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Fabrication de chaussures

Une organisation à mi-chemin entre artisanat et industrie

Avec un fort renouvellement des équipes après de nombreux départs à la retraite ces dernières années, le fabricant de chaussures haut de gamme Paraboot adopte un renouveau tant dans sa culture d’entreprise que dans son approche des conditions de travail. Si la qualité des produits réclame un travail essentiellement manuel, les aménagements des postes de travail et les équipements doivent permettre de faire entrer la modernité au sein de cette entreprise plus que centenaire.

8 minutes de lecture
Céline Ravallec - 06/11/2024
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« C’est l’humain qui fait 100 % de la qualité de nos produits. » Par ce constat, Patrick*, le directeur de production de Richard Pontvert, résume la place prépondérante qu’occupe le travail manuel dans l’entreprise. C’est d’ici que sortent les chaussures haut de gamme de la marque Paraboot commercialisées en France et pour une large part au Japon mais aussi en Belgique, Italie, Chine… Fabriquer une paire de chaussures nécessite près de 150 étapes. Vulcanisation, découpe du cuir, piquage, montage, bichonnage sont autant d’ateliers qui contribuent à la création de ces modèles. Un travail méticuleux, qui fait appel à un savoir-faire spécifique.

Depuis sept ans, l’activité est localisée sur le site de Saint-Jean-de-Moirans, en Isère, après la réunion de ses deux usines basées jusqu’alors sur les communes voisines de Sillans et Tullins. Cet emménagement a apporté un vent de modernité dans une organisation à mi-chemin entre artisanat et industrie. « À l’époque, l’entreprise avait fait l’objet d’un accompagnement par la Carsat Rhône-Alpes sur la conception des locaux, qui avait porté sur les flux, l’organisation et le dimensionnement des réseaux de ventilation », explique Stéphane Roberget, contrôleur de sécurité à la caisse régionale.

Comme en témoignent ces installations au niveau de l’atelier de vulcanisation et sur la ligne de montage. Pour les machines ayant suivi le déménagement, un programme de remise aux normes avait été déployé, se montant à plusieurs dizaines de milliers d’euros. En parallèle, l’acquisition de nouvelles machines a modernisé certaines tâches. À l’image de la table de découpe automatique des cuirs, qui contribue à supprimer de nombreuses manipulations. Auparavant, la découpe se faisait à l’aide d’emporte-pièces, qui sont des pièces métalliques lourdes. Aujourd’hui, la table de découpe est automatique, il suffit d’y positionner les peaux puis de lancer les programmes de découpe. Cette machine engendre beaucoup moins de sollicitations des membres supérieurs.

Le travail est encore très manuel dans cette entreprise fondée en 1908 par Rémy-Alexis Richard. C’est aujourd’hui la quatrième génération de la famille qui dirige ce groupe, d’où sortent également les marques Paraboot Pro et Galibier. Environ 140 salariés œuvrent dans cette « Entreprise du patrimoine vivant », label attribué aux entreprises françaises artisanales et industrielles aux savoir-faire rares et d’exception. « Notre travail connaît beaucoup de répétabilité, décrit encore Patrick. Mais si l’activité présente beaucoup de répétitions de gestes, les temps de cycles sont assez longs. Nous ne fonctionnons pas avec des cadences phénoménales. » Des rythmes qui permettent de limiter l’exposition du personnel à des troubles musculosquelettiques, même si l’entreprise est ciblée par le programme national de l'Assurance maladie-risques professionnnels TMS Pros du fait de plusieurs cas reconnus de tendinopathies. « Je suis même surprise que nous n’ayons pas plus de TMS recensés vu la nature de notre activité », constate Laurène, la responsable amélioration continue.

Assistances mécaniques

Machine à monter, machine à cramponner, fraiseuse, four… L’atelier Montage compte un alignement de machines de différentes générations. À chaque poste, une opération spécifique est réalisée, qui succède à la précédente. Chaque salarié a son poste attitré. « Il y a des grands, des petits, c’est important que les machines soient réglables en hauteur », souligne Vincent, l’un des deux responsables de l’atelier. La position de la genouillère par exemple – le dispositif actionné par le genou pour activer la machine – demande à être à bonne hauteur pour chacun. Certaines machines, comme la machine à retourner, qui rabat la tige sous la semelle, ont permis de supprimer des gestes manuels contraignants. Cette dernière est par ailleurs équipée d’une barrière de protection immatérielle.

Si le confort de travail constitue un élément essentiel à la réalisation des gestes précis nécessaires pour assurer la qualité des produits, il participe également à la préservation de la santé du personnel… De la même façon, la polyvalence est une pratique qui est encouragée, mais les postes ne sont pas pour autant interchangeables facilement. « Mon poste m'a demandé quatre mois de formation pour le maîtriser pleinement », décrit Maxence, opérateur à la couture de la trépointe. À la finition, un gros travail sur l’ergonomie des postes a été mené en fin d’année 2023. « L’implantation est totalement différente aujourd’hui, explique Rose, agent de maîtrise à la finition et la broche, et ancienne élue à l'épo–que du CHSCT : les postes de travail sont neufs, les machines sont installées selon la taille des personnes et la luminosité est adaptée aux tâches. Chaque poste a été personnalisé en fonction des besoins des opératrices et opérateurs. »

Les flux ont aussi été revus. Devant chaque poste, des marquages au sol délimitent les zones où positionner les chariots de stockage des en-cours en transit. Au poste lacets, un stockeur dynamique a été installé, alors qu’encore récemment, les lacets étaient entreposés dans des tiroirs.

