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Carrière

Depuis les cailloux jusqu’au béton

À moins de 30 mètres de l’aéroport de Bastia, en Corse, Cico – à l’origine pour Compagnie industrielle de concassage – est une carrière qui produit des granulats, du béton et des matériaux de construction. Détenue par Colas et Pierre Natali (un entrepreneur local), elle bénéficie du cadre donné par la politique sécurité du groupe et d’un gérant de proximité, à laquelle s’ajoutent des avancées sur le sujet réalisées avec l’aide de la Carsat Sud-Est. Sans oublier une participation active des salariés.

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Delphine Vaudoux - 07/10/2024
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« Elles sont là depuis toujours : nous sommes habitués à elles et elles sont habituées à nous. » C’est ainsi que Jean-Daniel Allet, chef de centre de la carrière Cico, située à Bastia, justifie la présence de vaches – pacifiques – sur la carrière qu’il dirige. Si cette présence relativement atypique n’est pas particulièrement considérée comme un problème, le personnel de cette carrière doit faire face aux risques plus classiques du secteur, comme la circulation, les poussières, le bruit, les chutes, la pénibilité de certains postes, l’ensevelissement ou la noyade.

Ce site, spécialisé dans l’extraction, le traitement des cailloux, la fabrication de béton et d’agglos emploie 30 personnes. Il a une emprise de 127 ha sur lesquels se trouvent huit bassins, dont certains – déjà exploités – ont été rendus à la nature. « Chaque année, nous extrayons 350 à 400 000 tonnes de matériaux, dont 100 000 tonnes sont consommées par nos installations », précise le chef de centre.

L’extraction est en cours sur l’un des bassins, à proximité des installations fixes. Spectaculaire, elle se déroule à l’aide d’une pelle à câble. L’engin est sur la rive, et à l’extrémité de câbles est accroché un godet. « Je plonge le godet dans l’eau et le ramène – plein si possible – pour déposer le contenu sur un talus », explique Jean-Baptiste Bozieglav, conducteur de pelle à câble, autrement dénommé dragueur, et membre du CSE. Les risques à ce poste sont nombreux, mais depuis que la carrière a intégré le groupe Colas, « les choses ont évolué dans le bon sens, précise-t-il, car le groupe affiche l’ambition “zéro accident”. On organise des quarts d’heure sécurité chaque semaine et plus fréquemment si nécessaire. Côté formation, matériel, on a accès à tout… et nous sommes particulièrement vigilants avec les nouveaux que l’on accompagne le temps qu’il faut dans leur prise de poste. »

Son engin pèse 130 tonnes. L’un des principaux risques de cette activité est le sous-cavage, à savoir le risque de creuser sous l’engin et ainsi de le faire basculer dans l’eau. « Nous avons pris le soin de choisir ce modèle qui, de par sa conception, ne peut pas sous-caver », explique Patrick Frangini, le responsable qualité, sécurité, environnement (QSE). Le travail s’effectuant au bord de l'eau, le risque de chute existe tout de même : le conducteur est équipé d’un gilet de sauvetage gonflable et des bouées ont été disposées autour du bassin. De plus, sur le talkie-walkie qu’il porte en permanence, un système PTI (protection travailleur isolé) est accroché afin de détecter une personne allongée. Dans ce cas, une alerte est envoyée à l’ensemble des talkies-walkies, puis des SMS et des appels aux différents responsables.

Travail à l’aveugle

Malgré les vitres fumées de l’engin, les dragueurs sont équipés de lunettes de soleil car, à la longue, la réverbération du soleil sur le plan d’eau avait tendance à les éblouir. Loïc Lagrabe, un autre dragueur, arrive pour prendre le relais de Jean-Baptiste. Il a positionné son camion – équipé d’un panneau interdisant l’accès de la zone pendant le draguage – afin de bien délimiter le secteur. Un temps d’échange entre les deux hommes leur permet de savoir ce que le premier a réalisé durant sa vacation.

