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Frédéric Bazin : « L’implication des managers est particulièrement importante »

Frédéric Bazin est le directeur santé et sécurité de Geodis. Il nous explique comment s’organisent la santé et la sécurité au sein de ce groupe présent dans plus de 60 pays, et comment il travaille avec différents relais pour faire adopter les bonnes pratiques.

5 minutes de lecture
Delphine Vaudoux, Corinne Soulay - 20/03/2025
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Portrait de Frédéric Bazin, directeur santé et sécurité de Geodis.

[Article paru dans le numéro de Travail & Sécurité de janvier 2025]

Travail & Sécurité. Quelles activités exercent les 53 000 salariés de Géodis et quels principaux risques professionnels rencontrez-vous ?

Frédéric Bazin. Nous avons quatre grands métiers : la gestion d’entrepôts et de centres de distribution de marchandises ; la commission de transport à travers le monde ; la distribution et le transport express ; et le transport routier européen. Nous intervenons sur l’ensemble du globe. Rien qu’en France, nous employons 15 000 personnes environ. Quelle que soit l’activité ou la région, les principales causes d’accidents sont les chutes de plain-pied et le port de charges. Le cœur de métier de Geodis est de prendre en charge des colis de différents gabarits et formes. Évidemment, en logistique, on retrouve aussi des risques liés à la coactivité engins-piétons ou à la conduite, sans oublier, pour tous, l’exposition aux risques psychosociaux. Au niveau mondial, nous dénombrons 850 accidents de travail (AT) avec arrêts en 2023 pour nos salariés, chiffre qui décroît sur ces trois dernières années. Ces accidents concernent en majorité des salariés avec moins de trois ans d’ancienneté, ce qui nous a amenés à renforcer leur accueil. Nous avons aussi beaucoup d’intérimaires et de sous-traitants. On fait un gros travail avec les agences d’intérim sur l’accueil et la formation, afin de les intégrer au mieux sur leur poste de travail, et de recueillir leurs retours d’expériences pour pouvoir progresser.

Vous avez lancé une démarche mondiale intitulée « Health and safety with heart », de quoi s’agit-il ?

F. B. C’est un cadre commun, centré sur l’humain, qui s’appuie sur trois piliers pour accompagner la mise en œuvre de la santé et la sécurité au travail (SST) dans toutes nos entités. Le premier est la connexion au risque. Il s’agit de se rendre compte que toute situation de travail peut exposer à des risques. Prenez un cariste qui conduit un chariot, ce n’est pas anodin. C’est un engin de plusieurs tonnes qui peut être amené à circuler dans un environnement où il y a des piétons… On ne doit banaliser aucune situation, toujours évaluer le risque et son environnement. Le deuxième pilier est de prendre soin de soi, de sa santé. Et le troisième de prendre soin des autres. Chaque entité doit évaluer son taux de maturité sur ces piliers et, en fonction des résultats, mettre en place des actions pour s’améliorer.

Sur quels indicateurs vous appuyez-vous ?

F. B. Jusqu’à maintenant, nous analysions principalement le taux de fréquence et le nombre de jours perdus par AT pour orienter les actions en SST. Or, cela ne suffit pas : un taux de fréquence bas ne signifie pas pour autant que tout a été mis en place pour prévenir au mieux les risques professionnels. Nous travaillons aussi sur des indicateurs complémentaires pour affiner le pilotage. Parmi eux, nous avons mis en place un indicateur de bien-être au travail. Tous les ans, nous menons une enquête auprès des salariés, avec plusieurs questions sur ce sujet. Est-ce que le salarié se sent bien au travail ? Est-ce que son environnement de travail est sûr ? Est-ce qu’il peut parler ouvertement de santé et sécurité ? On en déduit le « well being score » d’une région, d’un pays, d’un site, ou même d’une équipe. Le taux de participation à ce questionnaire est de 90 % et l’indice de bien-être est à 77 sur 100, avec des disparités importantes. En plus de cet indicateur, on intègre l’absentéisme, le niveau d’activité, le turnover… Les retours d’intérimaires constituent aussi une source d’information importante. Après chaque mission, ils sont questionnés par leur agence sur leur expérience chez Geodis. Pour nous, ces rapports nous fournissent des informations très utiles pour progresser. L’ensemble de ces données nous permet d’identifier les sites à risques et d’orienter les actions à mettre en place.

Portrait de Frédéric Bazin en situation d'interview.

