Ce site est édité par l'INRS
La grande distribution

Des flux maîtrisés pour moins de pénibilité

À Belleville-en-Beaujolais, près de Lyon, Intermarché a complètement modifié sa manière de piloter les flux marchands avec, entre autres conséquences, des réserves assainies, une réduction des contraintes liées aux activités de mise en rayon, moins de stress et une montée en compétences pour les employés. Décryptage.

5 minutes de lecture
Corinne Soulay - 26/04/2023
Lien copié
Une salariée réapprovisionne un rayonnage.

5 heures, la mise en rayon bat son plein dans l’Intermarché de Belleville-en-Beaujolais, dans le Rhône. Pourtant, le magasin de 2 500 m2, bercé par une agréable musique de fond, ne montre aucun signe d’agitation. En cause, une mécanique bien huilée, mise en place il y a un an à peine…

« L’histoire a été un peu difficile au début, se remémore Gilles Sospedra, contrôleur de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes. Lors de ma visite en 2021, les réserves étaient très encombrées, ce qui rendait la mise en rayon difficile. » Même constat lorsque, début 2022, Lydie Cotillon est nommée responsable du magasin : « On avait du mal à s’y retrouver, nous recevions trop de marchandises, il n’y avait pas vraiment de place pour la gestion des stocks, qui étaient donc faussés. Cela générait des ruptures en rayon. » Pour tous deux, l’objectif est clair : il faut assainir les réserves.

À la même période, Cedryc Fernandez, également contrôleur de sécurité, travaille, avec la direction opérationnelle CentreEst de l’enseigne, sur le pilotage du flux marchand en magasin. Aidés par Robert Piétu, formateur fichier pour Intermarché, ils testent une démarche dans plusieurs supermarchés et les résultats sont encourageants. « Si le point de vente ne maîtrise pas ses besoins en matière de gammes produits et quantités associées, les réserves deviennent excédentaires. On provoque ainsi un surstock, résume Cedryc Fernandez. Au contraire, maîtriser son flux, c’est assurer de proposer une gamme adaptée aux clients, d’être livré de la juste quantité nécessaire entre deux délais de livraison et de passer d’un magasin plein à un magasin sans rupture ! » Les deux contrôleurs et la direction du magasin s’accordent pour mener cette réflexion à Belleville.

Pour Robert Piétu, une priorité s’impose : se plonger dans les arcanes du logiciel de réapprovisionnement utilisé par les adhérents du réseau Intermarché. Pour faire simple, le système informatique assure le réassort qui se fait, pour la plupart des produits, de manière automatique, avec des paramètres qui ne sont pas toujours adaptés aux ventes. Résultat : il reste parfois plusieurs colis de surstock en réserve, lorsqu’une nouvelle livraison arrive. Les marchandises s’accumulent et cela engendre de la « casse » car les produits arrivent à leur date de péremption sans avoir été vendus. « Non seulement cela induit des centaines de milliers d’euros de perte, mais surtout des manutentions inutiles et des conditions de mise en rayon dégradées », déplore Robert Piétu.

Repenser l’implantation des rayons

D’où la nécessité d’affiner les paramètres du logiciel pour que les commandes automatiques collent à la réalité du terrain. Robert Piétu suit une méthode en trois temps. D’abord, il analyse la gamme, repère les petites ventes – les articles qui en font moins de trois par semaine –, les moyennes – entre 3 et 14 – et les grosses, au-delà de 14. Pour ces dernières, l’algorithme de réapprovisionnement est relativement adapté. Mais une réflexion doit être menée sur les autres. « Si un produit ne se vend pas et génère de la casse, mieux vaut franchement le supprimer des stocks, pour laisser plus de place aux grosses ventes dans les linéaires, tranche-t-il. Quant aux moyennes, qui correspondent à 80 % des ventes, elles exigent une analyse approfondie pour optimiser l’algorithme. Pour ça, nous avons mis à contribution les responsables de rayon avec leurs équipes car ils ont une connaissance pointue de leur secteur : les biscottes ne fonctionnent pas comme les petits pois ni comme l’ultra-frais ! »

LE TÉMOIGNAGE DE...