Changement progressif de culture

Une journée à l’atelier débute par une réunion de 10 minutes pour identifier les éventuels problèmes rencontrés la veille. Les plus simples sont traités immédiatement lorsque c’est possible. « Nous fonctionnons autour de quatre indicateurs, reprend Patrick : sécurité, qualité, délais, coûts. » À 8 h 30 se tient une deuxième réunion avec ce dernier. C’est l’occasion de faire remonter les imprévus et irritants qui n’ont pu être traités et résolus immédiatement, et qui devront faire l’objet d’un traitement plus approfondi.

« Nous héritons d’une culture d’entreprise qui a longtemps été descendante, poursuit-il. Notre objectif est de remettre le dialogue au cœur du système, de faire en sorte d’être informés lorsque des problèmes surviennent pour les régler au plus vite. Notre approche du “droit à l’erreur” vise à encourager les remontées, libérer la parole, et permet de responsabiliser chacun. C’est un changement de culture, héritée d’une longue histoire dans cette entreprise familiale. Ici, nous faisons de l’artisanat à grande échelle, et la culture orale a ses limites. »

Avec 40 % de l’effectif renouvelé ces trois dernières années, l’entreprise est entrée dans une phase de renouveau. La vague de départs massifs à la retraite de ces dernières années s’est accompagnée d’un risque de perte d’un savoir-faire qui ne s’enseigne plus dans les écoles. D’où l’ambition de créer une « Paraboot Academy » en interne pour former les recrues aux métiers et les familiariser à la culture de l’entreprise. Rajeunissement de l’effectif, changement de culture, modernisation des outils de travail, renouvellement de la gamme... Tout se transforme.

Certaines activités plus confidentielles sont aussi réalisées dans l’usine, comme la fabrication de chaussures de sécurité et de bottes d’apparats pour les motards de la gendarmerie, de la garde républicaine ou de pilotes de chasse. Le montage des bottes sur mesure est un univers en soi. Le fût – la partie montante de la botte – est formé autour d’un embauchoir de jambe – une pièce en bois ayant la forme du mollet – afin d’aboutir au galbe souhaité. Une fois le cuir cousu, sortir l’embauchoir de la botte s’avère compliqué, et nécessite un gros effort physique, sollicitant les épaules et membres supérieurs. Afin de simplifier cette opération, une réflexion puis un développement ont été menés par un ingénieur maison sur un système de vérin. « Il est encore en test, mais proche de la finalisation », commente Jean-Baptiste, technicien chaussure, montage des bottes sur mesure, qui participe aux tests.

De nouvelles activités se développent aussi. C’est le cas du service après-vente. Cet atelier a été créé il y a deux ans pour augmenter la capacité de réparation des chaussures. Ici, François-Joseph, responsable du service, sait tout faire à son poste de démontage : couture, piquage, retouche tige… L’objectif à terme est d’atteindre 100 % de chaussures réparées. Mais pour y parvenir, le poste devra faire l’objet d’améliorations en matière d’aménagement, d’éclairage, d’outillage ou encore de flux.

Plusieurs projets sont en cours

« Nous travaillons sur différents projets afin d’aider à augmenter la capacité de production, poursuit Laurène : nous réalisons beaucoup d’observations de terrain pour identifier les irritants, les sources de gaspillage, optimiser les flux, etc. » Une préoccupation porte actuellement sur un abaissement des températures dans l’atelier en période de canicule. En effet, dans le bâtiment de près de 12 000 m2, on remarque vite des ventilateurs disposés un peu partout autour des postes. « Nous sommes face à un problème de refroidissement de l’atelier. Les jours de canicule, la température intérieure peut facilement dépasser les 30 °C », reconnaît Patrick. D’autant que la présence de fours accentue le phénomène dans certaines zones.

Aux postes de piquage, à la couture, les salariées ont les bras en l’air et des tests d’exosquelettes ont été menés pour soulager les opérations. Mais ils ne se sont pas avérés concluants, en particulier parce que les opératrices se sentaient dépossédées de leurs gestes, comme des marionnettes. « Il y a toujours des choses à faire en prévention, par exemple vis-à-vis des poussières de cuir, estime Jean-Baptiste : quand on revient après la fermeture estivale, on constate que des poussières fines de cuir se sont redéposées sur les machines. » D’autres réflexions sont en cours avec le CTC (centre technique du cuir, chaussure, maroquinerie, le syndicat professionnel) : essais avec d’autres types d’exosquelettes, tests aussi sur des colles aqueuses... « Et les efforts vont se poursuivre dans le cadre de la phase 3 de TMS Pros pour continuer à améliorer les conditions de travail sur différents sujets : bruit, tests de robots d’encollage, amélioration de certains postes de travail », conclut Stéphane Roberget.

*À la demande de la direction de l’entreprise, les noms des salariés ont été supprimés.

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