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La grande distribution

La chasse aux risques entre dans une autre dimension

Face à la recrudescence des maladies professionnelles dans la grande distribution, les acteurs de la prévention de la région Grand-Est ont décidé d’appeler la réalité virtuelle à la rescousse. À travers la formation-action Optimus Prev, des salariés de ce secteur sont plongés dans un supermarché en 3D pour mener une grande chasse aux risques. Des exercices virtuels à impacts réels.

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Lucien Fauvernier - 26/04/2023
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Une stagiaire équipée d'un casque de réalité virtuelle.

« Si nous vous avons réunis ce jour dans nos locaux, c’est pour vous proposer de vivre une vraie expérience. Afin que chacun d’entre vous, dans un cadre collectif, puisse interroger sa pratique professionnelle. » Le ton de la journée est donné par Pierre-Yves Adam, ingénieur-conseil à la Carsat Alsace-Moselle. En face de lui, neuf salariés du groupe Auchan sont rassemblés afin de suivre une journée de formation à la sensibilisation aux risques professionnels. Pour mener à bien sa mission, Pierre-Yves Adam peut compter sur le soutien de Sylvie Samson, technicienne-formatrice à l’Association de conseil en santé au travail (ACST) avec qui il anime et organise les échanges.

Pour commencer, les deux intervenants font un certain nombre de rappels : le rôle des Carsat, des services de prévention et de santé au travail et de l’inspection du travail, les obligations réglementaires en matière de sécurité liées au Code du travail, puis un focus sur les prescriptions techniques harmonisées pour la grande distribution. « Il s’agit d’un ensemble de treize fiches qui détaillent les risques rencontrés dans les rayons d’un supermarché ainsi que leurs mesures de prévention associées. De ces treize fiches, nous souhaitons que les établissements d’Alsace-Moselle appliquent 26 mesures socles, précise Pierre-Yves Adam. Certaines d’entre elles sont en vigueur depuis 2005, telles que les préconisations sur le revêtement des sols dans les laboratoires de fabrication pour prévenir les glissades, l’aménagement des quais pour empêcher les chutes de hauteur et écrasements… »

Pour appuyer son propos, un classeur rassemblant l’ensemble des fiches et informations passe de main en main parmi les stagiaires. « Ah la fameuse bible de la prévention ! » plaisante Erell Le Guen, chargée de prévention territoire chez Auchan. Un document qui ne manque pas de faire réagir sur la question de l’aménagement des différents magasins, notamment du côté des responsables techniques du groupe, tel Mulla Yilmaz qui indique : « Nous ne sommes pas contre ces préconisations, bien au contraire. Depuis 2005 justement nous réalisons des travaux pour améliorer nos magasins. Mais il faut aussi prendre en compte les contraintes liées au bâti préexistant. »

Une difficulté que l’ingénieur de la Carsat ne minimise pas : « Nous avons bien conscience de l’hétérogénéité des magasins. L’idée aujourd’hui n’est pas d’être dans l’injonction mais plutôt de rappeler l’importance de mettre en place des plans d’amélioration au long court et, surtout, d’être vigilant lorsque de nouveaux équipements, mobiliers ou concepts sont déployés. » La discussion se poursuit alors sur le choix des nouvelles caisses effectué par l’entreprise. L’occasion pour Sylvie Samson de présenter un gabarit de contrôle à déployer sur les postes de caisses afin de vérifier la bonne disposition des éléments nécessaires au salarié pour effectuer son travail : « Un outil simple qui permet de voir en un clin d’œil si tout est à la bonne place » appuie-t-elle.

Se confronter aux risques en réalité virtuelle

Après de riches échanges et une pause déjeuner bienvenue, le deuxième volet de la formation s’ouvre sur le dispositif Optimus Prev. Développé en partenariat par la Carsat et les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) d’Alsace-Moselle ainsi que la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), cet outil de réalité virtuelle vise à immerger les participants dans un supermarché en 3D. « Nous avons modélisé un supermarché de la région que vous reconnaîtrez peut-être. », indique Pierre-Yves Adam pour souligner la pertinence du modèle dans lequel l’expérience est proposée. Chaque participant est alors invité, à tour de rôle, à enfiler le casque de réalité virtuelle et prendre en main les manettes lui permettant d’interagir avec l’environnement digitalisé. Puis, guidé par la voix de Sylvie Samson, à s’engager dans un des scénarios proposés.

