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La grande distribution

Face à des mutations profondes, un secteur en ordre de marche

Concurrence, changement d’habitudes des consommateurs, essor des drives, inflation… Pour s’adapter à ces changements profonds, supermarchés et hypermarchés doivent revoir leur stratégie commerciale. Une réorganisation qui ne peut se faire sans prendre en compte la santé et la sécurité au travail et la prévention des risques professionnels.

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Corinne Soulay - 26/04/2023
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Un salarié réapprovisionne une armoire réfrigérée.

« La grande distribution revient de loin », c’est le constat de François Fougerouze, ingénieur-conseil national à la Cnam, en charge du comité technique du secteur agroalimentaire. Avec quelque 700 000 employés, c’est l’un des premiers employeurs du pays, mais c’est aussi un secteur à forte sinistralité. « Pour une raison simple : des activités liées à la réception, jusqu’aux postes d’encaissement, en passant par le déchargement et la mise en rayon, les manutentions manuelles sont légion », résume le préventeur.

« 85 % des postes occupés par les employés des supermarchés et hypermarchés sont des postes de main-d’œuvre, qui induisent des contraintes physiques », confirme Renaud Giroudet, directeur affaires sociales, emploi, formation, à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Dans ces magasins, 54 % des accidents sont liés aux manutentions manuelles et 20 % aux chutes de plain-pied ou de hauteur, selon la Cnam : entorse de la cheville en tombant d’un marche-pied lors de la mise en rayon, glissade sur une flaque d’huile… « Sans oublier les risques de l’agroalimentaire au sein des laboratoires de boulangerie, boucherie ou poissonnerie, précise Séverine Demasy, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Cela englobe ceux liés aux machines, à l’aménagement de l’espace, aux meubles réfrigérés, aux poussières de farine, à l’usage de couteaux… »

Or, depuis une quinzaine d’années, le secteur a progressé en termes de santé et sécurité au travail, en investissant notamment dans de nouveaux équipements. Et ce, grâce à l’adoption d’une série de recommandations de la Cnam (voir l’illustration page suivante). « Elles ont été un élément moteur dans l’évolution de la politique du secteur en matière de prévention, confie Renaud Giroudet. Elles ont l’avantage d’être de bonnes pratiques – qui plus est d’origine paritaire –, plus faciles à s’approprier qu’une norme imposée. »

Un constat peu satisfaisant

Parmi les recommandations bien connues du grand public, celle des « 8 kg en caisse » a mené, par exemple, à équiper les postes de caisses de douchettes pour scanner les produits lourds sans avoir à les manipuler. « Elles ont aussi conduit à la généralisation de dispositifs d’aide à la manutention comme les transpalettes électriques à haute levée, ou encore à l’adaptation du mobilier afin de réduire les postures contraignantes », souligne Séverine Demasy. La dernière recommandation, la R515, date de juin 2022 et concerne l’utilisation des rolls. L’amélioration se poursuit…

Malgré ces avancées, le secteur comptait encore plus de 3 millions de journées de travail perdues en 2021 et 3 338 maladies professionnelles, 98 % étant des troubles musculosquelettiques (TMS), comme le syndrome du canal carpien ou les tendinites. Un constat peu satisfaisant, d’autant que le secteur fait face à des changements importants. Pourtant, l’organigramme des grandes enseignes – Leclerc, Intermarché, Système U, Carrefour… – s’est peu à peu étoffé de personnes dédiées à la santé et sécurité au travail (SST), signe d’une volonté de progresser sur la question.

« Le comportement des consommateurs évolue, remarque Marc Filser, professeur émérite de marketing à l’université de Bourgogne. Le modèle est désormais celui du multicanal : le super et l’hypermarché ne sont plus les seuls points de vente fréquentés. On va aussi utiliser le drive ou la livraison à domicile, des enseignes spécialisées pour les fruits et légumes ou les surgelés… Pour les distributeurs, il s’agit de se positionner dans un univers concurrentiel intense. » Avec un contexte inflationniste actuel qui accentue le phénomène.

Une salariée de l'enseigne Lidl réapprovisionne un rayon.

D’où le développement de nouvelles stratégies commerciales, induisant des réorganisations, pour se différencier des concurrents ou attirer une autre clientèle. Exemple : la montée en gamme de certains hard-discounters ou encore la mise en place de nouveaux concepts (vrac, circuits courts…). Avec la crise sanitaire, les drives, plébiscités pendant les confinements, se sont par ailleurs installés durablement et sont en plein essor : leur nombre a doublé en huit ans, passant d’environ 3 000 à plus de 6 000 depuis 2015.

