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Les allergies professionnelles

Les gants à l'origine de dermatoses professionnelles

La consultation de pathologies professionnelles et environnementales des hôpitaux universitaires de Paris centre à l’Hôtel-Dieu accueille tous les jours des professionnels pour des problèmes de dermato-allergologie. Parmi les pathologies les plus observées, les dermatoses professionnelles au caoutchouc, impliquant principalement les gants.

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Grégory Brasseur - 12/12/2022
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Soignant portant des gants en caoutchouc

« Les constituants et additifs du caoutchouc sont des allergènes professionnels majeurs », soutient Marie-Noëlle Crépy, dermatologue au service de pathologies professionnelles et environnementales de l’Hôtel-Dieu, à Paris. Parmi les demandes qui affluent dans le service, beaucoup concernent des eczémas de contact et l’aide au diagnostic de maladies d’origine professionnelle. Les dermatoses professionnelles au caoutchouc sont particulièrement fréquentes – dermatites de contact d’irritation et/ou allergiques et, plus rarement, urticaires de contact – et les gants souvent en cause, notamment chez les personnes amenées à les porter sur de longues périodes. Or les gants jouent eux-mêmes un rôle clé dans la protection individuelle dans de nombreuses activités, depuis la santé jusqu’à la construction, en passant par le nettoyage, le secteur de l’esthétique ou les activités industrielles.

EPI, RESTER VIGILANT

Si on pense immédiatement aux gants, les EPI contenant du caoutchouc (bottes, chaussures…) sont tous pour la plupart irritants, notamment en cas de port prolongé ou de frottements répétés, et peuvent être sources d’allergie.

« Les principaux allergènes responsables de dermatite de contact allergique sont les additifs du caoutchouc, à savoir les accélérateurs de vulcanisation (de la famille des thiurames, des dithiocarbamates, des benzothiazoles, des guanidines ou des thiourées) et les anti-oxydants, notamment les dérivés de la paraphénylènediamine (PPD), utilisés dans les caoutchoucs noirs, précise Marie-Noëlle Crépy. D’autres allergènes peuvent être incriminés dans la survenue d’un eczéma, comme certains ammoniums quaternaires ou encore des biocides. Enfin, les protéines du latex peuvent provoquer des allergies immédiates, avec urticaire, rhinite, asthme et risque d’anaphylaxie. »

Une chimie complexe

Pour acquérir ses propriétés d’élasticité, d’étanchéité et de résistance mécanique, le caoutchouc doit être vulcanisé. Cette opération consiste à ponter chimiquement les chaînes de polymères grâce à un réticulant, en général le soufre, et met en jeu des accélérateurs de vulcanisation, utilisés pour abaisser les températures et accélérer la réaction. Or ces accélérateurs de vulcanisation, dont certains sont sensibilisants, peuvent persister après le processus de fabrication et se retrouver à la surface du caoutchouc. « La chimie du caoutchouc est extrêmement complexe et l’information sur les composants des gants est difficile à obtenir de la part des fabricants », reprend Marie-Noëlle Crépy.

Aucune fiche de données de sécurité n’est associée à un équipement de protection individuelle. En cas d’allergie, des examens cliniques et des tests allergologiques avec des batteries spécialisées et des produits professionnels doivent être menés. « Parfois, les salariés tardent à réagir, par peur de perdre leur travail ou par méconnaissance des conséquences de l’allergie. S’il y a un message à faire passer, c’est qu’il ne faut pas attendre. Tout eczéma des mains qui persiste plus de trois mois doit être testé et pris en charge de manière rigoureuse », insiste le médecin.

« En fonction des pathologies ou des problèmes rencontrés par le patient, longuement discutés avec le médecin allergologue en consultation, nous établissons une batterie de tests. C’est une véritable enquête », explique Florence Astorg, infirmière de coordination dans le service. Ce matin-là, elle reçoit une infirmière qui a dû changer de poste à la suite d’une allergie aux gants. Contacté par Marie-Noëlle Crépy, le fabricant a envoyé les gants qu’elle utilise pour que des recherches puissent avoir être menées.

