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Les allergies professionnelles

Asthme du boulanger : agir à la source

Meuniers pour les artisans boulangers depuis 1885, Les Moulins Rioux, installés à Neuilly-le-Vendin, en Mayenne, accompagnent leurs clients dans la mise en œuvre de pratiques innovantes. Ils sont parmi les premiers moulins à proposer une farine de fleurage à faible indice de pulvérulence pour réduire les risques de développer un asthme du boulanger.

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Grégory Brasseur - 12/12/2022
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Opératrice chez les Moulins Rioux

« Par principe, on ne dit pas non au client. On étudie la question. » C’est ainsi que Marianne Joubert, responsable technique des Moulins Rioux, installés en bord de Mayenne, à Neuilly-le-Vendin, présente le projet. Début 2022, l’établissement, qui emploie 49 salariés et fournit en farine quelque 450 artisans dans le grand ouest et jusqu’en région parisienne, est sollicité par l’un de ses clients, Franck Guincêtre, boulanger à Louviers, dans l’Eure. Au moment d’agrandir son commerce, celui-ci s’est rapproché de la Carsat Normandie et Béatrice Dubois, ingénieure-conseil, l’incite à questionner son moulin sur l’élaboration de farines à faible indice de pulvérulence pour réduire l’exposition aux poussières.

Selon la Cnam, les boulangers, exposés lors de la fabrication du pain et du nettoyage du matériel, représentent un quart des cas d’asthme professionnel. « Ces cas restent difficiles à quantifier du fait d’une sous-déclaration des maladies professionnelles. Beaucoup de boulangers, lorsqu’ils commencent à ressentir une gêne, développent des stratégies d’évitement, comme se mettre en retrait de la production, ou travailler en pâtisserie, constate Béatrice Dubois. Néanmoins, le problème peut prendre de l’ampleur et, parfois, ne pas laisser d’autre choix que celui de se réorienter. » Depuis des années, la profession se mobilise. Le matériel évolue, sous l’effet notamment d’actions menées par l’Assurance maladie-risques professionnels et le Laboratoire national de la boulangerie-pâtisserie (Lempa), en lien avec des équipementiers, afin de réduire les niveaux d’exposition dans les fournils. Mais c’est plus récemment que s’est posée la question d’agir directement sur la farine.

Réduire la mise en suspension lors du fleurage

Rapidement, Les Moulins Rioux contactent le Lempa. « Il a d’abord fallu caractériser nos farines, regarder nos différents passages et faire des essais d’association pour trouver le bon assemblage. Cette cartographie est absolument nécessaire, explique Marianne Joubert. Tout cela s’est également accompagné d’une prise de conscience et d’une réflexion sur nos propres pratiques. Au niveau des moulins, le process est très automatisé. La farine reste dans les tuyaux, mais il peut y avoir des expositions lors d’extractions ponctuelles ou lors des phases de conditionnement. »

Dans un premier temps, il a été décidé de se concentrer sur l’élaboration de farines de fleurage. « C’est une étape qui consiste à prendre la farine dans la main et, d’un geste vigoureux, la jeter sur le plan de travail ou la pâte pour l’assécher ou enlever le collant », décrit Jean-Michel Debellemanière, l’un des boulangers conseils des Moulins Rioux. « C’est la première fois que des meuniers travaillent sur la réduction de la volatilité et de la mise en suspension des farines, note Pierre-Tristan Fleury, directeur du Lempa. En combinant certaines farines de passage, nous obtenons des farines de fleurage dont l’indice de pulvérulence (NDLR : la pulvérulence est l’état de ce qui est réduit en poudre, en très fines particules. Plus son indice est bas, moins le produit se diffuse dans l’air) est inférieur à 7, là où les farines habituelles ont des indices de l’ordre de 15 à 30. De plus, les premiers essais montrent une réduction très notable de l’empoussièrement lors de leur utilisation. »

Opérateur chez les Moulins Rioux

Jean-Michel Debellemanière confirme l’intérêt que présente le produit : « On a tout de suite vu dans le laboratoire d’essais que cette nouvelle farine retombe et reste moins en suspension. J’ai beaucoup moins de dépôt qui se forme sur mes lunettes, donc j’imagine bien que j’en respire moins. » Testé en interne sur l’ensemble des étapes de fabrication, de la manipulation des pâtons jusqu’au façonnage, le produit se comporte de façon satisfaisante. Et le visuel, quand il s’agit de l’utiliser pour donner un aspect rustique au pain, est respecté.

