Travail & Sécurité. Quel bilan dressez-vous, en tant qu’animateurs du réseau Assurance maladie–risques professionnels, de la précédente Convention d’objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 de la branche AT/MP, en ce qui concerne la prévention ?
Anne Thiebeauld. Sur le bilan de la mission prévention, nous disposons de données robustes, émanant à la fois de l’évaluation réalisée par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et d’une évaluation de nos programmes nationaux confiée à un prestataire extérieur, à l’initiative de la DRP (Direction des risques professionnels). La COG 2018-2022 a connu une mise en œuvre compliquée, du fait notamment de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Mais notre méthodologie concernant les programmes de prévention a été validée. Parmi les points forts de la période 2018-2022, nous nous sommes appuyés sur TMS Pros, notre programme phare, dans sa deuxième saison, qui consiste en une démarche structurée proposée aux entreprises visant à identifier, connaître et maîtriser le risque de troubles musculosquelettiques (TMS) de façon durable et, ainsi, améliorer les conditions de travail des salariés ; et sur Risques chimiques Pros, un parcours en quatre étapes, afin de réduire l’exposition des salariés aux produits chimiques. Les chiffres de la sinistralité confirment le bilan positif de ces programmes. Dans les secteurs où la sinistralité a diminué, on constate une baisse encore plus significative chez les entreprises initialement ciblées pour leur sur-sinistralité et accompagnées par les préventeurs des Caisses dans le cadre de TMS Pros. Et même dans un secteur comme le sanitaire et médico-social (SMS), où la sinistralité est jusqu’à trois fois supérieure à la moyenne, les quelque 900 Ehpad suivis montrent une sinistralité bien moindre que celle des établissements non suivis par le programme.
Julie Bastard. Sur la période 2018-2022, environ 7 000 entreprises ont été accompagnées dans le cadre de TMS Pros et 5 000 pour Risques chimiques Pros. En plus des évaluations positives et des éléments objectivés de sinistralité, nous avons interrogé les publics concernés par ces programmes, à la fois ceux qui les portent, les préventeurs – contrôleurs de sécurité et ingénieurs-conseils des Carsat/Cramif/CGSS – et les entreprises accompagnées. Il y a une volonté de continuité. L’implantation d’une véritable culture de prévention garantit que ces programmes ne soient pas impactés par les aléas liés aux changements de COG.
Thierry Balannec. Lors de la COG précédente, nous nous sommes aussi engagés sur une approche sectorielle auprès du BTP, particulièrement concentrée sur le risque de chutes. Cette démarche s’adresse aux donneurs d’ordres, maîtres d’ouvrage, en particulier les constructeurs de logements collectifs… auxquels a été ajouté un focus particulier destiné aux constructeurs de maisons individuelles. 2 000 opérations ont ainsi fait l’objet de cet accompagnement. Nous avons également déployé, avec un appui majeur de l’INRS, une offre à destination des TPE, basée sur différents outils, parmi lesquels OiRA, décliné pour une quarantaine de métiers et activités (cabinet dentaire, métiers du bois, coiffure…), qui permet aux petites entreprises de réaliser l’évaluation des risques professionnels et de construire facilement un plan de prévention.
Des axes d’améliorations ont-ils été mis en lumière ?
A. T. Au-delà des programmes nationaux, la branche propose des aides financières directes aux entreprises pour le cofinancement d’achats d’équipements ou de formations. Cela se concrétise par des contrats de prévention, pour les entreprises de moins de 200 salariés, de subventions prévention pour les structures employant moins de 50 salariés, ou encore, plus récemment, par le biais du Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu). Les évaluations précédentes ainsi que les corps de contrôle pointent la nécessité d’évaluer objectivement l’impact de ces aides. L’élaboration d’une méthodologie pour répondre à cette exigence est une priorité à laquelle nous allons nous atteler d’ici à 2028. Dans le cadre de la nouvelle COG, il faut aussi faire en sorte que ces aides financières soient le plus possible articulées à nos priorités nationales.
Quels sont les autres grands enjeux de la nouvelle convention ?
