Mme D. a revêtu une robe ornée d’une broche pour nous accueillir. Elle termine son petit-déjeuner préparé par Corinne Marchadoux, auxiliaire de vie du CCAS (Centre communal d’action sociale) de Cenon, en Gironde. Elle s’apprête à être transférée dans son fauteuil, à l’aide d’un lève-personne. Véronique Mondaut, référente prévention au CCAS, la rassure : « Faites comme d’habitude ! » Cette dernière, montée en compétences à l’occasion de la vaste démarche de prévention des risques professionnels déclenchée par le CCAS, est devenue formatrice interne.
« En 2019, nous étions en grande difficulté, se remémore Pierre Leveau, chef du service autonomie à domicile du CCAS. Nous avions un taux d’absentéisme très important, sans indicateur fiable et la pile de fiches de remontées de terrain s’amoncelait. » Il s’est tourné alors vers la Carsat Aquitaine pour intégrer le programme « Aidants/aidés, une qualité de vie à préserver ». « C’est un accompagnement méthodologique et financier, qui vise à faire converger les notions de qualité de vie au travail et de maintien à domicile de qualité en cherchant notamment à réduire les chutes et les troubles musculosquelettiques (TMS), résume Frédérique Caumontat, contrôleuse de sécurité à la Carsat Aquitaine. Le tout en s’appuyant sur la mobilité du bénéficiaire et l’adaptation des domiciles aux interventions. »
Pour ce faire, le CCAS se fait accompagner par un cabinet conseil spécialisé en ergonomie. Première action : mettre en place une gouvernance pour piloter la démarche. Dirigeants et élus du CCAS suivent une journée de formation à la Carsat. L’organigramme est modifié, la responsable qualité devient responsable Qualité, sécurité et environnement. « Cela signifie que la qualité de la prestation proposée est au même niveau que la sécurité des agents », souligne Pierre Leveau. Une cellule prévention voit le jour, avec des réunions hebdomadaires pour analyser les remontées de terrain. Des outils de pilotage et de suivi sont créés. « Avant, on éteignait des incendies. Là, nous sommes devenus proactifs », poursuit-il.
Des équipements qui répondent aux besoins
Dans un second temps, les aides à domicile sont sollicitées pour le choix des aides techniques. « On en a testé du matériel, se remémore Véronique Mondaut. Nous avons opté pour des équipements répondant aux besoins à domicile. » Un kit, tenant dans un sac à dos, est désormais remis à chaque intervenante à domicile. Il contient notamment un drap de glisse, une moufle de glisse, un disque de transfert, une sangle de rehaussement… Devenue formatrice Prap2S, et sauveteur secouriste du travail depuis peu, la référente prévention a également demandé à être formatrice APS ASD : « J’ai de la chance, le CCAS me permet d’évoluer. »
Le jour de notre venue, avaient lieu les deux heures de permanence technique qu’elle propose. Quatre intervenantes à domicile étaient inscrites. « C’est toujours bien d’avoir des piqûres de rappel », lance Johanna Guimaraes, aide à domicile volante. La formation est joyeuse, chacune se prête au jeu pour être bénéficiaire ou jouer son propre rôle. « Elles peuvent ainsi se rendre compte de ce que ressent l’usager », relève la formatrice. À cette occasion, elles évoquent une situation problématique chez un usager. Véronique Mondaut se rendra le lendemain à son domicile pour évaluer la situation.
« Le cabinet d’ergonomie m’a sensibilisée à la réalisation de diagnostics complexes, je peux les réaliser seule », explique-t-elle. La situation de cette personne sera évoquée lors de la prochaine cellule prévention. Quelles pourraient être les solutions ? « Une proposition de réaménagement du logement, le prêt d’aides techniques sur un temps défini, une incitation à acheter du matériel médicalisé, des interventions en binôme, résume Maud Chambrier, la responsable QSE. Mais il faudra tenir compte de ses capacités financières. » La difficulté étant de poser des limites. « Le maintien à domicile à tout prix ne peut se faire au détriment de la santé de nos salariés », insiste Pierre Leveau.
Soulager les intervenantes
Le CCAS embauche environ dix personnes chaque année. Malgré un salaire entre 1 850 et 1 900 € nets, il doit faire face à des difficultés de recrutement. Un parcours d’intégration a été mis en place, avec un tutorat par agent, de un à cinq jours. Au bout de deux jours, la responsable de secteur fait le point. « On est passé du terme de “contrôle”, à celui d’“accompagnement” aux bonnes pratiques », précise Maud Chambrier. Les interventions sont sectorisées – et même sous-sectorisées – par le binôme responsable de secteur/agent de planification, afin de limiter les trajets, même si les intervacations sont prises en charge. « J’ai mes enfants une semaine sur deux, il en est tenu compte dans mes plannings. J’ai également demandé à travailler un week-end sur deux », remarque Johanna Guimaraes.
Ce sont également les responsables de secteurs qui établissent les visites de repérages à partir de la grille de la Carsat que l’établissement s’est réappropriée. Côté pratique, les intervenantes sont dotées d’un téléphone professionnel sur lequel elles visualisent les fiches missions. « J’ai le numéro de téléphone de la sœur de Mme D., indique Corinne Marchadoux. Je connais son histoire de vie, son degré d’autonomie... » Le portable lui permet aussi de valider ses heures d’intervention. « Nous avons élaboré un guide pratique sur les conditions d’intervention avec l’aide des agents de terrain, remarque Maud Chambrier. Il explique les missions des agents, mais aussi les limites de leurs interventions. Par exemple, il est noté : “je peux aller faire les courses d’un bénéficiaire à pied, à condition qu’il me fournisse un caddie à roulettes”. »
Bien d’autres chantiers sont en cours. Les plus importants concernent les cycles de travail – notamment le week-end et le soir – de façon à équilibrer la charge de travail de l’équipe, et la mise en place d’heures de prévention et d’animation auprès des personnes accompagnées. En test, elles proviennent d’une dotation du département de la Gironde. « Pour nous, avec ce projet, il s’agit d’améliorer les conditions de travail des aides à domicile en leur permettant de diversifier leurs missions, explique Maud Chambrier, mais également de permettre la préservation de l’autonomie, la stimulation cognitive/motrice et le maintien du lien social pour les personnes accompagnées. »
Les outils de pilotage mis en place alimentent le document unique, revu tous les ans et alimenté par les accidents du travail… « Ils sont partis de très loin, mais ils ont tout compris », conclut Frédérique Caumontat.
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : service autonomie à domicile du CCAS de Cenon
Lieu : Cenon (Gironde)
Effectif : 130 personnes, dont 70 aides à domicile
Activité : intervention à domicile ; livraison de repas et courses ; transport à la demande
Nombre de bénéficiaires : 480