Convaincre et adapter la production

« Au niveau de la fabrication, c’est plus complexe, car il faut retirer certains passages manuellement au niveau de la vis à farine pour remplir les sacs. Le rendement n’est pas le même », indique Philippe Lemercier, responsable de production. Le moulin traite 50 quintaux de blé par heure, pour 39 quintaux de farine classique produite. La capacité n’est actuellement que de 60 kg par heure pour la nouvelle farine. Pour une production à plus grande échelle, un circuit spécifique devra probablement être aménagé.

LES AVANCÉES LÉGALES

Dans les locaux à pollution spécifique, les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l’atmosphère inhalée par un travailleur, évaluées sur une période de huit heures, ne doivent pas dépasser, depuis le 1er janvier 2022, respectivement 7 et 3,5 mg/m3 d’air. Ces concentrations seront abaissées à 4 et 0,9 mg/m3 d’air au 1er juillet 2023 (article R. 4 222-10 du Code du travail, complété par le décret n° 2021-1763 du 23 décembre 2021).

« Nous avons présenté le projet en juin lors de nos journées portes ouvertes, indique Anne-Claire Rioux, la dirigeante. À la rentrée, nos commerciaux sont partis sur le terrain pour convaincre. » D’abord les clients – minoritaires – qui commandent déjà une farine de fleurage. Puis les autres, qui n’utilisaient jusqu’ici qu’une seule farine pour toute la production. C’est désormais le défi de l’acceptation par les boulangers qui doit être relevé. « C’est une farine plus lourde, différente au toucher », prévient Jean-Michel Debellemanière. Si les boulangers qui ont déjà vécu une situation d’allergie à la farine s’y sont immédiatement intéressés, les autres demandent à être rassurés sur la pratique et le prix.

« Les meuniers se sont engagés à ce que ces farines ne soient pas significativement plus chères que les farines conventionnelles », indique Pierre-Tristan Fleury. Reste à voir ce qui est faisable, compte tenu du coût de production. « Nos boulangers et commerciaux sont convaincus et seront les meilleurs ambassadeurs du projet, affirme Gwendoline Moulard, la responsable des ressources humaines et référente sécurité des Moulins Rioux. Notre politique d’innovation dans la tradition a pour but d’apporter à nos clients les moyens de faire face aux évolutions du métier. On ne peut pas nier la tension qui existe en termes de recrutement des boulangers. Cette réponse à des enjeux de santé et de sécurité peut également être une solution. »

UN ENGAGEMENT SUR LE LONG TERME

Au début des années 2000, le Lempa s’est mobilisé, avec l’Assurance maladie-risques professionnels, sur l’amélioration de l’environnement de travail des boulangers. Cela a donné lieu à la campagne « Outils plus sûrs » et à un dispositif d’aides financières encourageant l’investissement dans du matériel référencé : pétrins et batteurs avec capots pleins, diviseuses anti-émission de poussières, aspirateurs puissants, etc. Une obligation de résultat en termes de réduction à la source des émissions de poussières a été inscrite dans les normes pour les fabricants de matériel. Ont suivi des campagnes avec le Syndicat national des équipementiers en boulangerie-pâtisserie et l’Institut national de la boulangerie-pâtisserie pour diffuser les bonnes pratiques auprès des professionnels, des centres de formation, des écoles de boulangerie-pâtisserie. L’action se poursuit aujourd’hui avec un travail sur la maîtrise et l’optimisation de la pulvérulence des farines.

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