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Laurène Levy : «Mon rôle est d’éveiller l’attention»

Traiter de sujets autour de la vie en entreprise et du bien-être au travail sur les réseaux sociaux, c’est ce à quoi s’emploie Laurène Levy, alias @Laulevy. Sous forme de saynètes, ou s’exprimant face caméra, elle décrypte et vulgarise, avec les codes de ces médias, de multiples sujets en lien avec le monde du travail.

5 minutes de lecture
Céline Ravallec, Lucien Fauvernier - 20/02/2025
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Portrait de Laurène Levy.

Travail & Sécurité. Vous avez relayé à l’automne dernier sur votre compte Instagram la campagne de l’INRS #Morteltontaf, qui s’adresse aux jeunes actifs de 18 à 25 ans. Comment aborde-t-on les sujets autour de la santé et la sécurité au travail sur les réseaux sociaux ?

Laurène Levy. C’est une thématique assez difficile à partager, il est dur de faire entendre à un public jeune que le travail peut abîmer le corps. Il y a l’idée « cela n’arrive qu’aux autres » qui perdure, et que c’est lointain, c’est une préoccupation de « vieux ». La sécurité au travail n’est pas un thème que les abonnés me demandent d’aborder. Les sujets autour du harcèlement, du stress, sont plus entendus. J’ai accepté ce partenariat avec l’INRS car il apportait de l’information aux personnes et était en accord avec mes convictions. Et j’ai trouvé cette campagne « Mortel ton taf » drôle : le format en vidéos courtes touche les jeunes, la présence d’Inès Reg est bien trouvée. Employer l’humour contribue à atteindre sa cible et à faire passer un message. Pour moi, ça fonctionne. Mais, ensuite, il faut que les jeunes aillent regarder. Le public est, aujourd’hui, surstimulé et abreuvé d’informations, donc c’est difficile de capter son attention puis de la retenir.

Forte de 420 000 abonnés, en France et pays francophones, vous vous présentez comme militante en bien-être au travail. Qui est votre public ?

L. L. Je m’adresse à tout le monde, sans distinction. Mais, je touche principalement les jeunes, la « Gen’Z », même si parfois je reçois des questions posées par des gens qui ont l’âge de mes parents. Et je constate à travers les commentaires que je touche aussi majoritairement des personnes qui ont des emplois de bureau, beaucoup moins des métiers du BTP ou du transport routier.

Portrait de Laurène Levy.

Comment en êtes-vous venue à parler du monde du travail sur les réseaux sociaux ?

L. L. Mon parcours est assez classique : à la fin de mes études, j’ai été embauchée en CDI dans une agence de publicité. Mais ça ne s’est pas bien passé. Très vite, j’allais au travail avec la boule au ventre, je subissais une pression constante de la part de ma manager... Quand j’en parlais autour de moi, on me disait que c’était normal, que cela faisait partie du jeu du monde professionnel. Lorsque j’ai annoncé que je voulais démissionner parce que ça ne se passait pas bien, ma manager m’a hurlé dessus en plein open-space, me faisant pleurer devant tout le monde. Ça a été un déclencheur dans ma prise de conscience de ce que peuvent être la pression au travail et le management « toxique ». Ça rejoignait également mes précédentes expériences de jobs étudiants (restauration, distribution de tracts, vestiaire en boîte de nuit, animatrice dans des escape games…), où j’avais déjà vu que l’on peut être maltraité parce qu’on n’a pas vraiment de poids. J’ai commencé alors à m’intéresser au Code du travail, en m’appuyant sur mes études de droit. Je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de choses que j’ignorais sur les droits des salariés, ce qu’un employeur peut ou ne peut pas faire… Il m’arrivait de conseiller des copines sur ce qu’on leur demandait de faire en stage par exemple, je les mettais en garde sur leurs droits. Mais je n’avais pas du tout pour objectif de faire du contenu pour les réseaux sociaux, ça s’est fait presque tout seul.

De quelle manière ça s’est alors présenté à vous ?

