(Article paru dans le numéro de Travail & Sécurité de décembre 2022)
« Roule des mécaniques », « Prends ton pied », « Envoie du pâté », « Claque un chrono ». Sur les panneaux de bois, dans le hall, le ton est donné. Décontracté et dans l’esprit start-up. Car tout va très vite pour l’entreprise Moustache Bikes, passée en dix ans de 2 à plus de 160 salariés. Avec la volonté de leur offrir de bonnes conditions de travail… Tout part de l’intuition de deux Vosgiens, Emmanuel Antonot et Grégory Sand : parier sur le développement du vélo électrique. Depuis, chacun vit, pense, dort vélo dans cette entreprise installée près d’Épinal.
De 2012 à 2018, l’entreprise se développe sur un ancien site textile non loin de l’actuel. « On avance », était la stratégie d’alors. Sans organisation bien définie, avec du stockage au sol, les conteneurs évidés à la main et un process assez physique. En 2019, l’entreprise achète un bâtiment de 10 000 m2, à Thaon-les-Vosges, mais ne peut en utiliser que 6 000, l’autre partie étant louée. « En attendant la fin du bail, on s’est débrouillé, remarque Seamus Scullion, le responsable méthodes, en créant Thaon I. »
« Cette première étape consistait à passer de l’artisanat à l’industrie, complète Florence Ung, contrôleuse de sécurité à la Carsat Nord-Est, en modernisant les process tout en intégrant, dès la conception, la santé et la sécurité des salariés. » Le pari semble réussi : de 30 000 vélos fabriqués en 2019, l’entreprise est passée à 70 000 cette année, tandis que le chiffre d’affaires bondissait de 62 (2019) à 100 millions (2021) d’euros sans augmentation significative de la sinistralité. Pour accompagner cette croissance, Seamus Scullion, arrivé il y a quatre ans, a dû répondre aux questions suivantes : vers quoi veut-on tendre, avec quel outil, comment, dans quelle organisation ? Pour le premier atelier Thaon I, les objectifs étaient de garder le processus de travail, tout en améliorant l’ergonomie, le stockage et les flux physiques des composants et des vélos.
Moustache Bikes reçoit un « préassemblé » de vélo de son fournisseur : un cadre avec certaines pièces déjà préparées et assemblées, telles que les roues, le guidon et les fourches. Ceux-ci sont identifiés dès leur arrivée avec le carton qui les suivra tout au long du process.
Un Thaon pour tout
Une fois le code-barre du vélo généré, ce dernier entre officiellement en production : le kit de montage correspondant au modèle – comprenant entre 60 et 80 pièces – est préparé par un opérateur qui est guidé par des leds pour faciliter le picking. « Les repères visuels sont très pratiques, c’est beaucoup mieux qu’une liste papier », reconnaît un opérateur. Quant au vélo, qui pèse autour de 25 kg, il est accroché à une potence conçue en interne, avec équilibreur et télécommande électrique, qui permet de le retourner dans tous les sens.
Les flux ont été étudiés avec l’aide de la Carsat Nord-Est, afin d’éviter au maximum les croisements d’engins et de piétons. Les passages des chariots élévateurs préparateurs sont sécurisés dans les zones de stockage par des rails mécaniques ou des circuits inductifs. Les postes de montage ont été analysés par le service de santé au travail et un stagiaire en ergonomie afin de prendre en compte l’environnement de travail et les flux (postures, manutentions, postes de travail…).
Les monteurs, qui font l’assemblage complet de leurs vélos, travaillent ainsi sans contrainte posturale, d’autant que les outils et composants sont mis à disposition au plus près de la partie du vélo à monter. « C’est un peu comme un jouet, cette potence. Ça nous permet d’être toujours bien positionné », estime Jimmy Oudot, un monteur. Une fois le vélo terminé, il passe au contrôle qualité puis repart, dans son carton d’origine. Malin… Pour les déplacer, des plates-formes et des rolls sont adaptés aux chariots préparateurs.
En 2019, le locataire parti, l’entreprise a pu occuper tout l’espace et créer une nouvelle ligne de production, Thaon II, plutôt dédiée à l’assemblage de vélos à partir de cadres nus. « On a revu notre philosophie pour répondre à des demandes spécifiques, en nous fournissant davantage en Europe ou en France. On a internalisé des postes comme la fabrication des roues, de façon à apporter notre savoir-faire, tout en intégrant les contraintes posturales et organisationnelles. On est plus autonomes, cela donne de la souplesse à la production », explique Seamus Scullion.
L'importance du dialogue
Là encore, le top départ est donné par le déballage du cadre et son identification. Les autres éléments sont préassemblés à proximité du poste de travail, les uns à la suite des autres – roues et porte-bagage, fourche et guidon, puis préparation des kits pour les petites pièces et moteur – et apportés au poste de montage. Le montage des vélos est ainsi moins dépendant du marché asiatique et des prix du transport maritime. « Au fil des ans, l’entreprise a réussi à optimiser le process tout en réfléchissant aux flux, en limitant les manutentions et les contraintes posturales, et ce, dès la conception. Cela a permis de réduire les risques professionnels tout en préservant la “valeur ajoutée” des opérateurs », insiste Florence Ung.
DES BATTERIES À GÉRER
Tous les vélos Moustache sont dotés d’une batterie. Le site en reçoit actuellement 70000 par an. Elles sont de type lithium-ion et sont stockées dans un espace dédié, conçu spécialement pour assurer la sécurité des employés et du site de production. Ce local batteries possède une forte isolation au feu ainsi que des détecteurs de flamme et de fumée directement connectés à une porte coupe-feu asservie automatiquement pour isoler cet espace du reste du site de production. On peut y stocker environ deux semaines de production.
En disséquant chaque poste, l’équipe a identifié ce qui devait rester du ressort de l’opérateur et ce qui pouvait bénéficier d’une aide mécanique, notamment le montage des rayons des roues. « Toutes les modifications et réflexions sont issues de groupes de travail réunissant les opérateurs, des personnes de la logistique, de la qualité… nous avons certes nos idées, mais tout est dans le dialogue », poursuit Seamus Scullion.
Et Moustache Bikes ne va pas s’arrêter là. Lors de notre venue, en juillet, Seamus Scullion revenait de Suède pour voir l’avancement de Thaon III, une nouvelle ligne de production devant être installée à l’automne 2022. Les vélos avanceront sur un convoyeur aérien et une nouvelle organisation devrait voir le jour, avec un processus d’assemblage final séquencé. Des tests avec les opérateurs sont en cours.
« Moustache Bikes est en perpétuelle évolution, pour faire face à la demande toujours plus importante. Ils ont misé sur la polyvalence des équipes. L’entreprise doit sans cesse s’adapter et s’étoffer, en associant les salariés aux réflexions », reprend Florence Ung. L’entreprise prend soin des nouveaux venus, avec une semaine d’intégration pour découvrir tous les services, puis un apprentissage en production avant de passer en autonomie. Les deux fondateurs de Moustache Bikes revendiquent le fait d’être une entreprise attractive en matière de recrutement et de créer des emplois dans les Vosges.
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : Moustache Bikes
Activité : fabrication de vélos électriques
Lieu : Thaon-les-Vosges (Vosges)
Effectif : 160 personnes
Chiffre d’affaires (2021) : 100 millions d’euros