Confortablement assis sous sa véranda, les champs verdoyants du Loir-et-Cher à perte de vue, Yves, 89 ans, lunettes vissées sur le nez, parcourt les pages de La Nouvelle République. Sur son bureau, à portée de main, un grand verre de menthe à l’eau qu’il sirote à la paille. La matinée touche à sa fin… Bientôt, Jennifer Penisson, auxiliaire de vie à l’ADMR 41, viendra lui préparer son déjeuner, livré par l’association. Des prestations qui permettent à Yves de rester vivre chez lui , malgré sa mobilité réduite nécessitant l’usage d’un fauteuil roulant, dans son village de quelque 700 âmes situé à une quinzaine de kilomètres de Blois.
« L’ADMR 41 compte 1 000 salariés, dont une grande majorité d’aides à domicile qui sillonnent tout le département, explique le directeur de la Fédération ADMR Loir-et-Cher, Alexandre Hausknost. Ils se rendent chez les bénéficiaires pour la toilette, l’habillage, les repas, leur tenir compagnie, faire des courses, du ménage, des ateliers de stimulation cognitive… Les missions sont diverses. »
À son arrivée chez Yves, Jennifer Penisson commence par l’accompagner aux toilettes. Le transfert de la position assise à la station debout et le déplacement jusqu’aux sanitaires se font en limitant les contraintes physiques : l’auxiliaire de vie dispose d’un verticalisateur et a reçu une formation en ergomotricité afin de manipuler en sécurité les personnes et réduire au maximum les risques de troubles musculosquelettiques (TMS) et les accidents de travail. Le fruit d’une démarche QVCT mise en œuvre par l’ADMR 41 depuis 2020 et portée par Loïc Loutrel, ergonome au travail : « Dans un premier temps, nous avons réalisé un prédiagnostic en nous appuyant sur un questionnaire. Nous nous sommes aussi basés sur l’étude de la sinistralité, des analyses d’activité ainsi que des entretiens collectifs. »
Priorité à la formation
Les résultats ont été restitués en CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail). Premier constat : les manutentions sont à l’origine de 70 % des accidents de travail à domicile, et sources de TMS. « Sur ce sujet, les auxiliaires de vie sont très tributaires des aides techniques à leur disposition ou non chez les bénéficiaires. Et même lorsqu’il y en a, elles peuvent être vétustes ou bien le logement ne se prête pas à leur utilisation. Impossible par exemple d’utiliser un lève-personne si le sol est recouvert de moquette », pointe Claire Marcins, élue CSE et auxiliaire de vie à l’ADMR 41.
À la suite de ces observations, un premier plan d’actions, 2021-2023, a été construit avec les élus du CSE. L’une des 30 mesures a été de renforcer la formation des aides à domicile. La durée et la fréquence de celles dédiées à l’ergomotricité ont augmenté, passant de un à deux jours par an. Des « référents mobilité des personnes » ont aussi été nommés et formés. « Nous sommes des relais pour les autres auxiliaires, décrit Jennifer Penisson, qui occupe cette fonction. Si l’un d’eux a des difficultés, par exemple, si un bénéficiaire de retour d’hospitalisation se révèle plus compliqué à manipuler ou nécessite des toilettes au lit, nous pouvons venir sur place afin d’analyser l’environnement de travail et de proposer des solutions, voire former les collègues. »
Chaque nouvel embauché bénéficie aussi de l’accompagnement d’un référent pour ses premiers pas à l’ADMR. « Nous intervenons à domicile en tant que “doublure” pour leur montrer les aides techniques, etc., poursuit-elle. Et ce, jusqu’à ce qu’ils se sentent à l’aise. Parfois il suffit de deux jours, parfois quinze. On prend le temps qu’il faut. »
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : ADMR 41
Lieu : Blois (Loir-et-Cher)
Activité : services à la personne
Effectif : 1 000 salariés environ, dont la majorité (800) d’aides à domicile, mais également des aide-soignants, techniciens d’intervention sociale et familiale, responsables de secteur, jardiniers…
L’ADMR 41 a également acquis des aides à la manutention, des draps de glisse pour faciliter le transfert des patients alités et des disques de transfert pour passer de la position assise sur le lit au fauteuil, par exemple. Ceux-ci sont mis à disposition dans les 17 maisons de services du département, des points d’accueil où sont regroupés les membres du personnel administratif, en particulier les responsables de secteur, interlocuteurs privilégiés des aides à domicile.
