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Inclusion

Pour faire avancer la prévention, la surdité n’est pas un handicap

Intervenant sur le complexe de loisirs Disneyland Paris, à Chessy, en Seine-et-Marne, l’entreprise BTB-GES, spécialisée dans la conception et la réalisation d’installations électriques, a embauché un chef d’équipe sourd. Une inclusion dont elle a fait un atout et qui contribue à renforcer la culture sécurité de l’entreprise.

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Grégory Brasseur - 09/10/2024
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Vue d'une situation de travail au sein de l’entreprise BTB-GES.

Il avait le profil idéal. Passionné d’électricité, excellent technicien et encadrant vigilant, ne transigeant jamais sur le respect des normes de sécurité et de qualité, Ivan Gonçalves Oliveira est depuis deux ans chef d’équipe au sein de l’entreprise BTB-GES, actuellement en charge de l’installation des réseaux électriques en courants fort et faible sur un chantier de Disney de Chessy, en Seine-et-Marne. Lorsque nous le rencontrons avec l’un des compagnons dans un data center, pour une intervention sur une panne, un détail attire notre attention : le symbole de l’oreille barrée sur sa chasuble de sécurité. Ivan est sourd.

À ce poste et sur un chantier de cette ampleur, la situation n’est pas classique. Pour autant, l’entreprise a choisi d’en faire un atout. « Je n’ai pas embauché un sourd, j’ai embauché un électricien. Ivan a été intérimaire sur l’un de nos chantiers pour la RATP. Lorsque l’on a décroché ce marché chez Disney, j’ai immédiatement pensé à lui pour ses compétences et la qualité de son travail », affirme Luis Lourenço, directeur d’agence. BTB-GES appartient au groupe GCC, et plus particulièrement à son pôle Énergie. L’entreprise déploie 75 personnes sur le chantier du complexe de loisirs Disneyland Paris, intervenant sur la construction des futures attractions.

33 mois est la durée prévue sur le chantier de Disney pour les travaux courant fort/courant faible, ce qui représente 160 000 heures de production chantier.

« Nous avons besoin de main-d’œuvre qualifiée, poursuit le chef d’agence. Cela aurait été une erreur de considérer son handicap comme un frein. Bien sûr, la question de la sécurité s’est posée. Collectivement, nous avons réfléchi pour adapter l’organisation. » Pour cela, BTB-GES a fait appel à l’entreprise De bouche à oreille (DBAO), qui est venue passer deux jours sur site pour observer le travail, évaluer les besoins et proposer des solutions adaptées à l’activité, qui ont ensuite été débattues collectivement.

Adapter le travail à l'homme

Porter sur lui un vêtement de sécurité affichant son handicap permet à Ivan Gonçalves Oliveira d’être identifié facilement par les acteurs du chantier, sur lequel la coactivité est importante. Il ne s’agirait pas de le surprendre en venant lui taper dans le dos. Le chef d’équipe a bien entendu donné son accord pour porter le symbole de façon visible. Grâce à Rudy Nikolic, un salarié de l’entreprise affecté sur un autre chantier à Orly et parlant couramment la langue des signes française, nous recueillons son point de vue.

« J’avais quatre ans d’expérience dans l’intérim. En me proposant ce poste en CDI, BTB-GES m’a permis d’évoluer. Donner des directives, j’en suis capable, explique l’intéressé. Bien sûr, il a fallu travailler sur la communication. Nous utilisons le mime, les supports écrits, les plans... L’entreprise nous a donné les outils nécessaires. Aujourd’hui, tout est fluide et la question du handicap ne se pose plus. J’ai carte blanche sur l’organisation de mes chantiers et le matériel dont j’ai besoin. »

Son équipe, constituée de trois personnes, a été dotée de lampes torches avec flash, pour s’appeler sans se toucher et communiquer rapidement. Chacun a un bipeur grâce auquel des messages pré-écrits sont transmis. « Où es-tu ? » « J’ai besoin d’aide ! » Le chef d’équipe y répond individuellement ou avec un message collectif. « C’est comme si on avait développé notre propre langage. On a réappris à fonctionner et à mieux gérer certaines situations », témoigne un collègue.

 On trouve toujours une façon de communiquer 

Pour s’adresser à Ivan, qui pratique la lecture labiale, on lui parle distinctement en se plaçant face à lui. « Cette embauche a très largement participé à apaiser l’équipe et abaisser les tensions. Ivan n’entend pas, mais il écoute. Et avec un interlocuteur sourd, il est inutile de crier. Sur le chantier, ça incite à prendre de bons réflexes, assure Luis Lourenço. Dans des métiers où les risques sont nombreux, on ne fait rien de bien dans l’énervement et la précipitation. C’est souvent quand on va trop vite que les accidents du travail se produisent. Ensemble, on a réappris à prendre le temps. »

« Étant né sourd, je me suis toujours montré vigilant vis-à-vis de mon environnement. En tant que responsable d’équipe, la sécurité des autres est ma priorité. Si un opérateur utilise une gazelle - un type de plate-forme individuelle roulante légère - sans refermer le garde-corps, j’interviens. On trouve toujours une façon de communiquer », affirme Ivan Gonçalves Oliveira. Lui, prône la vigilance partagée, qui imprègne la culture d’entreprise. Tout le monde connaît son handicap. Il fait attention aux autres, qui font attention à lui et, par ricochet, chacun est plus vigilant à la sécurité de celui qui n’a pas de handicap.

Vue d'une situation de travail au sein de l'entreprise BTB-GES.

« Nous envisageons de proposer des formations à la langue des signes, reprend Luis Lourenço. Lors des grandes réunions, nous prenons un interprète. Ivan ne doit jamais se sentir isolé. » « BTB m’a proposé de devenir tuteur, nous explique Rudy Nikolic, né de parents malentendants, et dont la langue des signes est la langue maternelle. Derrière, il y a la volonté de l’entreprise de mettre en place un accompagnement pour accueillir des jeunes sourds en alternance. » « Nous voulons donner accès à des stages, à des contrats de professionnalisation. Il ne faut pas se priver d’une réserve de talents inexploités qui peuvent énormément nous apporter », soutient Luis Lourenço.

Pourquoi devrait-on cantonner les personnes en situation de handicap à certaines tâches, au risque qu’elles cherchent à le dissimuler, en se mettant en danger ? « Il n’y a aucune révolution technique dans ce que BTB a mis en place, affirme Gilles Brévan, contrôleur de sécurité à la Cramif. Ils ont adapté le métier à l’homme, ce qui est l’application des principes généraux de prévention. En prouvant qu’avec une organisation appropriée, même dans des métiers réputés durs, c’est possible. »

FICHE D'IDENTITÉ

Nom : BTB Génie électrique et services

Lieu : Chessy (Seine-et-Marne)

Activité : conception et réalisation d’installations électriques (travaux neufs, réhabilitation, maintenance). L’entreprise fait partie du groupe GCC.

Effectif : 250 salariés. 75 interviennent actuellement sur le complexe de loisirs Disneyland Paris, en Seine-et-Marne.

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