À la sortie de Châteauneuf-sur-Sarthe, dans le Maine-et-Loire, sur la route de Juvardeil, le chantier de construction de quatre logements individuels, initié par le maître d’ouvrage Podeliha, avance bien. Les murs sont montés, le menuisier s’attelle aux repérages pour l’installation des fenêtres et les charpentiers s’apprêtent à poser la dernière charpente, composée de quatorze fermettes. Or, pour le moment, l’emplacement du toit du quatrième pavillon se résume à un trou béant, et aucun professionnel ne s’active en hauteur sur les têtes de murs.
« Nous privilégions la technique de l’assemblage des fermettes au sol, puis nous montons l’ensemble grâce à notre camion-grue ou une grue de location avec chauffeur, justifie Guillaume Mullard, conducteur de travaux et co-gérant d’ACB Construction, l’entreprise en charge des charpentes. Cela réduit au maximum les risques de chutes de hauteur et les salariés sont beaucoup moins fatigués à la fin de la journée que s’ils avaient dû passer des heures en équilibre, là-haut, à déplacer des fermettes entre les pignons. »
Aux abords du chantier, une douzaine de charpentiers du département, conviés par la Carsat Pays de la Loire pour assister à l’opération, s’interrogent sur les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’une telle méthode. « Cela implique de disposer d’un espace à proximité du bâtiment pour installer la plate-forme d’assemblage et de s’organiser en amont avec les différents corps de métier afin de limiter la coactivité au moment de l’opération. C’est la seule contrainte », les rassure Jérôme Chouteau, contrôleur de sécurité à la Carsat. Concrètement, soit, au moment de l’appel d’offres, le plan d’installation de chantier (PIC) ou un plan masse permet de repérer une zone adaptée, soit celle-ci n’est pas suffisante ou pas clairement identifiée. Le cas échéant, le conducteur de travaux se rapproche du maître d’ouvrage pour trouver une autre solution, par exemple empiéter – après avoir obtenu une autorisation préalable – sur des parcelles voisines ou sur la voirie.
Une technique bien rôdée
« La plupart des chantiers se prêtent à un assemblage au sol, assure Guillaume Mullard. En quinze ans, rares sont les cas où nous avons été obligés de travailler en hauteur. La dernière fois, c’était il y a trois ans, sur un terrain particulièrement complexe, en pente raide, à flanc de coteaux. » Quelques jours avant le début de l’opération, le conducteur de travaux a réalisé une visite de chantier afin de s’assurer que les conditions prévues étaient bien réunies. À savoir que les abords du bâtiment sont accessibles, les voies circulables, les fondations bouchées et qu’il ne subsiste pas de tas de terre qui pourraient gêner l’intervention.
Le jour J, la première étape consiste à matérialiser au sol les têtes de murs à l’aide de deux poutres en bois lamellé-collé. Pas besoin de disposer d’une surface parfaitement plane, des cales permettent de mettre les poutres à niveau et de corriger les irrégularités de terrain. La construction du « puzzle » géant en 3D peut alors commencer : les charpentiers fixent les sablières, des pièces de bois destinées à être vissées sur le haut des murs et sur lesquelles la charpente sera posée. Ils disposent ensuite les fermettes, puis les contreventements qui assurent la stabilité de l’ouvrage, et, enfin, les lisses filantes qui servent à éviter les déformations transversales. Les charpentiers en profitent aussi pour installer le platelage qui permettra de circuler en sécurité dans les combles en cas d’intervention ultérieure.
Un levage par demi-bloc
Lorsqu’un premier ensemble de sept fermettes est prêt, des élingues sont mises en place pour le levage. « Nous procédons par demi-bloc car cela permet de réduire la surface nécessaire au sol pour l’assemblage ainsi qu’un ajustage plus aisé du bloc contre le pignon maçonné, précise Guillaume Mullard. Si nous montions la totalité de la charpente d’un seul coup, nous risquerions au moment de la pose, de faire tomber les pignons maçonnés. » Le camion-grue s’approche, les élingues sont fixées au crochet, et la charpente s’envole doucement pour rejoindre le haut du pavillon. Juché sur une nacelle élévatrice, sécurisé par un harnais, le chef d’équipe manœuvre le tout, pour ajuster la charpente à sa place définitive.
L’opération terminée, l’assemblage au sol des sept autres fermettes reprend, selon la même chorégraphie parfaitement huilée. Une fois le second demi-bloc en place, il ne reste qu’à fixer les sablières aux murs. Là encore, le risque de chutes de hauteur est supprimé : l’intervention est réalisée depuis l’intérieur du bâtiment, à l’aide d’un échafaudage roulant ou d’une plate-forme individuelle roulante (Pirl).
Parmi les charpentiers invités, si l’intérêt en matière de prévention ne fait pas de doute, un frein subsiste : est-ce rentable économiquement ? « On estime le gain à 20 % au moins, en termes de temps de travail et de moyens mis en œuvre, assène Jérôme Chouteau. D’ailleurs, sur ce chantier en marché public, le devis d’ACB Construction était moins élevé que celui de ses concurrents, qui proposaient un assemblage en hauteur. » Concernant les moyens de levage, la Carsat encourage à la mise en commun : « Aujourd’hui, l’entreprise disposait de son propre camion-grue, mais dans la plupart des cas on pourrait bénéficier de la grue du maçon lorsque la mutualisation des moyens est prévue par le maître d’ouvrage », poursuit-il.
Côté ACB Construction, le calcul est fait depuis longtemps : « En tout, entre l’assemblage, le levage et la pose, l’opération de ce matin a pris seulement deux heures, et n’aura nécessité que deux charpentiers et le chauffeur-grutier alors qu’une pose en hauteur aurait exigé au moins trois charpentiers et beaucoup plus de temps. Le gain est certain et la sécurité assurée », conclut Guillaume Mullard.
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : ACB Construction
Lieu : siège à Etriché (Maine-et-Loire)
Activité : charpentes et ossatures en bois, couvertures, maisons et extensions en bois…
Effectif : 30 (21 charpentiers sur chantier et en atelier, 9 administratifs)