Chaque année, en France, le secteur de la propreté enregistre près de 2 300 000 journées de travail perdues, dues aux accidents du travail, de trajet, ou aux maladies professionnelles. « À cela s’ajoute le fait que beaucoup de salariés de ce secteur travaillent pour plusieurs employeurs, ont des temps partiels, des horaires décalés… et que trop souvent, les donneurs d’ordres imposent leurs conditions de travail », précise Maud Artaud-Janicki, ingénieure-conseil et référente propreté à la Carsat Rhône-Alpes. Fort de ce constat, le réseau Assurance maladie-risques professionnels a lancé en 2021 une convention nationale d’objectifs (CNO) pour ce secteur, afin de mettre en œuvre des contrats de prévention pour les entreprises de moins de 200 salariés.
Agility, dont le siège est à Tignieu-Jameyzieu, en Isère, en a bénéficié. Elle emploie 140 salariés, dont 120 sur le terrain, soit 65 équivalents temps plein (ETP). « Nous proposons des prestations de propreté pour des régies, des bureaux ou encore des copropriétés et devions faire face à une croissance d’activité. Nous ne voulions pas que cette croissance soit synonyme d’altération des conditions de travail », précise Émilie Effantin, directrice générale d’Agility. Grâce au Spenra (Syndicat patronal des entreprises de nettoyage Rhône-Alpes), Guillaume Giuntini, le président de l’entreprise, se rapproche de la Carsat Rhône-Alpes et Maud Artaud-Janicki lui propose rapidement un contrat de prévention.
Une ceinture et deux sacoches
« Les dirigeants d’Agility se sont lancés dans une approche globale de la prévention des risques profes-sionnels, souligne-t-elle, portant aussi bien sur les aspects organisationnels, techniques et humains. Ils ont commencé par réaliser une analyse des risques, puis ils les ont hiérarchisés, avant d’avoir une démarche proactive. » Premier risque identifié : les RPS chez les managers de proximité, dus notamment aux contraintes fortes imposées par les donneurs d’ordres. Autres risques identifiés : les chutes de plain-pied et de hauteur, les manutentions et les TMS. Deux personnes seront formées APTMS, dont Rémi Verdu-Lubrano, le responsable d’exploitation.
Les dirigeants d’Agility repèrent également un nouveau matériel, proposant la pré-imprégnation : deux petites sacoches à accrocher à une ceinture – l’une pour les franges propres, l’autre pour les sales – associées à une raclette sur laquelle les franges peuvent être fixées. « Dans certains locaux, il nous arrive de ne pas avoir accès à un point d’eau, ou bien de ne pas pouvoir utiliser de chariot pour transporter notre matériel, explique le responsable d’exploitation. Avec la micro-imprégnation, c’est simple : je verse quelques millilitres de produit de nettoyage dans une sacoche auxquels j’ajoute 1,2 l d’eau. Je mets cinq franges à tremper, et je suis opérationnel. »
C’est parti pour la salle de sport du Château Frontonas, à laquelle on accède par un escalier. « Une frange peut nettoyer environ 20 m2, poursuit-il. Mais on ne peut pas s’en servir sur des sols poreux ou de la terre battue, ni sur des sols très sales ou des milieux industriels. » Parmi les avantages qu’il y trouve : une forte réduction du port de charge, notamment dans les escaliers, et de la dose de produit, ainsi qu’un séchage rapide. Les franges souillées sont stockées pour être ensuite lavées. « On cherche le plus possible à installer des machines à laver sur les sites des clients », concède Émilie Effantin. Pour l’heure, les cinq kits achetés par Agility sont testés par les opérateurs de terrain les plus aguerris. « Car il faut qu’ils soient à l’aise dans leur travail pour pouvoir changer leurs habitudes et me faire un retour », reprend Rémi Verdu-Lubrano, déjà convaincu.
Un gilet aux multiples poches
Autre entreprise de nettoyage ayant opté pour la pré-imprégnation, Time Propreté. Employant 138 salariés (62 ETP), elle est installée à La Talaudière, dans la Loire. Elle a en charge le nettoyage de salles de spectacles, de copropriétés, de bureaux, de collectivités… « En 2019, cette entreprise avait pas mal d’accidents du travail, et son dirigeant, Jean-Pierre Minjard, très impliqué dans des instances syndicales ou professionnelles, avait à cœur de s’attaquer aux risques professionnels. Elle a commencé par revoir son DUERP, puis a formé des APTMS », explique Bérengère Meunier, contrôleuse de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes.
« La moyenne d’âge de nos salariés est de 44 ans, complète le dirigeant. On devait faire face à des problèmes d’inaptitude, de port de charge… sans parler des chutes dans les escaliers. » « On nous dit de tenir la rampe, remarque Fabienne Lyonnet, agent très qualifié de service . Mais c’est compliqué avec un balai et un seau dans chaque main… »
En 2021, dans le cadre de l’Association Progrès Management, un club d’entreprises ligériennes, Jean-Pierre Minjard côtoie le dirigeant de T2S, une entreprise spécialisée dans la sécurité et la signalisation routière. Il lui expose son problème, lui propose un cahier des charges pour la réalisation d’un gilet de micro-imprégnation : « Nos salariés portaient déjà une chasuble, je voulais l’améliorer en créant des poches pour les fibres pré-imprégnées et des fentes pour glisser les chiffons à poussières. »
Plusieurs prototypes voient le jour en 2022, avant que Time Propreté en adopte un, pour le faire tester par ses équipes. « Cela s’est fait en six mois. Il a fallu notamment créer des poches totalement étanches, revoir les tailles proposées pour que le gilet puisse être porté aussi bien en été qu’en hiver, par-dessus les vêtements des agents… », se remémore Olivier Bonnevialle, dirigeant de T2S.
Depuis plus d’un an, le gilet est déployé au sein de Time Propreté. Aujourd’hui, Fabienne le porte pour l’entretien du showroom de T2S. « Dès que l’on a peu d’accès à l’eau, des mezzanines ou des escaliers, cela nous évite de porter des seaux de 8 kg. C’est bien pratique… tout est dans les poches ! », lance‑t-elle. À ce jour, Jean-Pierre Minjard estime qu’il est utilisé sur 40 % des sites entretenus par son entreprise, mais il souhaiterait porter ce taux à 60 %. « C’est compliqué de faire accepter le changement, souligne Meriem Ghellam, cheffe d’équipe. Il faut que les opérateurs le voient comme une évolution de leur métier… Pour les gradins de salles de spectacles par exemple, ce système est bien adapté. »
Ces équipements, qui devraient être généralisés dans ces entreprises, doivent encore faire l’objet d’évaluations afin de s’assurer qu’ils participent effectivement à l’amé-lioration des conditions de travail sans créer de nouvelles gênes.
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : Agility
Effectif : 140 salariés
Secteur : Isère
Activité : nettoyage, conciergerie, désinsectisation et dératisation
Nom : Time Propreté
Effectif : 138 salariés
Secteur : Loire
Activité : nettoyage industriel et classique, remise en état…