À l’extrémité du cap de la Revellata, en Corse, on devine plus qu’on ne voit, depuis Calvi, la Station de recherches sous-marines et océanographiques. Un lieu unique, difficile d’accès, équipé de laboratoires, de salles de cours, ainsi que d'une infrastructure de plongée et d'un port abri. Dans ce lieu privilégié, la Carsat Sud-Est est intervenue pour accompagner l’établissement dans la prévention des risques professionnels.
Dans l'une des anses du golfe de Calvi, en contrebas d’un phare, on devine des bâtiments. De couleur ocre, parfaitement intégrée au cap de la Revellata, c’est là qu’a été fondée en 1972 la Station de recherches sous-marines et océanographiques (Stareso), qui accueille des chercheurs français mais aussi du monde entier. Sur ce site privilégié, un peu en dehors de tout, la Carsat est intervenue pour conseiller et accompagner l’entreprise dans la prévention des risques professionnels.
« L’université de Liège, en Belgique, a toujours été spécialisée en biologie marine, explique Pierre Lejeune, le directeur de Stareso. Dans les années 1960, elle cherchait à avoir un centre de recherche sur le terrain. » Le littoral le plus proche de Liège est certes flamand. Mais les relations n’étant pas au beau fixe entre Flamands et Wallons, l’université devra se tourner vers un autre lieu, un site où la mer est chaude et où on parle français. Le recteur de l’université passant ses vacances en Corse, il s’intéresse au cap de la Revellata où un important lotissement est en projet : les terrains sont viabilisés, l’électricité amenée, de même que l’eau.
Le lotissement ne verra jamais le jour, mais l’université persiste et finit par s’installer. Son architecte, Claude Strebelle, fait construire un bâtiment moderne pour l’époque, dans lequel l’université belge restera jusqu’en 1988, loin de tout, au bout d’une route peu carrossable. « Aujourd’hui, lance Pierre Lejeune, Stareso est depuis 35 ans une institution corse de droit privé, dont le propriétaire est une fondation sans but lucratif. Sa vocation est la recherche fondamentale et l’encadrement d’étudiants et de doctorants travaillant sur la faune et la flore sous-marines ».
Le rendez-vous a été donné sur le parking devant un panneau indiquant la station de recherche. C’est là qu’Hervé Arranz, l’un des vingt permanents (lire l'encadré ci-dessus), responsable maintenance, vient nous chercher en 4 x 4. Avec Cyril Steibel, ils sont notamment chargés d’acheminer les visiteurs – chercheurs, stagiaires, etc. « Nous essayons de mutualiser au maximum les déplacements, explique ce dernier. Car la route est vraiment mauvaise, les véhicules souffrent, mais nous aussi. Par exemple, aujourd’hui, je vais déposer le linge sale à la blanchisserie de Calvi, à une dizaine de kilomètres, et récupérer du linge propre, passer prendre une commande dans un magasin de bricolage et faire quelques courses pour la cuisine. »
En cette période, le site accueille quatre chercheuses américaines de l’université de Santa Cruz pour un mois, nourries et logées comme tous les visiteurs scientifiques venant travailler à Stareso. Elles s’ajoutent à la quinzaine de chercheurs qui travaillent à l’année pour l’institution, et aux cinq logisticiens dont deux cuisiniers alternant trois jours chacun pour confectionner les trois repas quotidiens d’avril à octobre.
Un nouveau labo
En 2022, Bruno Breyton Perfetti, contrôleur de sécurité de la Carsat Sud-Est, intervient dans la station de recherche. « Juste à côté du bureau des permanents, il y avait un laboratoire d’analyse dans lequel étaient utilisés des produits chimiques dont du formaldéhyde, qui est un CMR, explique-t-il. Il n’était équipé que d’une VMC. » Ses remarques et conseils sont entendus et la fondation se lance dans des travaux pour créer un nouveau laboratoire. « Toute transformation touchant les bâtiments est compliquée, explique Michel Marengo, le directeur scientifique. Car nous n’avons pas le droit d’agrandir, ni de faire des modifications qui se voient de l’extérieur. »
Au final, l’ancien laboratoire est transformé en bureau pour le directeur, et le laboratoire recréé un peu plus loin. Il bénéficie désormais d’une sorbonne à ventilation verticale et d’une vitre amovible. Un caisson ventilé, sous la paillasse, complète l’installation. « Depuis l’intervention de la Carsat, j’ai été nommée responsable sécurité, explique Mélodie Chapat, technicienne de laboratoire. J’ai identifié les différents produits chimiques, dont de l’acétone, de l’éthanol, et du formaldéhyde. J’ai récupéré toutes les fiches de données de sécurité, entré les produits dans le logiciel Seirich 1 afin d’identifier leurs risques et les EPI à porter pour se protéger. On cherche également à en réduire l’usage, notamment celui du formaldéhyde. Mais ça n’est pas évident. » Il s’avère en effet indispensable pour conserver les échantillons prélevés dans la mer et les analyser sur plusieurs années.
