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Les allergies professionnelles

Faux ongles, vrais risques

Deux ans après avoir débuté son activité de prothésiste ongulaire, Virginie Guérin a développé une allergie de contact due aux molécules présentes dans les gels et vernis. Désormais formatrice, elle sensibilise les professionnels du secteur à cette thématique à chaque session qu’elle organise. Exemple lors d’un stage de perfectionnement, à Saint-Malo, en Ille-et-Vilaine.

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Corinne Soulay - 12/12/2022
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Prothésistes ongulaires chez Lusitie Nails

En ce lundi matin d’octobre 2022, onze prothésistes ongulaires, uniquement des femmes, âgées de 26 à 53 ans, sont réunies dans une salle d’un hôtel de Saint-Malo, dédiée aux séminaires. Tours, Narbonne, Cancale… Elles sont venues de toute la France pour se perfectionner à différentes techniques de pose et de décoration de faux ongles. Aux commandes, Virginie Guérin – vernis vert bouteille, assorti à son pull – qui dirige le centre de formation et l’institut Lusitie Nails, en Essonne, et qui s’est déplacée pour l’occasion.

En guise d’introduction, elle pose une question insolite : « Qui a déjà développé des allergies ? » Bilan : cinq doigts levés, auxquels on peut ajouter celui de la formatrice. « J’ai lancé mon activité en 2008 et, deux ans plus tard, j’ai commencé à ressentir des picotements aux mains, puis des sensations de brûlure, décrit-elle. La nuit, je dormais avec des gants enduits de crème à la cortisone pour que ça s’apaise. J’ai consulté un allergologue d’un centre de pathologies professionnelles, qui m’a confirmé que c’était bien une allergie. » Et les autres stagiaires de renchérir : « J’ai des crevasses sur les doigts, ma peau desquame », « Ça suppure », « Ça attaque même le cuir chevelu ! »

À l’origine de ces symptômes caractéristiques d’une dermatite de contact allergique, des molécules allergènes – les méthacrylates et acrylates – que l’on retrouve dans divers produits à usage professionnel : les matériaux dentaires, les colles et les ongles artificiels, pour les premiers ; certaines encres, colles et le vernis semi-permanent, en vogue dans les ongleries, pour les seconds. Si les professionnels de la dentisterie et les imprimeurs sont exposés, ce sont les prothésistes ongulaires qui présentent aujourd’hui le risque le plus élevé de sensibilisation à ces substances. La dermatite peut être localisée sur les mains, mais aussi le visage, le cou ou le cuir chevelu, par le biais des poussières aéroportées lors du ponçage ou bien par contact des mains sur d’autres parties du corps.

Une réalité économique à prendre en compte

Un risque que Virginie Guérin aborde en formation : « Je fais toujours un rappel théorique sur la chimie des produits, les maladies associées à la pratique et la prévention. » Premier point évoqué : l’importance d’une bonne ventilation : « Au minimum, il faut disposer d’une VMC, mais le mieux c’est d’avoir un système de captage à la source des émissions (vapeurs, poussières) et de rejet de l’air vers l’extérieur. » Attention aussi aux « faux amis », parmi lesquels l’aspirateur de table : « Il doit être suffisamment puissant, et il faut le nettoyer et changer les filtres régulièrement. Certains rejettent de la poussière ! Mieux vaut opter pour des ponceuses avec aspiration à la source. »

Il existe aussi des tables avec dispositif de captage localisé (plateau aspirant). Mais les arbitrages économiques, qui peuvent être cruciaux pour la survie des TPE, entrent alors en ligne de compte. « Il faut pouvoir dépenser près de 3 000 euros pour une table équipée d’un système d’extraction vers l’extérieur », regrette-t-elle.

L'AVIS DE...

Ludovic Hainoz, contrôleur de sécurité au Centre de mesures et contrôles physiques de la Cramif

« Mettre en place une bonne ventilation est une priorité de la démarche de prévention. Le principe est de ventiler à la source, au plus près des polluants, avant qu’ils n’atteignent les voies respiratoires. Pour les prothésistes ongulaires, il existe des tables aspirantes qui captent les vapeurs de polluants et les poussières au niveau du plateau. Pour que ce soit efficace, l’aspiration doit se faire par dessous (grille d’aspiration) et par dessus (bras aspirant) en fonction du travail effectué. Il faut éviter le recyclage de l’air, car même avec des filtres, il n’est jamais possible de traiter 100 % des polluants qui sont alors rejetés dans le local. Idéalement, ces tables devraient donc être reliées à un système d’extraction de l’air vers l’extérieur du bâtiment. Sur le plateau, un endroit spécifique (hotte aspirante) devrait aussi être dédié au stockage des produits ouverts (vernis, solvants…). »