RÉPARATION

Plusieurs tableaux de maladies professionnelles du régime général permettent de réparer certaines affections selon les allergènes en cause : tableau n° 95 pour les allergies provoquées par les protéines du latex (ou caoutchouc naturel), tableau n° 65 pour les lésions eczématiformes de mécanisme allergique pour plusieurs substances, tableau n°15 pour les affections provoquées par les amines aromatiques, leurs sels et leurs dérivés notamment hydroxylés, halogénés, nitrés, nitrosés et sulfonés. Au régime agricole, il existe le tableau n° 44 pour les affections cutanées et muqueuses professionnelles de mécanisme allergique.
 

« Nous réalisons plusieurs types de tests, reprend Florence Astorg. Les principaux sont les tests épicutanés ou patch-tests, avec les allergènes présents dans la batterie standard européenne, des allergènes spécifiques définis lors de l’enquête et des produits professionnels ramenés par le patient. De petites pastilles contenant les allergènes sont maintenues sur la peau, en général dans le dos, pendant 48 heures avant une première lecture. Nous faisons également des prick-tests, à lecture rapide (20 minutes), qui permettent d’explorer la sensibilisation aux allergènes courants (pollen, moisissures, animaux…). »

Un bilan complet est indispensable pour poser un diagnostic et orienter la prévention qui, au niveau médical, passe par l’éviction de tout contact, professionnel ou non, avec le ou les allergènes responsables. Et, parfois, trouver le gant adapté pour un salarié allergique sans l’exposer à une autre famille d’allergènes relève du casse-tête.

Un marquage réglementé

Pour autant, des progrès ont été réalisés, notamment dans le champ de la substitution du latex et des principaux allergènes du caoutchouc. Si on se souvient des épidémies de sensibilisation et d’allergie au latex chez le personnel de santé dans les années 1980 et 1990, l’utilisation de gants en latex non poudrés à faible teneur en protéines allergisantes et d’alternatives en caoutchouc synthétique ont réduit considérablement le risque de sensibilisation. Pour la prévention des allergies aux accélérateurs de vulcanisation, des gants dits « accelerator free », exempts d’accélérateurs de vulcanisation, existent, notamment pour les professionnels de santé.

Tests réalisés par un médecin allergologue à l'Hôtel-Dieu

Ce marquage est réglementé depuis 2015 : un fabricant ne peut l’utiliser que si aucune de ces substances n’entre dans le procédé de fabrication. « Ces gants plus coûteux sont, la plupart du temps, proposés uniquement aux personnes allergiques, donc pas en prévention primaire, regrette toutefois Marie-Noëlle Crépy. Le coût est également un frein au développement de ce type de solutions dans les activités industrielles notamment. » Reste les actions à mener sur l’organisation du travail, notamment pour supprimer ou réduire le port de gants lorsque c’est possible, ou encore le temps de travail en milieu humide.

« En consultation, on prend également le temps de revenir sur les bonnes pratiques de travail, du lavage des mains à l’eau tiède à l’utilisation de crèmes émollientes avant et après le travail, reprend Florence Astorg. On évoque aussi la nécessité de porter des gants adaptés à l’activité et aux produits utilisés, en bon état, et de les changer régulièrement. »

BONNES PRATIQUES

« On reçoit beaucoup de patients qui portent des gants de façon inappropriée. Soit parce qu’ils manipulent des produits chimiques qui les traversent en quelques minutes (par exemple les acrylates chez les esthéticiennes), soit, notamment dans le secteur industriel ou les travaux publics, parce qu’ils ne les changent que quand ils sont très détériorés », alerte Marie-Noëlle Crépy, dermatologue au service de pathologies professionnelles et environnementales de l’Hôtel-Dieu, à Paris. Si des temps de perméation peuvent être indiqués par le fabricant, un salarié peut utiliser divers produits qui se mélangent et interagissent (NDLR : l’INRS a conçu le logiciel ProtecPo afin de permettre aux utilisateurs de produits chimiques d’opter pour des matériaux de protection cutanée adaptés). « Il y a un défaut de formation et d’éducation à la prévention, y compris pour les médecins du travail », reprend-elle. À éviter également : le port de bagues, des irritants pouvant se retrouver piégés dessous.

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