Le mur s’élève, doucement. Ici, pas de banche, ni de mannequin pour les baies, ou d’arrêt de voile, « juste » une buse de béton qui projette l’« encre » de l’imprimante 3D. Nous sommes à Bezannes, près de Reims, où le tout premier immeuble imprimé ainsi en France sort de terre. Une technologie qui suscite beaucoup d’intérêt, car elle permet de gagner du temps, de réduire la pénibilité, mais interroge...
Douze logements, en R + 2 (320 m2 par étage), seront terminés au premier trimestre 2026. En ce début juin 2025, le chantier est très avancé. Les chantiers, pour être plus juste, car Plurial Novilia 1, le maître d’ouvrage, a fait le choix de bâtir deux ensembles de logements sociaux côte à côte : l’un selon la méthode traditionnelle, l’autre en impression 3D. « Nous construisons 1 000 logements neufs par an et près de 10 % d’entre eux font la part belle à l’innovation », commente Jérôme Florentin, directeur de la maîtrise d’ouvrage et de l’aménagement chez Plurial Novilia.
Là, c’est l’impression 3D sur site qui a retenu l’attention du comité innovation de cet acteur de l’habitat social. « Il y a quelques années, nous avions construit des maisons individuelles en 3D, mais ça n’était pas le même procédé car les murs “imprimés” étaient réalisés en usine », se remémore Jérôme Florentin. Pour monter un tel projet, Plurial Novilia s’est appuyé sur Demathieu et Bard en tant qu’entreprise principale, sur Peri, une entreprise allemande, pour le robot d’impression, et sur Holcim pour développer un béton novateur, autrement dit l’encre.
« La toute première étape que nous avons dû passer a été celle de l’ATEx, pour “Appréciation technique d’expérimentation” délivrée par le CSTB. Ça a été un travail de longue haleine, cela nous a pris deux ans pour l’obtenir », souligne Jérôme Florentin. « De notre côté, nous avons travaillé pour trouver un béton qui sèche dès la sortie de la buse, et ne se déforme pas, remarque Hélène Lombois-Burger, directrice R&D granulats et bétons chez Holcim. C’est une encre durable qui, quelles que soient les conditions climatiques, doit apporter des performances identiques. » « Après avoir réalisé les infrastructures et le plancher haut du sous-sol à l’automne dernier, nous avons fait le choix d’attendre mars 2025 pour débuter l’impression 3D, de façon à avoir des conditions météorologiques plutôt clémentes », poursuit Jérôme Florentin.
Une expérimentation séduisante
L’imprimante 3D, pilotée informatiquement, est reliée à la centrale à béton toute proche, conduite par Arnaud Barthélémy, technicien de développement-offre-chantier de chez Lafarge. Le robot d’impression, encore expérimental, est dirigé par des techniciens de Peri. Installés sous une petite tente pour se protéger des intempéries ou du soleil, ils surveillent l’avancée de la buse, tout en ayant à portée de main un poste de pilotage et un bouton d’arrêt d’urgence. Loin des contraintes de manutention et du bruit d’une construction traditionnelle, l’impression a lieu en continu sur la journée.
Le mur de béton fibré est constitué d’une peau externe non structurelle (8 cm d’épaisseur), et de deux passes contiguës, formant le voile structurel de 16 cm d’épaisseur. Des entretoises relient la peau externe au voile principal. Un isolant, de la perlite, est ajouté entre la peau externe et les internes par les ouvriers de Demathieu et Bard. « Avec la méthode traditionnelle, il faut en moyenne entre 10 et 12 personnes pour monter ce type de bâtiment. Ici, 5 ou 6 personnes suffisent, et c’est beaucoup moins pénible », relate Alexandre Tournant, conducteur de travaux chez Demathieu et Bard.
Une fois qu’un demi-étage est réalisé, le portique de l’imprimante est déplacé à la grue, et l’impression de l’autre demi-étage peut commencer, tandis qu’un demi-plancher est réalisé sur l’autre partie du chantier. « Au début, il nous fallait 10 jours pour monter un demi-étage, suivi d’une journée pour déplacer la machine. Ensuite, nous sommes descendus à 8 jours. Aujourd’hui, il faut 5 jours », poursuit le conducteur de travaux.
Les gains de temps, la réduction des risques de TMS et du bruit sont indéniables. « Cela demande une coordination fine, précise Florent Haas, directeur régional Demathieu et Bard. On n’utilise que la quantité de béton nécessaire, donc cela engendre moins de déchets, implique une moindre emprise au sol et des abords plus propres. » « Outre l’absence de coffrage, ici pas de bétonnage, donc suppression de certains risques associés tels que le bruit, les vibrations et les postures contraignantes », renchérit Jean-Louis Boudier, contrôleur de sécurité à la Carsat Nord-Est.
Conformité machine
Il n’empêche, des points sont encore perfectibles. « Nous sommes en présence d’une machine, insiste Sandrine Hardy, experte d’assistance-conseil à l’INRS. Les risques, notamment les risques de heurt, doivent être réduits par la mise en place de mesures techniques. Il y a bien un capteur pour arrêter la machine, mais il faudrait s’assurer qu’il a été conçu pour la sécurité des personnes et qu’il est fiable. » Le technicien de Peri ne lâche pas des yeux la tête d’impression qui progresse à 25 cm/s, prêt à intervenir si nécessaire. « Tant que les murs n’atteignent pas 1 m de haut, personne n’a le droit d’être dans la zone d’impression, à part les deux techniciens de Peri, limitant les risques de coactivité », remarque Jean-Louis Boudier. Sauf que ce jour-là, d’autres intervenants n’étaient pas loin… « C’est ce genre de situation qu’il faut améliorer », remarque l’experte.
« Une fois que les murs sont montés à 1 m, d’autres travaux sont possibles, comme la découpe de murs, le remplissage de l’espace à la perlite… il serait bon de compléter les mesures organisationnelles en place par des mesures techniques, et de s’assurer de la conformité machine, commente Sandrine Hardy. De plus, les procédures de nettoyage de la tête d’impression en fin de journée, réalisées au jet haute pression, pourraient aussi être améliorées. » Le chantier d’impression est presque achevé. Plurial Novilia fera un bilan des avantages et inconvénients d’une telle technique.
« On estime qu’il coûte 30 % plus cher qu’un chantier traditionnel, mais il est évident que si cette technologie devait se développer, certains coûts pourraient être amortis », remarque Jérôme Florentin. Pour l’heure, le chantier en impression 3D, encore au stade prototype, a tendance à intriguer et à faire des envieux. « Nos compagnons qui interviennent sur le chantier traditionnel n’ont qu’une envie, aller travailler sur celui imprimé en 3D », s’amuse Alexandre Tournant… Un signe qui ne trompe pas.
IDENTITÉ
Activité : chantier de construction de logements sociaux
Surface : 320 m2 au sol pour un total d’un peu moins de 1 000 m2
Donneur d’ordres : Plurial Novilia
Intervenants : Demathieu et Bard, entreprise générale ; Peri/Cobod, machine d’impression ; Lafarge-Holcim, fournisseur de l’encre (béton imprimable)
Effectif total : 5 à 6 personnes
Coût de revient : environ 30 % plus cher que selon la méthode traditionnelle