Sylvana, employée au rayon frais depuis janvier 2017

« Avant, on avait énormément de rolls à vider chaque matin, c’était impossible de mettre en rayon tous les produits livrés avant l’ouverture du magasin. Je travaillais dans la précipitation, ça me stressait beaucoup. Je rentrais chez moi en n’étant pas satisfaite de ce que j’avais fait. Et le lendemain, je revenais, angoissée par avance en sachant que je n’y arriverais pas… Désormais, je réussis, sans pression, à rentrer tous les produits en une fois. J’ai aussi le temps de faire correctement mes rotations, c’est-à-dire de mettre les produits dont la date de péremption est la plus proche devant et, les autres, derrière. Je peux aussi terminer mon facing, c’est-à-dire faire un bel agencement des produits. Je suis contente de moi. Un jour sur deux, je fais un point sur les ruptures en scannant les étiquettes des produits manquants. Avant j’avais rarement le temps de faire ces listes donc quand j’y arrivais enfin, elles étaient très longues et analyser la cause des différentes ruptures était impossible. »

Deuxième étape : repenser l’implantation des rayons, avec, en ligne de mire, une réduction des manutentions. L’idéal étant de se limiter, pour les grosses ventes, à une seule repasse en rayon entre deux livraisons (d’où l’intérêt de leur laisser plus de place en rayon), et, pour les autres, de placer en une fois tous les produits livrés. Au rayon laitage, par exemple, les marques de yaourts brassés les plus plébiscitées, qui nécessitaient un réassort fréquent, s’étalent désormais sur plusieurs étages.

Un salarié pousse un roll dans la réserve.

Dernier point important : l’analyse des ruptures. « Nous avons mis en place un système de remontées de terrain, explique Robert Piétu. Régulièrement, les employés font un état des articles en rupture dans les linéaires. On mène ensuite l’enquête : y a-t-il une erreur dans l’inventaire et en reste-t-il en réalité dans les réserves ? Y a-t-il eu un retard de livraison ? Le produit n’est-il plus disponible en entrepôt ? Comprendre les causes de la rupture permet d’agir en conséquence, alors qu’avant le réflexe était de recommander. »

Pour que les salariés s’approprient la méthode et qu’elle se pérennise, la responsable fichier du magasin a été formée et suit de près ces états. De plus, les employés de mise en rayon ont été accompagnés pour se familiariser avec cette nouvelle gestion des stocks. Si, au départ, le système semblait abstrait, les effets se sont rapidement concrétisés. Dans les réserves, plus de capharnaüm, les allées sont dégagées. « Il n’y a quasiment plus de reliquats de livraison et, pour autant, pas plus de ruptures en rayon », remarque Lydie Cotillon.

Un confort de travail agréable

Il est 8 heures et, à une demi-heure de l’arrivée des premiers clients, les employés ont tous terminé leur mise en rayon. Certains en profitent pour soigner la présentation, quand d’autres, scanner à la main, s’attellent à traquer les ruptures. « Avant, la contrainte temporelle de l’ouverture du magasin était très forte, ce qui n’est plus le cas. Avec cette approche, on agit sur des contraintes liées aux manutentions manuelles mais également sur des facteurs de risques en lien avec les risques psychosociaux », se satisfait Gilles Sospedra.

Au rayon céréales, Christine, salariée depuis 22 ans, savoure ce nouveau confort de travail. « Tout est plus simple et mieux organisé. Et le fait qu’on nous fasse confiance sur l’analyse des flux de nos rayons, ça nous responsabilise, on se sent plus investis. » Même satisfaction pour Nicolas Guilloux, le propriétaire du magasin : « Mon chiffre d’affaires n’a pas changé, mais le turn-over a quasiment été divisé par deux. » Des conditions favorables pour faire face à de nouveaux défis, notamment l’amélioration des conditions de mise en rayon. « Nous allons rénover totalement le magasin, avec une extension de 300 m2. Cela permet d’envisager ces gros changements avec plus de sérénité », conclut Lydie Cotillon.

TROIS DISPOSITIFS CONTRE LES TMS

Dans le cadre du programme TMS Pros, la Carsat Rhône-Alpes a proposé un accompagnement à la vingtaine d’adhérents Intermarché de la région, ciblés du fait de leur sinistralité. Les entreprises ont pu choisir entre trois dispositifs :
• bénéficier de l’intervention d’un prestataire spécialisé pour poser un diagnostic sur l’état du magasin et engager un premier projet d’amélioration ;
• identifier un binôme et le faire monter en compétence via la formation « personne ressource du projet de prévention des TMS » avec pour objectif de rendre le magasin capable d’agir sur des situations de travail à risque TMS ;
• enfin, travailler sur l’optimisation du flux marchand, comme vecteur d’amélioration des conditions de travail et engager par la suite, avec l’appui d’un prestataire, une analyse des conditions de mise en rayon pour compléter les mesures.
« À terme, nous aimerions que l’analyse du flux marchand soit un prérequis pour toute démarche de prévention des TMS quel que soit le dispositif choisi », précise Cedryc Fernandez.

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
La grande distribution

En savoir plus