
« Vous voulez que je vous raconte l’histoire de la tonnellerie-foudrerie Dargaud et Jaeglé ? », demande Jean-Marcel Jaeglé, le directeur général. « Attention, vous en avez pour deux jours », prévient son fils Cédric, l’actuel P-DG. On va essayer d’aller à l’essentiel… L’entreprise a été fondée en 1921 par Marcel Dargaud. Marcel Jaeglé, le grand-père de Cédric, y entre en apprentissage à l’âge de 13 ans, en 1931. Orphelin de mère, puis de père, il est pris en charge par la famille Dargaud. Il deviendra chef d’atelier puis associé en 1968.
Jean-Marcel, son fils, après des études à l’école du bois à Mouchard, rejoint l’entreprise en 1970. « C’était Zola », lâche celui qui depuis n’a eu de cesse de faire progresser l’entreprise à la fois sur les aspects techniques et les conditions de travail. « Et comme j’ai travaillé à tous les postes, je connais leurs contraintes », lance-t-il.
Aujourd’hui, l’entreprise occupe toujours le même terrain, à Romanèche-Thorins, en Saône-et-Loire, mais pas les mêmes locaux. Le site de 7 hectares comprend 8 000 m2 d’ateliers (usinage, montage et foudrerie – les grands contenants) ainsi qu’un entrepôt logistique. La tonnellerie-foudrerie emploie 31 personnes auxquelles il faut ajouter les quatre dirigeants JeanMarcel et Chantal Jaeglé, Cédric, leur fils, et Lauriane, leur fille. Une vraie affaire de famille.
L’usinage du bois
À l’extérieur, les merrains, les lames de bois qui sont utilisées pour la confection des tonneaux, sont stockés sur les deux parcs à bois. Environ 30 m3 de bois – du chêne en très grande majorité – arrivent chaque semaine. À leur réception, un premier travail consiste à les trier. Estelle Carrias passe en revue les dernières livraisons dans un bâtiment datant de 2015, traité acoustiquement et où la lumière naturelle entre largement, mais dont certains verres de fenêtres sont opacifiés. « C’est pour avoir un éclairage constant, souligne-t-elle, car nous réalisons un tri visuel. » Elle porte un harnais de soutien depuis plus de deux ans, qu’elle a d’abord testé, pour soulager ses épaules. Une fois constituées et étiquetées, les nouvelles palettes partent pour au moins deux années dans l’un des parcs extérieurs, volontairement exposés aux intempéries, pour adoucir les tanins.
Lorsque le séchage sur parc est terminé, les merrains sont coupés à la bonne longueur pour constituer des douelles, ces pièces de bois formant les tonneaux. Jean-Christophe Sercy, tonnelier, déplace les palettes à l’aide d’un transpalette à haute levée électrique. « Ils remplacent progressivement les anciens, remarque Jean-Claude Bouteiller, contrôleur de sécurité de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Ici, dès que l’on soulève un sujet lié à la prévention des risques professionnels, la direction s’en empare pour trouver des solutions. »

Le tonnelier alimente en douelles une imposante machine, la DJE, pour Dargaud Jaeglé Évolutions. Il s’agit d’une ligne d’usinage née dans ses principes dans la tête de Jean-Marcel Jaeglé, en 2002, un dimanche de pluie. « Ce poste d’usinage permet de couper les douelles, de réaliser le dolage, le jointage et l’évidage, explique Jean-Christophe Sercy qui porte lui aussi un harnais. On a ainsi beaucoup réduit le nombre d’opérations et le nombre de manutentions. Ça m’a changé la vie ! » Les murs, tous microperforés, atténuent bien le niveau sonore. Quant à la DJE, elle est insonorisée, entièrement fermée, et reliée à un réseau d’aspiration centralisée.
Une machine pour la mise en rose
Direction ensuite la corroyeuse pour réaliser les éléments de chênes servant à fabriquer les fonds. Là aussi, le tonnelier les déplace à l’aide d’un transpalette électrique à hauteur variable. L’opérateur n’a pas à se déplacer pour récupérer les éléments finis car le circuit de la machine réalise une sorte de U pour revenir au poste de l’opérateur. La corroyeuse est calée sur le rythme de production de la DJE, qui a une capacité de production de 200 fûts par jour mais qui se situe actuellement entre 70 et 100 fûts /jour.
La suite des opérations se déroule au poste, particulièrement spectaculaire, de mise en rose. « Traditionnellement, le montage d’un tonneau nécessite beaucoup de coups de marteaux, insiste Jean-Claude Bouteiller. Avant, c’était très bruyant et il y avait de nombreux gestes répétitifs. » Ici, pas ou peu de coups de marteaux. Le tonnelier trie les douelles qu’il positionne en cercle sur une machine pour qu’elles s’assemblent au mieux. La machine, brevetée à l’instar des précédentes, est dotée d’une barrière immatérielle pour que l’opérateur reste à une distance de sécurité quand elle est en fonctionnement.
