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Conditions de travail

Une maintenance de yachts sans complaisance

Sur la Côte d’Azur, Monaco Marine est un incontournable réseau de neuf chantiers navals spécialisés dans la réparation et la maintenance de yachts et super-yachts, des bateaux d’exception pouvant mesurer jusqu’à 160 mètres. Pour proposer des prestations et une qualité de service haut de gamme, l’entreprise a repensé entièrement deux de ses sites – ceux d’Antibes et de Beaulieu-sur-Mer. Un réaménagement où l’attention portée à la prévention des risques a été permanente.

8 minutes de lecture
Lucien Fauvernier - 28/01/2025
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Il est un peu plus de 8 heures du matin, un beau soleil d’hiver se lève sur le port Vauban à Antibes, dans les Alpes-Maritimes. Le moment pour un voilier de couleur bleue de sortir de l’eau pour se refaire une beauté. Pour mener à bien cette opération, une grue automotrice de 70 tonnes est dépêchée sur les quais par le groupe de chantiers navals Monaco Marine. Au pilotage de la grue, Claude Djoher, chef de parc et grutier, détaille l’opération : « Nous intervenons ici sur l’aire publique du chantier pour les bateaux jusqu’à 20 tonnes. Cette zone est dédiée principalement aux plaisanciers du port Vauban, mais aussi aux plaisanciers voisins. »

Deux autres grutiers de l’entreprise montent à bord du voilier afin de passer des sangles sous la coque. Après retrait des drisses et dépose de la bôme, le palonnier de levage est amené avec beaucoup de précautions, en raison de la proximité du mât du voilier, afin d’accrocher les sangles en quatre points. Une fois les opérateurs de retour sur terre et la zone de levage délimitée à l’aide de plots, le bateau prend son envol afin d’être déposé sur des bers de calage, réglables en hauteur.

« C’est une opération souvent très délicate, indique Pierre Friedel, responsable hygiène, sécurité et environnement (HSE) du groupe Monaco Marine. Il faut d’abord veiller à dimensionner correctement les éléments de calage employés, car certains yachts que nous accueillons sur notre site d’Antibes peuvent peser jusqu’à 300 tonnes. Ensuite, il faut avoir un plan de calage rigoureux afin de bien répartir le poids : généralement, sur un yacht à moteur, on met 70 % en central grâce à des tabourets, les 30 % restants à l’aide d’épontilles sur les côtés. Ce qui n’empêche pas de devoir s’adapter en fonction de certaines fragilités sur la coque du bateau. » Afin de disposer de bers de calage adaptés, Monaco Marine a développé un partenariat étroit avec une entreprise spécialisée, ce qui a permis d’améliorer les produits en s’appuyant sur les retours d’expérience des chantiers du groupe.

Deux sites refaits complêtement à neuf

Au quotidien, Monaco Marine, groupe fondé en 1995, emploie près de 220 salariés sur neuf sites et engendre près de 1 000 emplois en sous-traitance, disséminés sur la Côte d’Azur : Monaco, Beaulieu-sur-Mer, Saint-Laurent-du-Var, Antibes, Juan-les-Pins, Golfe de Saint-Tropez, La Seyne-Toulon, La Ciotat et enfin Marseille. Une forte implantation locale qui lui permet de prendre en charge pas moins de 3 000 yachts par an pour des opérations diverses : nettoyage des coques, mise en peinture complète et antifouling - qui empêche les organismes aquatiques de se fixer sur la coque des navires -, réparations mécaniques, design et aménagements des intérieurs, extension de navires… Pour mener à bien ces missions – qui peuvent durer de deux jours, pour les plus simples, jusqu’à un an pour les plus fastidieuses – et répondre aux demandes de clients exigeants, l’entreprise s’est lancée en 2022 dans une grande opération de rénovation de deux de ses sites qui commençaient à être vieillissants. Résultat : plus de 15 millions d’euros d'investissement pour Antibes et Beaulieu-sur-Mer, ce dernier hébergeant également le siège du groupe.

« C’est simple, sur ces deux implantations, nous avons tout rasé pour tout reconstruire, explique Anthony Boivinet, directeur des opérations de Beaulieu. Après deux années assez compliquées où nous avons dû assurer le maintien de l’activité malgré les travaux, le résultat est là. À Antibes, comme à Beaulieu, nous avons des chantiers navals entièrement opérationnels, dotés d’équipements et d’installations de pointe. » Enrobés traités et parfaitement lisses pour faciliter la circulation des engins, cuves de rétention enterrées afin de collecter, traiter et recycler les eaux d’opérations, signalisations claires au sol, système de surveillance par intelligence artificielle… La propreté et l’organisation qui règnent sur les deux sites sautent aux yeux.

