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La chaîne logistique

Des fournisseurs jusqu'aux distributeurs, mieux se coordonner pour prévenir les risques

Si les différents acteurs de la chaîne logistique ont l’habitude de collaborer pour améliorer la productivité, ils ont tout à gagner à se coordonner sur les questions de santé et sécurité au travail. Par un effet de propagation, la mise en place d’une pratique vertueuse sur un des maillons, si elle est le fruit d’un dialogue avec les autres, peut avoir des répercussions positives sur l’ensemble de la chaîne.

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Corinne Soulay - 30/01/2024
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Vue d'un entrepôt logistique.

Tee-shirts, pots de confiture, médicaments, meubles… Avant d’arriver dans nos foyers, tous ces produits ont eu une première vie, bien remplie. Prenons un yaourt : le lait est d’abord collecté dans l’exploitation agricole, avant de rejoindre l’usine de fabrication, où il est transformé, mis en pot et emballé. Puis il peut être stocké dans un entrepôt du fournisseur, avant d’être transféré vers la plate-forme logistique du distributeur, livré et, enfin, mis en rayon en magasin.

Cette succession d’entreprises en interconnexion forme un écosystème, que l’on appelle la chaîne logistique. Différents maillons avec un objectif commun : livrer le bon produit, dans la bonne quantité, au bon endroit, au bon moment et au bon prix. « Chaque entité a donc des objectifs et des contraintes – délais, qualité… – qui nécessitent de se coordonner avec l’acteur amont ou aval », pointe Virginie Govaere, responsable d’études à l’INRS.

En matière de santé et sécurité au travail (S&ST), si des risques spécifiques sont présents chez certains acteurs  – à l’instar du risque routier, prégnant chez les transporteurs –, d’autres sont communs à tous, comme ceux liés aux manutentions manuelles lors du chargement des camions, la réception des palettes, la préparation de commandes, la mise en rayon… Selon la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), le secteur de la logistique et des transports de marchandises, maillon central de la chaîne logistique, présente deux à trois fois plus d’accidents du travail que la moyenne nationale, toutes activités confondues. Dans les plates-formes logistiques, les manutentions manuelles et le port de charges en sont les premières causes, devant les chutes de plain-pied et l’utilisation d’engins mécaniques. 95 % des maladies professionnelles reconnues sont des troubles musculosquelettiques (TMS), soit 8 % de plus que la moyenne nationale.

En entrepôt, des actions locales à portée limitée

Au-delà des conditions de travail propres à chaque entité, ces relations d’interdépendance entre entreprises peuvent avoir des conséquences délétères. « Schématiquement, une commande envoyée à la dernière minute peut contraindre les préparateurs d’une usine à travailler dans l’urgence et à constituer des palettes instables ; cela implique aussi des retards en livraison, donc des transporteurs stressés sur la route ; et, enfin, des risques de chutes de colis à la réception du chargement… Le risque se propage à chacune des interfaces, notamment à cause de la logique de flux tendu répandue dans ce secteur pour maîtriser les coûts », détaille Virginie Govaere. Or, lorsque le travail se fait sous contrainte de temps, dans des organisations rigides, avec peu de marge de manœuvre pour les salariés, cela peut entraîner des gestes répétitifs et du stress, également facteurs de TMS.

Vue d'un salarié d'un entrepôt logistique en situation de travail.

