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Fabrication de sables industriels

La traque aux poussières a lieu à toutes les étapes

À Saint-Éloi, dans la Nièvre, le site d’Eqiom Granulats est spécialisé dans l’exploitation de matériaux alluvionnaires siliceux et la fabrication de sable industriel. De la drague flottante jusqu’à la sablière et l’usine, l’entreprise déploie sa politique de prévention des risques chimiques, notamment liés aux poussières et à la silice, sans négliger aucune étape.

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Grégory Brasseur - 06/12/2024
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Son œil aguerri suit attentivement la progression de la drague flottante. Depuis sa cabine climatisée, Anthony Lafay contrôle les paramètres liés à l’extraction des alluvions. Les matériaux, prélevés à une dizaine de mètres de profondeur à l’aide d’une chaîne à godet, sont acheminés sur bande-transporteuse de Chevenon, dans la Nièvre, jusqu’à Saint-Éloi. 2,5 kilomètres de convoyeur enjambant la Loire pour rejoindre la sablière et l’usine de fabrication de sables industriels d’Eqiom Granulats, où travaillent une vingtaine de salariés.

« Je m’assure par contrôle visuel direct et sur écran que le godet ne reste pas coincé, qu’aucun câble ne lâche sur l’installation… », explique le dragueur. Il remplace depuis quelques jours le salarié habituel, en congés, qui l’a formé à ce poste. Travailler seul devant le paysage paisible de la plaine agricole, il aime ça. Pour autant, le lien avec les équipes n’est pas coupé. Le téléphone Dati (dispositif d'alarme pour travailleur isolé) qui ne le quitte pas permet notamment le déclenchement d’une alerte en cas de perte de verticalité ou d’absence de mouvement.

Les godets remontent une fraction de matériaux d'une dimension allant jusque 120 mm. Immédiatement, un premier crible renvoie le à l’eau les particules supérieures à 80 mm, tandis que le reste part pour SaintÉloi. La capacité d’extraction est d’environ 300 tonnes par heure. « Une ronde a lieu une fois par semaine d’ici jusqu’à la sablière afin de repérer une éventuelle dégradation des tapis, des rouleaux, des câbles », précise Jean-Michel Fallay, responsable du site d’extraction. Les cheminements sont protégés par des garde-corps et le port du gilet de sauvetage est obligatoire.

À peine déversé au niveau de la sablière, le matériau extrait est pris sous un tunnel pour alimenter l’installation se composant de deux cribles en cascade et d’un broyeur. Le premier crible permet de trier les gravillons en fonction de leur granulométrie avec un broyeur à la chute. Le second sert à la partie sable. Différentes coupures granulométriques du gisement noble sont destinées aux bétonniers, d'un côté, et aux préfas, de l'autre. Les granulats qui partent approvisionner les centrales à béton de la région parisienne sont acheminés jusqu’à une plate-forme ferroviaire située à un kilomètre du site, d’où un train part chaque dimanche.

Traitement humide contre empoussièrement

C’est également à la sablière qu’est séparé le matériau de fraction 0-4 mm qui sera traité dans l’usine de sable industriel. « L’ensemble du processus est réalisé par traitement humide. L’empoussièrement à la sablière est principalement dû à la circulation des engins de chantier », constate Mikaël Egly, contrôleur de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Partout sur le site, un sens de circulation a été défini et la vitesse limitée à 20 km/h. « J’alterne entre le chargement des camions et les opérations de déstockage », commente Philippe Laleuve, qui pilote la chargeuse.

À l’arrière du véhicule, une led verte indique que sa ceinture est attachée. « On travaille systématiquement vitres fermées. À l’intérieur, j’ai la climatisation et une assise très confortable avec coussins gonflants au niveau du dos et des flancs. Le préréglage du siège selon mon poids est automatique. Je peux l’affiner comme je veux », poursuit le conducteur. Chaque jour, une soixantaine de camions sont chargés.

À l’entrée de l’usine de sable, les différentes fractions sont réparties dans des cases. Une dragline - pelle traînante permettant de prélever une partie du sable et de l’emmener dans une ouverture - alimente le tapis en direction du four. Le passage du matériau dans un brûleur puis un tube sécheur lui fait perdre toute son humidité. Il est ensuite envoyé en haut de l’usine et traverse un crible de douze étages grâce auquel sont séparées les différentes coupures. Au terme d’un process totalement automatisé, le sable est stocké dans des silos. Des formulations peuvent être réalisées, en fonction de la demande des clients, avant un conditionnement en sacs de 15 et 25 kg ou dans des big-bags.

Analyser et améliorer

« Nous avons initié une démarche de prévention du risque chimique il y a plusieurs années, en lien avec la Carsat Bourgogne-Franche-Comté, dans le cadre du programme Risques chimiques Pros. Avec le logiciel Seirich, nous avons, dès 2020, réalisé l’inventaire des produits utilisés. Et après avoir récupéré l’ensemble des fiches de données de sécurité, nous avons évalué les risques et procédé à un premier tri pour supprimer les produits les plus dangereux », explique Maxime Mendès, responsable d'exploitation, secteur Centre-Val de Loire. Compte tenu du nombre d’engins présents, de nombreuses graisses et huiles sont employées. Ce travail a permis de rationaliser leur utilisation et de supprimer les stocks inutiles.