Les collègues ne sont pas en reste puisqu’ils profitent d’un retour écran pour analyser ce qui se joue en réalité virtuelle. Marcel Huchot, responsable technique, est le premier à s’immerger dans ce supermarché virtuel. Il se retrouve dans la réserve d’un magasin où plusieurs avatars se déplacent dans l’entrepôt : « Il n’y a pas de plan de circulation au sol ? » s’étonne immédiatement le salarié. À l’écran, un avatar au volant d’un chariot à conducteur porté arrive et vient percuter un autre travailleur virtuel : « Houla ! C’est un accident grave ça ! », s’exclame Marcel Huchot. La question « Comment cet accident aurait pu être évité ? » apparaît alors à l’écran, avec, parmi plusieurs propositions, la bonne réponse que le responsable technique avait déjà trouvée : « Un plan de circulation au sol, bien évidemment, c’est obligatoire. »

UN SUPPORT DE FORMATION QUI NE DOIT PAS ÊTRE DÉVOYÉ

« Ce qui est important dans cette formation, c’est la discussion qui s’organise autour du dispositif de réalité virtuelle, rappelle Pierre-Yves Adam. En aucun cas, Optimus Prev n’est un outil autoporté : il n’a que peu d’intérêt si le stagiaire n’est pas guidé. C’est pourquoi nous avons développé un kit pédagogique à destination des formateurs afin que ces derniers puissent, pour chaque situation dangereuse, accompagner au mieux le participant. De même, Optimus Prev n’est pas un livret d’accueil pour nouveaux embauchés avec certificat de réussite à la clé. C’est pour toutes ces raisons que, malgré des sollicitations, nous ne souhaitons pas vendre le dispositif aux entreprises. »

Autre participant, autre situation. Ici David Vervack, manager commerce, doit utiliser un gerbeur électrique afin de stocker une palette en hauteur. Il commence à réaliser l’opération quand… le gerbeur bascule sur le côté et fait s’écrouler tous les rayonnages. « C’est moi qui ai fait ça ? » s’exclame le salarié. En cause, le gerbeur, qui n’était pas adapté à la charge. « En même temps, c’était le seul disponible… », justifie David Vervack. « Justement, explique Sylvie Samson, la simulation est là pour vous rappeler qu’il faut toujours vérifier si le matériel utilisé est le bon… C’est dans la précipitation, ou simplement parce que cela semblait logique d’utiliser l’outil car il était à portée de main, que les erreurs arrivent. »

Deux stagiaires comparent des dalles de sol antidérapantes.

Troisième participant, Mulla Yilmaz est invité, en réalité virtuelle, à prendre une pause à l’extérieur. Il se retrouve nez à nez avec un malfrat armé qui souhaite dérober le contenu du coffre du magasin. Le salarié tente de résister puis de prendre la fuite… sans succès : « Inutile d’essayer de jouer les héros, la clé dans cette situation c’est d’obtempérer », explique alors Sylvie Samson.

Après ces mises en situation, tous les stagiaires sont à nouveau rassemblés autour de la table de la salle de formation pour un moment de débriefing et d’échanges. Des photographies réalisées dans les magasins des stagiaires présents sont affichées afin d’analyser les situations dangereuses et réfléchir aux solutions à apporter avec la rédaction d’un plan d’action : « La réalité virtuelle, c’est la cerise sur le gâteau, souligne Pierre-Yves Adam. Le fond et l’intérêt de la formation, c’est vraiment de travailler sur les recommandations. »

OPTIMUS PREV EN CHIFFRES

  • Le développement du dispositif a nécessité un investissement de 118 000 euros, réalisé par le consortium Carsat Alsace-Moselle, Dreets, ACST, AST67, ASTME, Agestra, APST68 et santé au travail 68. L’univers numérique a été créé en collaboration avec l’Institut national des sciences appliquées (Insa), l’Académie de Strasbourg et l’entreprise Holo3.
  • 14 stations de réalité virtuelle sont aujourd’hui déployées.
  • 19 situations dangereuses représentatives du secteur de la grande distribution sont expérimentables. 
    • Début 2023, pas moins de 470 stagiaires ont été formés.
  • Les formations peuvent être dispensées sur une journée de 8 heures – principalement à destination des directeurs et managers de magasin – mais aussi sur un format plus court de 4 heures pour les salariés employés.
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