Des difficultés à recruter

Toutes ces nouvelles tendances ne créent pas de nouveaux risques mais peuvent en accroître certains. « Prenons les drives, les risques liés au port de charges lourdes ou au nombre de pas étaient déjà identifiés dans ceux qui existaient avant la Covid, note Carole Bolot, ingénieure-conseil à la Carsat Pays de la Loire. Mais avec l’augmentation de la demande et la multiplication des créneaux de livraison, ils ont pu s’intensifier. » Il peut donc être nécessaire de réfléchir à l’organisation lors de la préparation des commandes et de repenser l’implantation des produits afin que les plus lourds soient manipulés le moins possible.

À ces mutations, il faut ajouter une autre réalité : le secteur peine à recruter. « Lever à 4 heures du matin, travail le week-end… la grande distribution ne fait plus rêver, assène Marc Filser. Auparavant, elle offrait des perspectives de carrière, mais avec la diminution des ouvertures de magasins, l’ascenseur social est au ralenti. » Dans ce cadre, améliorer les conditions de travail devient, pour les enseignes, un levier d’attractivité.

Deux salariés préparent les commandes du drive.

Pour ce faire, la coopération avec les Carsat, notamment via la démarche grand compte – mise en place par le réseau Assurance maladie-risques professionnels et qui propose un interlocuteur unique pour chaque enseigne –, se révèle centrale. Elle permet d’envisager des actions coordonnées, sur le long terme. Ainsi, chez Lidl, cette collaboration a permis de réaliser un gros travail sur la conception des magasins ; chez Système U, une stratégie nationale a été lancée comprenant un parcours de formation pour mailler le territoire en personnes ressources. Les préventeurs doivent s’adapter aux différences d’approches entre magasins intégrés, appartenant à un groupe (Carrefour, Casino, Cora, Auchan ou Lidl) et indépendants, comme sous enseigne Intermarché, Leclerc ou Super U où les adhérents sont propriétaires de leur magasin.

De prime abord, il semble plus simple de mettre en place des actions avec les premiers, car lorsqu’un plan est décidé au niveau du siège, il est généralement déployé dans l’ensemble des magasins. « On peut donc facilement construire une amélioration, convient François Fougerouze. La limite, c’est que les problématiques locales sont peu prises en compte et les magasins n’ont pas beaucoup de latitude. Il suffit que le groupe change à nouveau d’organisation pour que le retour en arrière soit aussi très rapide… »

QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UN HYPERMARCHÉ ET UN SUPERMARCHÉ ?

L'hypermarché couvre une surface de vente en libre-service comprise entre 2 500 et 20 000 m2 et commercialise de 25 000 à 40 000 références, quand le supermarché correspond à une surface de 400 à 2 500 m2 et propose un assortiment comptant de 3 000 à 12 000 références. Quant aux supermarchés à dominante de marques propres – type Aldi ou Lidl –, leur surface de vente s’étend entre 300 et 2 500 m2, avec un nombre de références réduit, n’excédant pas 2 000. En 2022, en France, on dénombrait 2 300 hypermarchés, 5 875 supermarchés, 3 435 supermarchés à dominante de marques propres, près de 6 200 drives, environ 20 000 magasins de proximité, soit plus de 30 000 points de vente pour un volume d’affaires d’environ 225 milliards d’euros HT.

Quant aux indépendants, ils bénéficient aussi de services dédiés à l’animation de la prévention, mais les actions se font sur la base du volontariat. Certains magasins ne suivent pas. « Mais si un adhérent est sensible aux questions de santé et sécurité au travail, il est généralement motivé car il se rend vite compte des bénéfices sur la stabilité de ses équipes, donc cela donne de belles réalisations. » Parmi les dispositifs mis en œuvre par les Carsat, plus de 1 130 établissements font l’objet d’un accompagnement via le programme de l’Assurance maladie-risques professionnels TMS Pros, qui vise à identifier, connaître et maîtriser le risque TMS de façon durable.

Et ses retombées dépassent la prise en charge des seuls TMS. « Avant tout, c’est une méthodologie. Elle permet de mettre le travail au centre, d’évoquer aussi les risques psychosociaux ou d’accidents…, souligne Carole Bolot. On peut espérer que les magasins formés vont continuer à s’en servir dans le cadre de leurs futurs projets – par exemple, s’ils mènent une réflexion sur la réimplantation de leurs produits ou sur de nouvelles manières de les présenter – et que ce sera l’occasion d’échanger avec leurs salariés, pour coconstruire un plan d’action et limiter les risques professionnels. » Objectif : installer une dynamique d’amélioration continue.

15 ans de recommandations pour améliorer les conditions de travail

Depuis 2008, une série de recommandations émanant de la Cnam a permis d’améliorer les conditions de travail des salariés de la grande distribution. Panorama de quelques-unes des bonnes pratiques qu’elles ont permis de mettre en place.
 

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