C’est ensuite la machine qui se charge de former la rose, c’est-à-dire d’assembler les douelles entre elles et, comme par magie, le tonneau commence à apparaître. « Il y a moins de bruit, moins de pénibilité et on gagne en qualité, souligne Cédric Jaeglé. En revanche, la machine n’apporte pas particulièrement de gain de productivité. » Un convoyeur, acquis avec l’aide financière de la Carsat, entraîne ensuite le tonneau préformé vers la salle de chauffe, évitant au tonnelier de déplacer et porter des fûts qui peuvent atteindre 47 kg.
Les roses sont ensuite immergées 20 minutes dans l’eau bouillante, pour assouplir les bois et en extraire les tanins les plus agressifs. Afin de manipuler les tonneaux lors de cette phase d’immersion, le tonnelier dispose d’un bras manipulateur réalisé sur mesure. Pour fixer ensuite le cintrage, le tonneau subit une cuisson de 40 minutes, placé au-dessus d’une « chaufferette » alimentée par les chutes de bois. Au-dessus des postes de chauffe, est indiquée la température du bois.
« Vous sentez ? Ça sent bon, remarque le P-DG, le nez au-dessus du tonneau alors que la chauffe s’achève. La chauffe est différente selon le type de vin que le tonneau doit accueillir. On surveille la température du bois. » Aucune fumée n’est perceptible dans l’atelier car l’entreprise a mis en place une aspiration des fumées au-dessus des postes de chauffe et une insufflation d’air frais par des grilles au sol.
Une imagination fertile
Lorsque le tonneau a atteint la température désirée, ses cercles de travail devront être serrés et les douelles parfaitement mises en place. Pour les serrer, là encore, le tonnelier bénéficie de l’aide d’une machine baptisée « Bichasse endouveuse ». « Avant, il fallait tout faire à la main, coincer le fût chaud entre ses jambes et taper sur les cercles et les douelles pour arrondir parfaitement le ventre du tonneau, remarque Hervé Depardon, un tonnelier. Aujourd’hui, on prépositionne les cercles et la machine se charge de les serrer. » « Avec toutes ces avancées, 95 % des coups de marteaux ont été supprimés », estime le contrôleur de sécurité.
95 % des coups de marteaux auraient été supprimés dans cette tonnellerie, d’après le contrôleur de sécurité de la Carsat.
Suivront des étapes de rognage, ponçage et perçage à l’aide d’une machine combinée à l’aspiration centralisée. Manquent les fonds : un opérateur les réalise en alternant un jonc puis une pièce de fond afin de garantir leur étanchéité. Les deux derniers cercles provisoires sont enlevés pour finir le ponçage, et les fonds placés à l’aide d’un manipulateur à ventouse et d’une presse dite à crochets, mis au point en interne. « On l’a depuis deux mois, remarque Romain Bajard, tonnelier. Ça nous permet de mieux centrer le fond, de ne pas porter. Avant, il fallait maintenir le fond avec des outils, c’était plus compliqué. »

Devant cette machine à foncer, Rocco Manganiello, chef d’atelier, ne tarit pas d’éloge : « Cela fait 36 ans que je travaille ici. Le fonçage était un poste pénible, physique. On donnait beaucoup de coups de marteaux. Quand je vois cette machine, je me dis que j’aurais dû naître trente ans plus tard. » Toutes les étapes de finition sont réalisées par des ponceuses et chanfreineuses avec aspiration à la source. « On a réalisé des mesures, explique Jean-Claude Bouteiller. Il n’y a pas un grain de poussière… comme dans toute la tonnellerie. C’est très satisfaisant. » Les tonneaux subiront ensuite un test d’étanchéité, puis ils seront marqués et filmés. Ils partiront dans le monde entier – l’export représentant 70 % de la production.
Toutes les nouvelles machines pour améliorer les conditions de travail sont nées de l’imagination de Jean-Marcel Jaeglé : « Une fois que j’ai une machine en tête, j’en parle aux opérateurs pour voir ce qu’ils en pensent. Ensuite, sur les aspects techniques, Cédric, mon fils, prend le relais avec une entreprise avec qui on travaille depuis 80 ans. » Certaines machines sont proposées à la vente, mais pour qu’elles intéressent le plus grand monde, il faut qu’elles procurent des gains de productivité… « Ce qui pour ma part n’est pas le premier objectif », poursuit-il. Quand on lui demande quel est-il, la réponse lui semble évidente : faciliter le travail et améliorer la sécurité des tonneliers. CQFD.
IDENTITÉ
Nom : Tonnellerie-foudrerie Dargaud et Jaeglé
Date de création : 1921
Lieu : Romanèche Thorins (Saône-et-Loire)
Activité : fabrication de tonneaux (des pièces de 228 l et des barriques de 225 l) ainsi que des foudres (grands contenants)
Effectif : 31 personnes dont deux intérimaires, plus les quatre dirigeants
Chiffre d’affaires : 15 000 000 €