De par sa présence internationale, Geodis présente une organisation très éclatée. Comment cela impacte la SST ?

F. B. Chaque entité peut tester des actions pour atteindre les objectifs de notre démarche. Cela donne des résultats intéressants et différents, selon les pays, les cultures, les métiers. Cela permet de mettre en lumière des bonnes pratiques dont chacun peut s’inspirer. Par exemple, on essaie de renforcer les rituels quotidiens de briefs sécurité qui permettent aux managers de détecter les signaux faibles.

Autre exemple : aux États-Unis, dans les entrepôts qui stockent des batteries lithium, ils ont un kit spécifique avec un chariot contenant un caisson, deux extincteurs, des EPI (gants anti-feu, visière…). Dès qu’une caméra thermique détecte qu’une batterie monte en température, ils suivent une procédure pour l’isoler. Tout le monde est formé à l’utilisation de ce kit. Aujourd’hui, en France, l’un de nos clients nous demande de stocker 400 batteries lithium pour ses vélos, nous allons nous inspirer des Américains et mettre en place cette bonne pratique.

En France toujours, nous avons des systèmes de remontées des situations dangereuses . Dans le secteur de la logistique contractuelle, on s’appuie sur une méthode d’amélioration continue qui consiste à définir des thèmes sur chaque site et à mener des projets pour trouver des solutions, en associant les collaborateurs concernés. L’an dernier, un tiers de ces chantiers portaient sur des sujets d’ergonomie, de sécurité et d’amélioration des conditions de travail. Et à chaque fois que nous souhaitons mettre en place de nouveaux équipements, nous mettons à contribution les salariés. Nous testons actuellement un prototype de camion tout électrique. Durant la phase de design, le constructeur a observé et interrogé des conducteurs qui aujourd’hui testent le véhicule sur le terrain.

Portrait de Frédéric Bazin en situation d'interview.

Quels sont vos axes de progrès ?

F. B. Pour chaque région du monde ou ligne de métier, j’ai un contact privilégié. Mais souvent sa mission englobe d’autres fonctions. Or, étant donné la configuration de Geodis, il est nécessaire d’avoir des relais pour animer la prévention sur le terrain. Nous avons fait le point sur nos ressources en SST et relevé où il y avait des manques. L’objectif étant, à terme, d’avoir un interlocuteur dédié à la SST par entité, si possible un opérationnel issu du terrain, qu’on fait monter en compétence. Nous travaillons avec les RH pour rendre cette activité plus valorisante et plus visible.

Autre point de progrès permanent : il est essentiel d’embarquer tous les managers, car en SST, leur implication est tout aussi importante que les règles, la technique, ou la réglementation. C’est aussi du management de terrain, savoir communiquer, se rendre régulièrement auprès des collaborateurs pour transmettre des messages, poser des questions, repérer les situations à risque… Cela fait partie des sept principes de leadership du groupe. Nous réfléchissons à un parcours de formation pour les managers qui intégrerait plus de SST afin que lorsqu’ils effectuent des tours de terrain, ils intègrent des questions de notre démarche « Health and Safety with heart ».

Dans le cadre de vos réflexions, le changement climatique occupe une place de choix…

F. B. C’est un sujet qui peut avoir des conséquences en SST. Nous avons cartographié nos sites, en nous appuyant sur le scenario le plus pessimiste en 2030 et 2050, et nous avons pu évaluer le niveau d’exposition sur plusieurs périls : hausse des températures, tornades, inondations... Nous travaillons également sur le risque sanitaire lié aux moustiques, aux épidémies, au manque d’eau. L’idée est d’évaluer le risque, de s’assurer qu’un plan d’actions et de secours adapté a été prévu et, si ce n’est pas le cas, de mettre des choses en place. Dans le cas de forte chaleur par exemple, il s’agit de vérifier quelle serait la température maximale dans les locaux, de s’assurer que le système de ventilation est suffisant et qu’il existe un dispositif de secours en cas de panne. Concernant le risque de dengue, nous réfléchissons actuellement aux solutions les plus adaptées : installer des pièges ? Proposer la vaccination ?

REPÈRES

  • 1997. Diplômé de l’École nationale supérieure d’arts et métiers
  • 1997-2005. Usinor, responsable de production
  • 2005-2011. Danone, directeur d’usine puis directeur industriel
  • 2011-2022. Responsable santé et sécurité dans différentes stuctures
  • Depuis 2023. Geodis, directeur santé et sécurité groupe

 

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