Travail & Sécurité. Quel est le rôle de l’EU-Osha ?
William Cockburn. Notre objectif est simple : rendre les lieux de travail européens plus sûrs, plus sains et plus productifs. Pour ce faire, l’EU-Osha travaille en partenariat avec les gouvernements nationaux, les organisations patronales et les syndicats, les organes et réseaux de l’Union européenne (UE) ainsi que les entreprises du secteur privé. En nous appuyant sur nos études, nous participons à l’élaboration de politiques en faveur de la prévention des risques professionnels et à la sensibilisation de l’importance de la sécurité et de la santé au travail (SST).
Penser la SST au niveau européen a-t-il réellement un sens ?
W. C. Le cadre stratégique de l’UE en matière de SST est conçu pour améliorer le quotidien des 170 millions de travailleurs européens. L’existence de ce socle réglementaire commun permet aux États membres d’apprendre les uns des autres, de partager leurs bonnes pratiques et de mutualiser leurs ressources. Disposer de normes minimales de même niveau en matière de SST dans l’ensemble de l’Union est une condition préalable au bon fonctionnement du marché unique : la concurrence entre les entreprises et entre les États membres doit s’exercer sur un pied d’égalité, on ne doit pas sacrifier les conditions de travail pour rester compétitifs.
Quelles sont les réalisations de l’EU-Osha ?
W. C. Nous développons des outils, parmi lesquels OiRA, qui permet de réaliser en ligne de façon interactive l’évaluation des risques professionnels. C’est la première initiative de l’UE visant à encourager les TPE-PME à évaluer et à gérer leurs propres risques en matière de SST, à l’aide d’outils adaptés et multilingues. Actuellement, plus de 350 outils sont disponibles et quelque 60 nouveaux sont en cours de développement dans différents secteurs, avec l’aide de la communauté des partenaires d’OiRA, dont l’INRS. Nous menons également des enquêtes auprès des travailleurs européens. Nous venons ainsi de publier les résultats d’une étude sur l’exposition des travailleurs aux facteurs de risque de cancer en Europe. Menée auprès de milliers de personnes dans six États membres, elle fournit une estimation du niveau probable d’exposition à chacun des 24 facteurs de risque de cancer connus : émissions de gaz d’échappement des moteurs diesel, silice cristalline alvéolaire, poussières de bois… Des résultats qui peuvent être utilisés à des fins de prévention et de sensibilisation, mais qui permettent également d’éclairer des réflexions politiques. En outre, les entretiens prévus dans le cadre de notre quatrième enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents (Esener), qui s’adresse aux responsables SST en entreprise, ont débuté en juin, avec de premiers résultats publiés en 2025. Elle vise à dresser un état des lieux de la prévention des risques professionnels, de la gestion des risques psychosociaux, de l’implication des travailleurs, mais aussi à identifier les obstacles et les moteurs de l’action dans plus de 40 000 entreprises européennes.
Globalement, qu’en est-il de la santé des travailleurs et de la prévention des risques professionnels en Europe ?
W. C. Malgré l’existence du cadre global de gestion des risques en matière de SST dans l’UE depuis le milieu des années 1980, certains domaines nécessitent encore des améliorations. Si les accidents du travail ont diminué, les facteurs de stress psychosociaux ont augmenté, et les risques physiques restent élevés. Grâce à une meilleure prévention, aux soins médicaux et à l’évolution de la nature du travail, le nombre d’accidents du travail non mortels a baissé de 58 % entre 1998 et 2019. Les évolutions en matière de législation, d’orientations, d’outils, de formation et de connaissance des risques ont donné lieu à des améliorations non négligeables. Mais des sujets de préoccupations demeurent, comme l’invisibilité du travail non déclaré et illégal, la problématique de la sédentarité ou encore les inégalités au sein de l’UE : les risques pour la santé physique demeurent plus élevés dans les États membres de l’Est et du Sud. Parallèlement, de nouvelles thématiques doivent retenir notre attention : le télétravail, l’aide à la personne, le travail domestique, le travail saisonnier, les platesformes et le travail indépendant non volontaire. En outre, les nouvelles technologies, les changements sectoriels, l’évolution de la main-d’oeuvre et la mondialisation exigent des mesures de plus grande envergure en matière de SST.
Justement, selon vous, quels sont les grands changements qui vont orienter vos travaux dans les prochaines années ?
W. C. Le cadre stratégique de l’UE en matière de SST pour la période 2021-2027 met en évidence trois transitions majeures qui requièrent notre attention. La transition écologique, d’abord, englobe à la fois les effets directs du changement climatique – les incendies de forêt, les inondations, les températures extrêmement élevées et basses… – et ceux liés aux mesures d’atténuation comme l’exposition à l’amiante lors de la rénovation de bâtiments, les installations éoliennes en mer, la technologie des batteries, la gestion et le recyclage des déchets. Un projet prospectif sur le changement climatique est d’ailleurs en phase préparatoire. La transition numérique, ensuite, donne lieu à un certain nombre de défis et de possibilités en matière de SST et transforme le travail à un rythme effréné. Enfin, la transition démographique : au cours des dix prochaines années, la population de l’UE âgée de 15 à 64 ans devrait diminuer fortement, tandis que la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus augmentera. Cela signifie qu’il faut prolonger la vie professionnelle, partir à la retraite à un âge plus avancé et répondre aux exigences d’une société dont l’économie est davantage axée sur les besoins d’une société vieillissante.
L’EU-Osha consacre actuellement une campagne au numérique, de quoi s’agit-il ?
W. C. L’édition 2023-2025 de notre « Healthy workplaces campaign » en français - Campagne Lieux de travail sains - met effectivement l’accent sur l’incidence des technologies numériques sur le travail. Elle vise à promouvoir et à protéger la sécurité et la santé des travailleurs, afin que les risques n’occultent pas les avantages. Compte tenu de l’ampleur du sujet, la campagne s’articule autour de cinq domaines prioritaires : le travail sur plates-formes numériques, l’automatisation des tâches, le travail à distance et hybride, le management des salariés grâce à l’intelligence artificielle et les systèmes numériques intelligents. Pour chacun de ces domaines, l’agence met à disposition des ressources sur son site internet : brochures, analyses, outils de sensibilisation… La prochaine campagne, qui débutera en 2026, portera quant à elle sur les risques psychosociaux et la santé mentale. Les conditions de travail pouvant avoir des effets non négligeables sur la santé mentale, il s’agira de s’attaquer à ce problème en se concentrant sur la prévention, les solutions pratiques et les facteurs organisationnels. Nous prenons en compte les nouveaux facteurs de risque tels que le harcèlement en ligne et nous défendons le droit à la déconnexion. Cette campagne ciblera particulièrement des secteurs négligés, tels que l’agriculture et les soins de santé, mais aussi les travailleurs précaires, peu qualifiés et vulnérables.