Avec une emprise au sol de 16 000 m2, le chantier naval d’Antibes a été doté d’un élévateur de yachts de 300 tonnes à roues directrices, ce qui facilite les manœuvres de mises à quai. Beaulieu a profité également d’un investissement du même ordre avec un élévateur de 140 tonnes, compte tenu de la taille plus réduite de l’emplacement – 7 700 m2. « Nous avons souhaité améliorer les capacités d’accueil et de travail des deux sites selon un même standard qualité, détaille Pierre Friedel, tout en tenant compte de leurs spécificités et besoins particuliers. » Une intention appréciée par Laurent Cammal, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est : « L’entreprise a su étendre les bonnes pratiques en vigueur sur ses sites majeurs, à ceux dédiés à la moyenne plaisance. C’est une très bonne chose en matière de prévention des risques professionnels. »

Prévenir le risque d’une multitude d’activités

Risques chimiques liés aux opérations de peinture des bateaux, risques poussières lors du ponçage des coques, risques de chutes de hauteur lors d’interventions sur des yachts de plusieurs étages… La liste des tâches potentiellement dangereuses pour les opérateurs des chantiers navals est longue. « La solution est de penser la prévention de façon globale et très structurée, explique Pierre Friedel. Il faut absolument avoir une connaissance fine du terrain afin d’identifier les besoins et activités de chacun et ne rien laisser au hasard. » Pour protéger ses salariés du risque chimique et du risque liés aux poussières – l’entreprise étant ciblée par la Carsat dans le cadre de sa démarche Risques chimique Pros –, la direction a pris le parti d’avoir recours, lors des chantiers les plus importants, à des cocons de peinture ventilés accompagnés de procédures strictes.

Lorsque des opérations de ponçage ou de peinture d’envergure sont nécessaires sur un yacht, celui-ci est totalement – ou en partie – entouré d’un échafaudage qui épouse la forme de la coque du bateau et autour duquel est tendue une bâche entièrement ignifugée. « Le cocon est ensuite relié à une centrale de traitement de l’air qui assure la mise en dépression de la zone de travail et le renouvellement de l’air. En complément, les peintres sont équipés de combinaisons intégrales et de masques à cartouche. Les produits neufs – peintures, solvants, laques – sont stockés dans une zone dédiée de chaque magasin. Les produits ouverts doivent quant à eux être rangés et inventoriés dans des conteneurs sécurisés à l’extérieur. » D’importantes précautions qui contentent Farid Zaghaoui, peintre, en train d’appliquer au rouleau une couche de peinture antifouling sur la coque d’un yacht : « Ces produits sont très nocifs. Être protégé me permet de bien travailler sans avoir peur pour ma santé. »

L’installation de l’échafaudage permet également de réduire le risque de chute de hauteur en facilitant l’accès à toutes les zones du bateau : « Nous avons la chance de travailler avec un échafaudeur de très haut niveau, spécialiste des échafaudages complexes et qui applique nos consignes, précise Pierre Friedel. Ce dernier est en capacité d’installer l’échafaudage à fleur de la coque du bateau afin de supprimer tout risque de vide entre les deux. » Pour les opérations plus rapides, le travail en hauteur s’effectue systématiquement au moyen d’une nacelle à ciseau, avec port du harnais obligatoire. S'il est nécessaire d'accéder à l’intérieur du bateau, lors d’un court chantier, l’entreprise a recours à des plates-formes sécurisées roulantes. « On voit que Monaco Marine a parfaitement retenu tous les enseignements et les bonnes pratiques présentés dans le précédent plan d’action régional prioritaire animé par la Carsat-Sud-Est pour le nautisme. Celui-ci avait mis l'accent notamment sur la prévention du risque de chute de hauteur et du risque chimique dans la profession », constate Laurent Cammal.

Les deux chantiers navals disposent chacun d’un atelier de métallurgie et d’un atelier de menuiserie. « Ce sont de petites opérations qui sont effectuées dans ces lieux. En métallurgie, cela peut être par exemple la reprise d’un garde-corps. En menuiserie, des découpes nécessaires à la rénovation de boiseries intérieures », précise Anthony Boivinet. Des travaux de moindre envergure, certes, mais réalisés dans des conditions optimales grâce aux investissements réalisés lors de la rénovation des sites. En métallerie, comme en menuiserie, les espaces de travail profitent de nombreuses surfaces vitrées complétées par des réglettes LED.

Des ateliers tout équipés

Si côté métallerie, un bras aspirant vient capter les fumées de soudage sur le poste de travail – dans l’attente de la réception d’une table aspirante – en menuiserie, toutes les machines sont reliées au système central d’aspiration, une mesure valorisée dans la démarche nationale Risques chimiques Pros. Un système qui a même été optimisé par Laurent Delcour, charpentier sur le chantier naval de Beaulieu-sur-Mer : « J’ai installé un système de trappe qui s’active lors de la mise en marche d’une machine, ce qui permet de concentrer l’aspiration sur les machines en fonctionnement. Ainsi, nous avons gagné entre 30 et 35 % d’aspiration par rapport à l’installation initiale. » Une optimisation qui devrait être également adoptée au sein de l’atelier d’Antibes, selon un principe d’amélioration continue issue des remontées de terrain.

« La fin des travaux ne signifie pas la fin de notre engagement en faveur de la prévention des risques, ajoute Pierre Friedel. Nous sommes en train de finaliser les plans de situation des sites, que nous souhaitons dynamiques et vivants afin qu’en un clin d’œil, n’importe quel intervenant sur site puisse savoir où se situe précisément chaque bateau, qui travaille dessus et les opérations qui s’y déroulent. C’est une question de sécurité mais aussi un gage de qualité pour nos prestations. »