Plonger sans risque
Derrière une porte dont elle détient la clé, Mélodie Chapat nous montre le nouveau lieu de stockage des produits chimiques – et ses armoires ventilées – installé avec l’aide de la Carsat. Pour approfondir ses connaissances en matière de prévention des risques professionnels, la jeune femme ira suivre une formation de deux jours proposés par la Caisse régionale, à Bastia. Quasiment tous les chercheurs sont aussi plongeurs. Depuis le quai, trois chercheuses s’équipent pour une sortie. « Il y a beaucoup trop de vent pour faire une sortie de plongée depuis un bateau », explique Michel Marengo. Sécurité oblige. Dans un local dédié, une vingtaine de bouteilles de plongée sont stockées, sous l’œil avisé de Sylvain Plazza, le responsable plongée. « On n’a jamais eu d’accident de plongée, insiste-t-il. Mais il faut toujours être derrière les plongeurs. Si on respecte les règles, les consignes du manuel de sécurité hyperbare, la météo avec du matériel et un bateau en bon état, il n’y a pas de problème. »
Parmi les règles, non négociables, pas de plongée au-delà de 40 mètres sur le centre de recherches. En cas de doute, il vérifie les paramètres associés à la plongée, comme la durée, la profondeur... C’est également lui qui vérifie les diplômes des salariés, les recyclages (tous les cinq ans), ainsi que les visites médicales. « Tous les ans, ils doivent être vus par le médecin hyperbare d’Ajaccio, précise-t-il. Il vérifie notamment la consommation de tabac, le surpoids, le taux de cholestérol… si le plongeur présente l’un de ces facteurs, il devra pratiquer un test à l’effort. » Le plongeur peut ainsi se voir infliger une limitation de profondeur ou une interdiction définitive de plonger… professionnellement, bien entendu.
« Et comment faites-vous pour des chercheurs non salariés par Stareso ? », questionne Bruno Breyton Perfetti. « Je vérifie leur carte de plongée, le certificat médical, et ils signent une décharge. Pour ce qui est des Américaines, par exemple, cela va plus loin car elles ont un mouchard sur leurs bouteilles qui envoie les données de plongée directement à leur université, à Santa Cruz, en Californie. » Lorsque les plongées ont lieu depuis l’un des trois bateaux (bientôt quatre) de Stareso, elles se déroulent toujours à deux personnes sous l’eau. Un troisième individu assure obligatoirement la sécurité en surface. L’objectif étant de bien gérer son temps et de revenir avec au moins 50 bars dans la bouteille.
Sur le quai, une des chercheuses américaines a les yeux rivés sur un écran. Elle lance, non sans malice : « I am a fish paparazzi ! » Comprenez : « Je suis une paparazzi des poissons ». Car elle observe des poissons grâce à un ROV, un Remotes operated vehicle, un petit robot sous-marin. Si celui de la jeune femme appartient à son université, le centre de recherches en a acquis deux, l’un pouvant aller jusqu’à 80 mètres, l’autre, plus récent, jusqu’à 300 mètres. Sortes de drones sous-marins, ils complètent parfaitement les plongées et permettent d’obtenir des images sous-marines en toute sécurité. « Nous avons ainsi facilement des images sur un site en prospection », souligne Hervé Arranz qui les pilote.
La baie de Calvi ayant une profondeur allant de 3 mètres à 2 000 mètres, le dernier ROV acquis pourra remonter des images de zones non explorées. Il est équipé de six moteurs, pèse 27 kg et peut filmer avec deux caméras. Deux phares permettent d’éclairer les fonds avec 1 200 lumens. Le ROV reste relié à un câble pendant la plongée et la batterie bénéficie d’une autonomie de 8 heures. Pour l’heure, seul Hervé sait piloter les ROV, un travail qu’il réalise toujours avec un scientifique. Mais il va former d’autres permanents. « Il faut être vigilant, pour ne pas coincer le câble, précise-t-il… le vent est notre principal problème, car il peut le faire vite dériver. »
Tout prévoir
Hervé Arranz bénéficie d’un atelier et d’un local de stockage où l’on trouve de tout, parfois en double, au cas où... Une véritable caverne d’Ali Baba. Comme il est question de le réorganiser, Bruno Breyton Perfetti insiste sur la prévention du risque chimique – et notamment le stockage des peintures, solvants et autres vernis – dans une armoire ventilée, ainsi que sur les accès aux étagères les plus hautes. « Une chute est vite arrivée, vous devriez penser à acquérir une plate-forme individuelle roulante légère », lance-t-il.
Le site étant difficile d’accès et isolé, chaque permanent est sauveteur secouriste du travail. « On fait également intervenir quelqu’un pour former aux gestes des premiers secours, remarque Michel Marengo. Et comme ce site est très atypique, nous servons, au moins une fois par an, de lieu d’entraînement aux pompiers pour des opérations d’hélitreuillage. »
Le bâtiment, à l’architecture particulièrement originale, est bourré de recoins et d’espaces ouverts, qui assurent ainsi une ventilation naturelle des plus agréables. Par ailleurs, une coursive technique permet au responsable de la maintenance d’intervenir en toute sécurité et à hauteur d’homme sur les circuits d’eau chaude, d’eau froide, de gaz et d’électricité. Et comme le bâtiment date de plus de 50 ans, et qu’il est situé en bord de mer, il y a tout le temps quelque chose à faire. C’est aussi ce qui fait son charme.
UN CENTRE DE RECHERCHE
Stareso emploie une vingtaine de personnes en permanence. Seules quatre personnes habitent sur place, toute l’année. Un système de navette amène quotidiennement les salariés sur site, limitant le nombre de trajets. À partir du mois d’avril, le site accueille des chercheurs en résidence et leur offre la possibilité d’être logés et de se restaurer, avec une majorité de places en dortoirs et quelques chambres individuelles (47 couchages au total, ce qui représente 5 000 nuitées chaque année). Interlocuteur privilégié des collectivités locales, Stareso propose, outre la recherche fondamentale en milieu marin, différents services : expertises et études d'impact lors de la construction ou l'extension d'ouvrages marins (ports, émissaires, recul de plage...)