Dans un deuxième temps, l’entreprise s’est attaquée à la prévention des risques liés aux poussières, notamment de silice cristalline. À la demande de la Carsat, le Centre interrégional de mesures physiques de l’Est (Cimpe) est intervenu pour étudier les postes de travail et les systèmes de captage des polluants utilisés. Avec pour principal objectif de proposer des pistes d’améliorations. L’état initial révélait qu’un système d’aspiration permettait bien de capter les poussières au niveau des équipements de transport et de séparation tout au long du process. Néanmoins, le regroupement de celles-ci dans des bacs de récupération, emmenés à l’extérieur, dans une zone proche d’une porte sectionnelle de l’usine, posait question. La porte restant ouverte pour la circulation des chariots, le Cimpe a recommandé de déplacer cette zone de déchargement pour que les poussières ne soient pas ramenées par le vent à l’intérieur du bâtiment.

D’autres situations à l’origine de poussières dans l’atelier ont également été identifiées. C’est en particulier le cas au niveau de la station de remplissage des big-bags : lorsque l’opérateur approchait le chariot sous le conduit de remplissage, qu’il accrochait le big-bag et ouvrait la trappe permettant au sable de s’écouler. Le Cimpe a orienté l’établissement vers un installateur du réseau Car-In-Vent, qui regroupe des spécialistes en ventilation industrielle formés aux bonnes pratiques de l’Assurance maladie-risques professionnels. C’est ainsi que l’entreprise Delta Neu a proposé un système d’anneau formant une double enveloppe aspirante autour du point d’alimentation.

« On voit clairement la différence avec moins de dispersion dans l’atelier », affirme Clément Franchino, un opérateur. Cela permet, surtout, de ne pas tout faire reposer sur la protection individuelle et le port de masques de type FFP3, avec le risque qu’il ne soit pas toujours bien positionné sur le visage. Les big-bags – contenant de 1 à 1,4 tonne de sable – sont acheminés vers le stock ou chargés directement dans les camions. « Les nouveaux chariots élévateurs, hermétiques et climatisés, offrent un bien meilleur confort de travail », complète Clément Franchino. Progressivement, il est prévu de renouveler tout le parc. Le salarié nous fait également remarquer que le laboratoire, où sont réalisées les analyses de matériaux bruts et des granulats provenant de la production de l’usine, a été déplacé en dehors du bâtiment de production. Cela a permis d’installer des locaux sociaux neufs et plus grands dans l’usine, avec espace de repos, vestiaires hommes et femmes, lave-linge et sèche-linge à disposition, etc.

Regarder au-delà de l’usine

« Pour lutter contre la mise en suspension des poussières liée au passage des véhicules allant charger à la sablière devant l’usine, nous avons créé une succession de trois dos-d'âne en enrobé, et le système d’aspersion des pistes a été renforcé. Une cuve enterrée, alimentée par les eaux de pluie, sert à l’alimenter », poursuit Maxime Mendès. « Dans le nouveau laboratoire, plus spacieux et à l’écart des bruits de l’usine, a lieu l’ensemble des contrôles sur les granulats naturels prélevés en carrière et sur les sables que nous élaborons. Un système de ventilation, qui n’existait pas dans les anciens locaux, a été installé », souligne Rosine Ngayaba, une technicienne de laboratoire.

Elle travaille avec un séparateur de granulats sous hotte, réalise ses pesées devant des dosserets aspirants. La tamiseuse est placée dans une pièce fermée dont les parois sont recouvertes d’isolant acoustique. L’air extrait est rejeté à l’extérieur et compensé par un apport d’air neuf.

« Au moment de son engagement dans la démarche Risques chimiques Pros, l’entreprise n’avait pas totalement conscience des risques liés aux poussières, au-delà de l’usine. Les responsables ont élargi leur vision pour travailler sur les locaux sociaux, les vêtements de travail, le laboratoire… Ils ont investi dans un aspirateur ayant une efficacité de filtration de classe H pour les opérations de nettoyage. Trop souvent – par manque de formation du personnel affecté à ces tâches – certaines pratiques de travail favorisent la remise en suspension des poussières », note Mikaël Egly.

« C’est un risque qui peut paraître invisible. Aujourd’hui, la démarche et les investissements doivent se poursuivre », soutient Maxime Mendès. Les réflexions se portent notamment sur la mise en place d’une aspiration centralisée avec des points de raccordement aux deux étages de l’usine, pour faciliter les opérations de nettoyage. Encore récemment, un incident lié à un bourrage dans les flexibles de distribution a nécessité une intervention de plusieurs heures sur l’installation, avec des reprises manuelles de sable. La mise en place d’un réseau haute dépression faciliterait grandement le nettoyage de toutes les zones de travail, y compris dans ces situations heureusement rares, mais dont la gestion peut s’avérer complexe.

UNE PRODUCTION RECHERCHÉE

Filiale du groupe irlandais CRH (Cement roadstone holdings), Eqiom est spécialiste de la production et la distribution de matériaux de construction (ciment, béton, granulats) destinés aux bâtiments et travaux publics. Les sables produits sur le site de Saint-Éloi sont utilisés un peu partout dans le monde : Arabie saoudite, Iran, États-Unis… Solides, abrasifs et très siliceux, ils sont recherchés par les industriels de la construction, et servent à la réalisation de sols sportifs, de sables de filtration ou de sables ferroviaires.