L. L. Je suis tombée, un jour, sur la vidéo d’une jeune femme qui témoignait de sa première expérience de travail après ses études en communication. Je n’étais pas d’accord sur tout, alors j’ai réagi à mon tour dans une vidéo pour commenter et témoigner de ma propre expérience, et par la même occasion donner certaines informations de base : comment ça se passe quand on rentre dans une entreprise ? Comment négocier son salaire ? Quelles sont les différences entre un CDI et un CDD ? Autant de choses dont on parle peu avant d’intégrer le monde du travail et qui restent floues pour beaucoup de monde. Quand on débute dans la vie active, personne ne nous explique comment ça va se passer, on doit alors faire semblant de comprendre des codes que l’on n’a pas... Au final, cette vidéo a été vue plus de 70 000 fois, grâce aux algorithmes, alors qu’à l’époque seuls mes amis me suivaient. Pour une première vidéo, qui n’était pas attendue, c’était juste incroyable, j’avais un peu l’impression d’être Beyoncé ! Mais je me suis surtout dit que je tenais quelque chose. Ce que je prenais pour mon expérience individuelle était finalement beaucoup plus partagé. Suite à cette vidéo, j’ai reçu de très nombreuses questions : comment aborder son premier entretien professionnel ?  Comment négocier son salaire ? Et j’ai commencé à y répondre à travers des vidéos, sur TikTok et Instagram.

Portrait de Laurène Levy.

Jusqu’à devenir aujourd’hui créatrice de contenu à temps plein, sur ces sujets autour de la vie d’entreprise et du bien-être au travail…

L. L. Progressivement, je me suis prise au jeu, je me suis sentie utile, j’avais l’impression que je pouvais aider des gens à travers ces vidéos. Mon nombre d’abonnés a beaucoup progressé, j’ai commencé à gagner de l’argent. En parallèle, je continuais à travailler en agence mais je ne trouvais plus vraiment de sens à ce que je faisais. J’ai à nouveau démissionné. J’ai alors passé quatre ou cinq entretiens pour un nouveau poste, ailleurs. Mais à chaque fois, lors de ces entretiens, je retrouvais des choses que je dénonçais dans mes vidéos. Il est vrai que le milieu de la publicité est un monde assez particulier… C’est pourquoi, en mars 2024, j’ai décidé de me lancer en me consacrant à temps-plein à la création de contenus. C’est hyper gratifiant de se sentir utile, d’avoir des retours de gens qui me disent que je les ai aidés à prendre conscience de leur situation. Mon rôle n’est pas de donner des conseils, mais d’apporter des clés de compréhension sur certains sujets, d’éveiller l’attention sur des points d’alerte. Je ne suis pas avocate, je ne suis pas syndicaliste, j’oriente vers d’autres aides possibles qui ne sont pas toujours connues, tant au sein de l’entreprise (CSE, référent harcèlement, RH…) qu’à l’extérieur (défenseur des droits, permanences juridiques gratuites…). Je trouve incroyable qu’on n’enseigne pas avant d’entrer dans la vie active certains « basiques », qui peuvent paraître insurmontables quand on débute, mais qui sont essentiels : savoir lire une fiche de paie, connaître la convention collective dont relève son entreprise, comment fonctionne la retraite, etc.

Comment choisissez-vous les sujets abordés en vidéo et comment préparez-vous les contenus ?

L. L. Je choisis les sujets en fonction des questions qui me sont posées, en ayant une approche la plus praticopratique possible. Je suis hyper biaisée car les gens me contactent quand ça ne va pas. Mais ce qui remonte fréquemment, ce sont des problèmes de pression au travail, de management toxique, de non-respect des droits. Beaucoup, même des gens de 40 ou 50 ans, s’interrogent sur leurs droits et me demandent juste « Est-ce que mon employeur a le droit de faire ça ? », « Est-ce que c’est normal que je me sente mal par rapport à ma situation ? ». Ils se sentent souvent illégitimes à ne pas se sentir bien au travail. Quant aux vidéos, tout est écrit en amont. Ça demande beaucoup de travail de préparation, de me documenter en explorant le Code du travail mais aussi la jurisprudence : j’essaie vraiment de vulgariser les sujets, et ça prend du temps de rendre compréhensible par tout le monde des sujets parfois complexes. Il y a la contrainte du format, autour de 1’30, afin de capter très vite l’attention du public et la conserver. Je n’aborde pas certaines thématiques si elles sont trop compliquées à vulgariser de façon courte. Par exemple le licenciement économique, qui recouvre mille réalités et s’applique quasiment au cas par cas, n’est pas adapté à un traitement court.

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