Ce projet d’écologie industrielle a vocation à révolutionner l’activité de l’usine historique de Solvay, à Dombasle-sur-Meurthe, en Meurthe-et-Moselle. Fondé en 1873, le site est spécialisé dans la production de carbonate et de bicarbonate de sodium à partir de calcaire et de sel lorrains. Le projet, baptisé Dombasle Énergie, prévoit la construction d’une chaufferie équipée de deux fours à combustibles solides de récupération (CSR) de déchets non dangereux ne pouvant être recyclés, pour remplacer les trois chaudières à charbon existantes. La fabrication de carbonate et de bicarbonate de sodium est très énergivore, notamment pour la production de vapeur qu’elle nécessite. Solvay, qui disposait de la place pour implanter la chaufferie et la raccorder à l’usine, s’est associée à Veolia, qui exploitera l’installation et assurera les approvisionnements en CSR.
Des travaux colossaux ont été lancés en 2022 avec, à la clé, de quoi pérenniser l’activité de l’usine en améliorant son empreinte environnementale : réduction de 50 % des émissions de CO2 associées à la production d’énergie - le projet va permettre également d’arrêter l’importation annuelle de 200 000 tonnes de charbon. Mais, rapidement, sur ce chantier hors normes, où travaillent jusqu’à 200 personnes et une vingtaine d’entreprises, des difficultés opérationnelles sont apparues. Forte charge cognitive, exigences imposées par le client mal comprises des entreprises extérieures, nécessité de jongler entre les réunions et les tâches à accomplir, manque de communication... À la demande de la Carsat Nord-Est, Solvay fait réaliser une évaluation des facteurs de risques psychosociaux (RPS). Le cabinet Apave, qui en a été chargé, est intervenu entre septembre et novembre 2023.
« C’est assez inédit mais Solvay, qui avait une solide maîtrise des risques physiques classiques, a cherché à aller plus loin en intervenant sur ce champ, explique Benoît-Yves Lozac’h, contrôleur de sécurité à la Carsat Nord-Est. J’avais notamment fait le constat que la mise en place de procédures venant de la chimie pouvait être incomprise par les différents acteurs du chantier de construction. Il y avait des maillons redondants dans la chaîne de validation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’oeuvre, avec une supervision client mal vécue. »
Audit et solutions
Alertée, l’entreprise s’interroge et, anticipant les résultats de l’audit, modifie son organisation. La multiplication des superviseurs HSE (hygiène, sécurité, environnement), notamment, conduisait à faire circuler des informations différentes. Sur une telle opération, l’adaptabilité doit être permanente. La construction en coffrage glissant de la fosse de stockage des CSR, d’une capacité de 15 000 m3, a par exemple très vite transformé l’environnement de travail. « Nous devions gérer des activités de génie civil éloignées de nos pratiques et de nos standards. Une phase d’apprentissage a été nécessaire », reconnaît Nicolas Chemin, responsable projet Solvay.
« L’audit s’est fait à partir d’entretiens collectifs et individuels auprès des différentes entités sur la base du volontariat, combinés à des observations de terrain », précise Fiona Sanna, consultante pour le cabinet Apave. Celle-ci s’est appuyée sur l’analyse des facteurs de RPS (intensité et complexité du travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, rapports sociaux au travail dégradés, conflits de valeurs, insécurité de l’emploi et du travail), sans rechercher de responsabilités ni à apporter de solutions préétablies. L’anonymat était garanti pour permettre une plus grande liberté de parole.
« Nous menions initialement des actions, probablement justifiées, sur les manquements observés mais avec peu de valorisation des bonnes pratiques et des comportements vertueux, ce que nous avons mis en place auprès des compagnons et des chefs d’équipe », évoque Marc Batissou, directeur de chantier à Solvay. Une réponse qui vient en écho à la restitution de l’audit, réalisée devant le comité de pilotage. Parmi les pistes de progrès qui ont émergé, notamment, la révision du contenu de certaines réunions et l’élargissement de la liste des entreprises conviées. « Nous avons une organisation qui permet d’avoir des modes opératoires spécifiques, prenant en compte l’environnement de travail. Il a fallu expliquer en quoi cela pouvait être structurant et permettait de préparer les opérations en sécurité, en mettant en œuvre les moyens en adéquation avec l’analyse de risques réalisée », précise Éric Capelle, manager HSE sur le chantier. Il s’agissait ainsi de mieux expliquer certaines exigences.
Point d’ancrage du fonctionnement quotidien du chantier, la réunion « infocentre ». Organisée à 11 heures, elle permet, pendant une vingtaine de minutes, de s’imprégner de l’avancement des opérations : météo sur trois jours, informations générales, bonnes pratiques, pistes d’amélioration, livraisons à venir, gestion de la coactivité... Si un événement, quel qu’il soit, est en cours, les interactions transverses sont détaillées ici, avec les acteurs chargés de la supervision du chantier et les représentants des entreprises en présence, soit en moyenne une trentaine de personnes. Objectifs : éviter les situations où les exigences de planning sont perçues comme déconnectées du terrain ; mieux mettre en cohérence le déroulé des opérations ; comprendre les changements de dernière minute et les mesures de sécurité à respecter. « L’entreprise a créé de nouvelles instances d’échanges pour éviter les tensions sur chantier, anticiper les difficultés, faire en sorte que chacun ait le sentiment d’être écouté », reprend Benoît Lozac’h. « On ne partait pas de rien, mais le prestataire nous a amené un regard neuf qui nous a permis de fluidifier les rapports », constate Nicolas Chemin. Un plan d’action à plus long terme est en construction, avec toujours un axe fort sur la communication, pour ne pas générer de charge cognitive inutile. Et peut-être l’expérience pourra-t-elle être reconduite sur d’autres sites industriels ou chantiers. Les nouveaux équipements seront mis en test en 2025 pour alimenter le site industriel attenant. Un début, puisque la décarbonation des usines fait partie de la feuille de route développement durable du groupe.
FICHE D'IDENTITÉ
Entreprise : Solvay
Lieu : Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe-et-Moselle)
Activité : production de carbonate et de bicarbonate de sodium
Effectif : l’usine emploie 550 personnes sur son site. Le chantier Dombasle Énergie mobilise pendant deux ans une vingtaine d’entreprises avec une moyenne de 150 personnes dédiées sur site.