« Ces différentes mesures ont fait l’objet d’un accompagnement par la Carsat au travers d’un contrat de prévention, note Christophe Depogny, contrôleur de sécurité à la Carsat Centre-Val de Loire. Le directeur a également suivi une formation spécifique aux dirigeants afin d’être sensibilisé aux risques professionnels auxquels sont exposés les salariés sur le terrain. C’est intéressant car cela permet que tout le monde se comprenne. »
Prendre en compte le risque routier
Au bout de 45 minutes, le repas est terminé, la vaisselle faite, Jennifer Penisson s’assure qu’Yves ne manque de rien. Elle repassera dans quelques heures pour le goûter, puis le dîner, mais entretemps, elle doit rendre visite à d’autres bénéficiaires. Elle monte à bord de sa voiture, discrètement floquée au nom de l’ADMR 41. Les trajets constituent une part importante du temps de travail, d’où la nécessité de prendre en compte le risque routier. « Cela fait partie de notre plan d’actions, confirme Loïc Loutrel. Depuis peu, les aides à domicile en contrat de 130 heures par mois peuvent bénéficier d’une voiture et ont suivi une formation à l’écoconduite. »
« Nous planifions les interventions des salariés afin qu’ils opèrent dans un rayon de 15-20 kilomètres. La distance moyenne parcourue entre les domiciles de deux bénéficiaires est de 6 km », ajoute Pauline Petit, responsable du secteur de Mer, où officie Jennifer Penisson. Des améliorations ont aussi été réalisées pour fluidifier la communication entre les professionnels et pallier les problèmes d’organisation. « Le circuit téléphonique, notamment, a été revu afin que les aides à domicile puissent joindre plus facilement leur responsable de secteur. C’est moins stressant », se réjouit Loïc Loutrel.
L’évaluation de ce premier plan d’actions, quoique positive, a permis d’entrevoir des pistes de progrès et d’enclencher un second plan jusqu’en 2025. Les référents mobilité devraient monter en compétence sur l’analyse des accidents de travail et tous les professionnels suivre une formation complémentaire sur les risques professionnels. « Il y a autant de lieux de travail que de domiciles de bénéficiaires, c’est impossible de tous les visiter, argue l’ergonome. L’objectif est que chacun apprenne à analyser son environnement de travail pour réduire les risques. »
RETOUR SUR LA DÉMARCHE QVCT AVEC LOÏC LOUTREL, ERGONOME AU TRAVAIL
« En 2020, l’ADMR souhaitait améliorer la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT) de tous ses salariés. Parallèlement, l’Agence régionale de santé (ARS) proposait de soutenir des partenariats visant à créer une culture QVCT dans le secteur de l’accompagnement des personnes âgées et/ou en perte d’autonomie, avec la possibilité de mutualiser des postes de préventeurs. Dans ce cadre, l’ADMR 41 a monté un projet avec le groupement départemental d’Ehpad Sepia et le dispositif d’appui à la coordination Santé escale 41. J’ai été embauché en tant qu’ergonome. La première phase a consisté à mener un prédiagnostic : nous avons envoyé le questionnaire Satin, un outil d’investigation des conditions de travail et de la santé créé par l’INRS, à l’ensemble des salariés de l’ADMR 41, le personnel d’intervention mais aussi le personnel support. La première fois, nous avons eu 733 retours, soit 61 % de répondants. Parmi les enseignements surprenants, le personnel administratif témoignait de presque autant de douleurs physiques que les aides à domicile !
Nous avons complété ce dispositif par des analyses d’activité et des échanges sous forme de groupes de travail. Les résultats ont permis de construire avec les délégués du personnel un plan d’actions sur la période 2021-2023. Pour améliorer les conditions de travail du personnel administratif, j’ai formé les salariés et adapté l’ensemble de leurs postes de travail. En complément, nous avons fait appel à la médecine du travail pour les salariés avec des TMS, soit une quinzaine de postes. Pour les aides à domicile, un nombre important de mesures concernait la réduction des risques liés aux manutentions, pour lesquels nous avons pu compter sur une aide financière de la Carsat : formations en ergomotricité renforcées, création de la fonction “référent mobilité des personnes”, mise à disposition de disques de transfert et draps de glisse en maison des services… Nous avons aussi mis en place des actions à destination des nouveaux embauchés, comme la remise d’un sac d’intervention. À l’issue de ce plan, une cartographie RPS a été réalisée et un nouveau questionnaire a été envoyé afin d’évaluer l’impact des premières mesures, tirer des conclusions et mettre en oeuvre un nouveau plan d’actions 2023-2025. Le taux de satisfaction du premier plan était important, avec 85 % de retours positifs en moyenne. L’expérimentation des draps de glisse, par exemple, a été positive, mais les tests ont montré qu’ils étaient disponibles en trop petite quantité et que leur format (trop court) et leur matière (pas assez résistante) n’étaient pas adaptés à tous les bénéficiaires. Le nouveau plan prévoit donc que chaque aide à domicile amenée à réaliser des manutentions dispose de son propre drap de glisse adapté et d’un kit de désinfection. Parmi les autres mesures, entre autres, le renforcement des missions des référents mobilité, une formation pour rendre les professionnels acteurs de leur propre sécurité via une analyse de leur environnement de travail, la mise à disposition de voitures pour les aides à domicile ou encore le déploiement des téléphones professionnels pour l’ensemble du personnel d’intervention afin de mieux cloisonner vie professionnelle et vie personnelle et de mieux gérer les changements de programme. »