise au bon moment, cela aura un fort impact sur la prévention », conclut Stéphane Malard.

DES RESSOURCES AU SERVICE DES MÉDECINS DU TRAVAIL

L’INRS met à la disposition des médecins du travail le guide Demeter. Il s’agit d’une série de fiches apportant une aide à l’évaluation du risque pour la reproduction lors de l’exposition à des produits chimiques d’hommes et de femmes en milieu professionnel. Près de 170 substances sont répertoriées. Il définit, pour le médecin du travail, les conduites à tenir, en fonction de différents contextes d’exposition : avant la conception, pendant la grossesse et au cours de l’allaitement.

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