Autre point abordé, le choix des produits. Pour fabriquer des faux ongles, la prothésiste a plusieurs options : soit elle colle directement des capsules sur l’ongle, soit elle applique un produit visqueux, type gel ou résine, qu’elle fait solidifier sous une lampe UV. Avec un premier principe général : bannir les produits sans étiquette ou qui n’affichent pas leurs ingrédients. « Je recommande des produits certifiés ISO 22 716, ce qui garantit des bonnes pratiques de fabrication, ajoute Valérie Guérin. Il faut aussi que le fournisseur indique avec quel type de lampe l’utiliser et combien de temps est nécessaire pour que le gel durcisse complètement. » Car si la durée d’irradiation n’est pas suffisante, les molécules allergènes restent présentes dans la formulation.

La technique utilisée a aussi son importance. Ainsi, la pose américaine – à base de capsules, donc plus rapide à réaliser –, pose problème, selon Virginie Guérin : « La capsule est fixée sur un ongle coupé à ras, donc des résidus de gel se retrouvent sous l’ongle, au contact de la peau. Avec à la clé, des risques d’allergie pour la cliente ou pour la prothésiste qui utiliserait cette technique sur elle. »

Démonstration, observation, application

Derniers leviers essentiels, les équipements de protection individuelle et les vêtements de travail : des gants en nitrile – à changer au minimum entre chaque cliente –, une charlotte à usage unique pour préserver le cuir chevelu, un masque… Si le salon dispose d’un système de captage à la source des émissions, le chirurgical suffit. « Dans le cas contraire, il faudrait opter pour un modèle A2P3, à cartouche », avertit la formatrice. Réaction unanime dans l’assistance : « On dirait Dark Vador ! » Là encore, la prévention se heurte à la réalité du métier. « Nous travaillons dans le secteur de l’esthétique donc notre apparence est importante, pointe Virginie Guérin. Il ne faut pas faire fuir la cliente. On essaye de trouver le bon équilibre entre la sécurité et la bonne marche de notre activité. »

Formation chez Lusitie Nails

L’heure de la démonstration est arrivée. Charlotte sur la tête et équipée de gants noirs, Virginie Guérin se lance dans la fabrication d’un « baby glitter ». En d’autres termes, des faux ongles décorés d’un dégradé de couleurs et de paillettes. Pour ce faire, armée de sa ponceuse avec aspiration à la source, Virginie prépare l’ongle. Elle utilise ensuite de l’acrygel – un mélange de résine et de gel – qu’elle dépose délicatement au pinceau sur un chablon, un support cartonné, placé dans la continuité de l’ongle d’Agathe, son modèle. Puis elle façonne le faux ongle avec une lime.

Les poussières sont recueillies dans une serviette à usage unique, qu’elle replie entre deux ponçages pour éviter que les résidus ne s’envolent. Préparation des paillettes, limage en amande, pose du vernis, séchages multiples à la lampe UV… L’opération s’apparente à du travail de précision. Après 1h30, les prothèses sont prêtes. Aux stagiaires désormais de répéter l’exercice. Avec toujours en tête, les principes de sécurité appris durant la matinée.

COIFFURE ET SOINS ESTHÉTIQUES : ATTENTION, MÉTIERS SENSIBLES

Outre les troubles musculosquelettiques, les chutes et le stress, les professionnels de l’esthétique sont exposés au risque d’allergie. Chez les coiffeurs – en contact répété avec le shampoing, les produits de coloration et de décoloration, de permanente ou de défrisage –, il s’agit de la deuxième cause de maladie professionnelle. Les esthéticiens, manucures, prothésistes ongulaires, maquilleurs ou employés des cabines de bronzage, ne sont pas en reste. Des allergènes sont contenus dans les parfums, les conservateurs et les résines pour ongles. Le diagnostic nécessite des tests épicutanés : l’allergologue applique des gouttes de différentes substances sur la peau, et note celles qui provoquent un eczéma local. Dès qu’un travailleur est sensibilisé à une substance, elle doit être totalement bannie de son usage professionnel et privé.

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