A. T. La COG 2023-2028 présente quatre axes stratégiques, dans lesquels le renforcement de la prévention figure en priorité. Pour ce faire, nous bénéficions de moyens en hausse, à la fois du point de vue financier et humain : 197 ETP supplémentaires vont être recrutés d’ici 2028, en majorité des contrôleurs de sécurité, mais également des ingénieurs-conseils et des administratifs en prévention. Il s’agit d’abord de prioriser nos programmes nationaux. Notre ambition est de poursuivre le déploiement de TMS Pros et Risques chimiques Pros, et d’en développer deux autres, l’un orienté vers la prévention des risques psychosociaux (RPS), l’autre sur la prévention des accidents du travail, « Prévention AT », plutôt destiné aux petites entreprises car plus immédiat à mettre en œuvre. Au total, l’objectif est d’accompagner 30 000 établissements à travers ces programmes ou des approches sectorielles.
J. B. Ces dernières vont concerner à nouveau le BTP, mais aussi deux secteurs à forte sinistralité : le sanitaire et médicosocial ainsi que l’intérim. Contrairement aux entreprises d’autres secteurs, comme la métallurgie, qui ne mettent en jeu que deux acteurs, l’employeur et le salarié, celles de ces trois secteurs ont la particularité d’intégrer un troisième acteur : le donneur d’ordres (la maîtrise d’ouvrage pour le BTP, les financeurs pour le SMS, et l’entreprise utilisatrice pour l’intérim). Il faut donc prévoir des outils adaptés à cette spécificité, que ce soit dans le cadre de la démarche, des aides financières ou des formations proposées. Nous allons également poursuivre notre activité à destination des services de prévention et de santé au travail (SPST), par l’intermédiaire des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), des contrats tripartites signés entre les Carsat/Cramif/CGSS, les SPST et les Dreets, autour de sujets à ancrage local, mais qu’il convient de coordonner.
T. B. Nous allons aussi développer des partenariats avec les autres acteurs de la prévention par l’intermédiaire de conventions, avec l’OPPBTP en particulier, mais aussi favoriser l’articulation des programmes d’activité de l’INRS et d’Eurogip avec les orientations stratégiques de la COG, et améliorer la visibilité des actions des laboratoires de chimie et centres de mesures physiques au sein de la branche. Enfin, un focus sera mis sur la formation, tant initiale (dans un cadre renouvelé avec l’Éducation nationale) que continue à destination des entreprises (notamment selon les référentiels nationaux mis au point par l’INRS).
L’une des grandes nouveautés accompagnant cette COG est la création et la mise en œuvre du Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), en mars dernier. Qu’est-ce que cela va changer ?
A. T. Ce fonds, doté d’un milliard d’euros pour cinq ans, issu des excédents de la branche, a pour finalité la prévention de l’usure professionnelle. Il s’adresse aux salariés exposés aux manutentions manuelles de charges lourdes, aux postures pénibles et aux vibrations. Il permet de financer différents investissements réalisés par l’entreprise : achats d’équipements ou de formations, contrat de travail d’un préventeur, actions de sensibilisation ou aménagements de postes de travail lorsque les salariés entrent dans un parcours de prévention de la désinsertion professionnelle. Le Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle a donc des usages plus diversifiés que ceux des aides financières traditionnellement proposées par la branche AT/MP.
REPÈRES
Anne Thiebeauld
- Avant 2011. Directrice adjointe de caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) en Eure-et-Loir
- 2011-2016. Directrice de cabinet à la direction déléguée des Systèmes d’Information puis directrice adjointe des risques professionnels, Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam)
- Depuis 2020. Directrice des risques professionnels de la Cnam
Julie Bastard
- Avant 2019. Sous-directrice en charge des prestations puis des ressources en CPAM (Morbihan)
- Depuis 2019. Responsable du département Prévention des risques professionnels, Cnam
Thierry Balannec
- Avant 2020. Ingénieur-conseil régional, Carsat de Bretagne
- Depuis 2020. Responsable adjoint du département Prévention des risques professionnels, Cnam