« Il ne faut pas oublier que nous travaillons à l’aveugle, sous l’eau », explique Jean-Baptiste Bozieglav. « On doit travailler en strates, donc il est important de savoir ce que chacun fait avant de prendre la suite », complète Loïc Lagrabe. Une fois les 8 à 10 tonnes de matériaux alluvionnaires contenus dans chaque godet déversés sur le talus, celles-ci seront reprises après quelques jours d’égouttage pour être chargées sur une trémie qui les amènera au traitement des cailloux, « par une troisième personne, également dragueur. Cela permet d’avoir une équipe d’extraction qui tourne sur deux postes très liés », explique Patrick Frangini.

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Cico : extraction et production de matériaux pour la construction

Les quelque deux kilomètres de tapis déployés sur le site font l’objet de nombreuses opérations de maintenance. L’ensemble des pièces doit par exemple être graissé très régulièrement. Pour ce faire, l’établis- sement a opté pour le pilotage à distance des cartouches de graisse, grâce au réseau wifi. En fonction de divers paramètres, le graissage est plus ou moins important, et lorsque la cartouche est presque vide, l’opérateur est informé et peut intervenir pour la changer.

Les rouleaux, situés sous les tapis convoyeurs, s’usent et doivent être changés au moins une fois par an. Alors qu’auparavant, il fallait soulever le tapis à la barre à mine, les interventions se font maintenant facilement en glissant sous le tapis un boudin qui est gonflé pour accéder aux rouleaux. Quant au chargement des tapis, il se fait à l’aide d’engins dotés d’un système de filtration d’air équivalent à un filtre P3. Les cabines sont pressurisées à 100-150 Pa pour éviter l'entrée d'air extérieur.

Réduire les manutentions

Les agglos, parpaings et autres moellons fabriqués sur le site sont destinés à alimenter des chantiers à Bastia, au Cap Corse, en Balagne ou en Plaine orientale. Au total, chaque année, Cico sort environ 35 000 tonnes d’agglos, ce qui représente 2 millions d’unités. Pour charger les camions, des chariots élévateurs électriques ont été testés mais ils n’ont pas donné satisfaction, car ils doivent être capables de tenir 10 heures sans être rechargés. Le poste de pilotage de l’unité de fabrication est climatisé, vitré, et offre une large vue sur la fabrication.

À l’extérieur, un tapis peseur approvisionne en sable ou gravillons une trémie, auxquels du ciment et de l’eau sont ajoutés. Le malaxeur entre alors en action puis approvisionne les moules qui sont ensuite tassés, compactés et que l’on fait vibrer pour « remplir au maximum les alvéoles en un minimum de temps », souligne Patrick Cozzani, opérateur presse. Chaque fois qu’un étage complet destiné à réaliser une palette est prêt, un outil, acquis avec l’aide de la Carsat, le retourne. « Cela permet aux maçons, lorsque leur palette est livrée, d’avoir les agglos dans le bon sens pour la pose… cela réduit considérablement les manutentions », remarque Bruno Breyton Perfetti, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est.

Un moule pèse plus de 500 kg. « Chaque jour, nous réalisons un lavage total de l’installation des moules, insiste Patrick Cozzoni. Et au moins une fois par semaine, nous changeons de moules. » Des opérations qui impliquent de laver les éléments par en dessous… « Avec une potence, vous pourriez suspendre et retourner le moule pour intervenir perpendiculairement, avec nettement moins de postures contraignantes », remarque Bruno Breyton Perfetti.

« Cico bonjour… 16 m3 ? Il vous faut ça pour quand ? Lundi matin 8 h 30, c’est bon pour vous ? On se rappelle le matin. Merci à vous. » Nous sommes à la centrale à béton. Aux commandes, Édouard Sanna, centraliste BPE (pour béton prêt à l’emploi). Casque audio sur la tête et yeux rivés sur trois écrans, il gère le chargement des toupies à béton. Avant d’être remplis, les camions sont lavés, puis ils passent au poste de chargement. « Pendant le chargement qui dure environ 10 minutes pour 8 m3, les chauffeurs ont une salle d’attente à disposition dans laquelle ils peuvent se détendre, prendre un café, se restaurer ou prendre une douche, explique-t-il. On fabrique environ 250 m3 de béton par jour, ce qui représente le chargement d’une trentaine de camions. »

Tout est fléché : les chauffeurs, convoqués à un horaire précis pour le remplissage de leur toupie, attendent dans une zone au niveau des parkings afin de limiter les embouteillages. Là encore, Édouard Sanna pilote la grande majorité des opérations depuis sa cabine fermée, limitant ainsi les expositions aux poussières et au bruit.

Cailloux et poussières

Quant à l’installation de traitement des cailloux, en maintenance lors de notre venue, elle apporte les cailloux par des bandes transporteuses dans un scalpeur qui va écarter les blocs les plus volumineux. Le reste passe dans un premier crible qui permet de séparer les cailloux de l’argile afin de renvoyer cette dernière dans les bassins. La partie ayant la bonne granulométrie est vendue, celle qui ne l’est pas est stockée sur une pile au milieu de laquelle passe un tunnel avec une trémie qui permet d’envoyer les cailloux dans un concasseur en fonction des besoins et des granulométries attendues.

Toutes ces étapes produisent beaucoup de poussières. Pour les réduire, des asperseurs télécommandables sont disposés. Joignant le geste à la parole, Patrick Frangini les fait mettre en marche : « Je trouve que le jet est trop important. On va modifier ces installations, et s’orienter plutôt vers des brumisateurs qui devraient être plus efficaces et moins gourmands en eau. » Quant au personnel, celui circulant à bord des engins bénéficie de cabines fermées, pressurisées. Celui au sol, rare il est vrai, intervient avec des cagoules ventilées pour se protéger des poussières.

Dernière installation visitée : l’atelier de réparation. Il a été entièrement revu, grâce à une aide de la Carsat. Avec sa hauteur dépassant les 7 mètres et une superficie de plus de 700 m2, il peut accueillir des engins particulièrement encombrants. « Avant, tout ce qui était retournement de pièce était compliqué, souligne Maxime Damiani, opérateur à la maintenance. Avec le pont roulant qui peut déplacer des éléments de plus de 6 tonnes, tout est plus simple. » On y réalise de nombreuses réparations nécessitant fréquemment des soudures. « Son ouverture totale permet de faire entrer et sortir entièrement des engins, de toujours travailler à l’abri. Cela a été particulièrement bien pensé », remarque Bruno Breyton Perfetti. Le projet a été dessiné puis soumis aux salariés pour recueillir leurs remarques.

« On le voit, les risques professionnels sont bien gérés, chez Cico, remarque le contrôleur de sécurité. Il reste bien évidemment toujours des points à améliorer, en soudure peut-être et aussi au niveau des vibrations. Nous allons, avec le centre interrégional de mesures physiques de Montpellier, mener une campagne de mesures des vibrations sur les engins, au poste de commande de l’installation de granulats et à celui de l’agglo. Car ce sont des postes où il peut y avoir des vibrations importantes… À l’établissement ensuite de prendre les mesures de prévention. »

LE CASIER AMIANTE

Le site de Cico possède un casier amiante d’une capacité de 20 000 tonnes - qui n’accueille que 10 000 tonnes, en raison du recouvrement quotidien indispensable. Un projet d'un deuxième casier est en cours - afin de réceptionner les déchets amiantés issus du BTP. Pour y accéder, les clients doivent remplir un document afin d’obtenir un certificat d’acceptation préalable. Ils doivent ensuite apporter ces déchets dans des emballages conformes, bien conditionnés. Cinq à six personnes sont formées à la prévention du risque amiante pour les opérations de sous-section 4. Si les emballages ne sont pas conformes ou qu’ils sont déchirés, elles respectent alors le protocole amiante (double combinaison fermée hermétiquement, gants, masque à aduction d’air), pour réparer la déchirure. Cependant, si l’emballage est trop endommagé, une entreprise agréée intervient sur site.

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