Pour absorber ces contraintes, les entreprises agissent en général sur des leviers en interne. Dans les plates-formes logistiques, par exemple, l’une des tendances consiste à mécaniser les entrepôts, avec des convoyeurs automatisés, voire le recours à des robots mobiles autonomes pour le transport des charges. En théorie, cela réduit les risques de TMS, de collisions et de chutes pour les salariés. « Mais il faut s’assurer que cela ne crée pas de nouveaux risques en interne, nuance Éric Veretout, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Car au déchargement ou à la préparation de commandes, il reste toujours des salariés, dont la tâche se retrouve appauvrie et qui doivent s’adapter au rythme des machines. Avec, à la clé, des risques psychosociaux (RPS) et une perte de sens au travail. »

De même, une action de prévention mise en œuvre sur un maillon de la chaîne logistique, sans concertation avec les maillons voisins, peut avoir des répercussions, pas toujours positives, sur un autre. Ainsi, un commerçant qui aménage une réserve en sous-sol pour stocker ses bouteilles afin de désemcombrer les couloirs de son arrière-boutique, impose aux livreurs de nouvelles manutentions pour descendre les colis à la cave.

Favoriser la coordination entre les maillons

La bonne approche consiste donc à prendre de la hauteur et à considérer la chaîne logistique dans son ensemble. C’est le sens de la démarche « Propagir », élaborée dans le cadre d’une étude de l’INRS. Elle s’appuie sur un volet « diagnostic » – destiné à identifier les causes, internes ou externes, impactant de façon négative une situation de travail – et un volet « mise en œuvre de solutions ». « Les pistes de recommandations peuvent alors concerner l’entité elle-même ou bien les entités connectées en amont ou en aval, dans une démarche gagnant-gagnant. Car, si les facteurs perturbateurs peuvent se propager d’entreprises en entreprises, les facteurs protecteurs aussi », expliquent Liên Wioland et Virginie Govaere, responsables de cette étude.

Vue d'un centre de tri de colis.

Sur le terrain, différentes initiatives voient le jour en ce sens. Depuis 2016, la Carsat Rhône-Alpes développe ainsi une approche filière qui vise à favoriser le dialogue entre les acteurs de la chaîne logistique des produits frais, afin de réduire la sinistralité et d'améliorer la performance globale. À l’issue d’un premier diagnostic, mené dans une trentaine d’entreprises partenaires, trois grands axes de travaux transversaux ont été retenus : la temporalité des flux, l’optimisation de la palettisation et l’harmonisation des emballages.

« L’enjeu est de mobiliser tous les maillons concernés, insiste Cédryc Fernandez, contrôleur de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes. Or, il peut y avoir des freins à la communication entre eux, dus notamment au rapport de force client-fournisseur. La présence de la Carsat, qui apparaît comme une instance paritaire neutre, permet d’engager plus facilement des discussions sur des dysfonctionnements. » Parmi les actions mises en œuvre, le dialogue entre un fabricant de pâtes fraîches et la plate-forme logistique d’une enseigne de la grande distribution a permis de modifier la composition des palettes. Auparavant, les préparateurs les constituaient par couches successives d’un même produit, ce qui contraignait les réceptionnaires à soulever les colis et les déplacer pour retrouver les cartons d’une même référence. Désormais, celles-ci sont montées en cheminée, afin de regrouper les références identiques. Résultat : 50 % de manutention en moins à la réception. Dans la même optique, U Logistique - entité logistique des magasins U - s'est engagé dans une démarche d'optimisation de la palettisation pour limiter le port de charge. 

« Une action de prévention mise en œuvre sur un maillon de la chaîne logistique, sans concertation globale, peut avoir des répercussions, pas toujours positives, sur un autre maillon. »

Sur le même modèle, l’association Bretagne Supply Chain a lancé, en partenariat avec la Carsat Bretagne un projet collaboratif qui inclut une dizaine d’entreprises, dont la meunerie Guénégo. Après une première phase d’études ergonomiques, suivie de propositions d’actions, les acteurs vont se réunir pour partager leurs bonnes pratiques, et réfléchir à des outils facilitant le dialogue avec les clients et fournisseurs.

Priorité à la formation des préventeurs

Pour fluidifier les échanges entre les différents maillons, la Carsat Bretagne mise aussi, dans le cadre de son plan d’action régional (PAR) « Livraison plus sûre », sur le déploiement du dispositif de formations sectoriel développé nationalement. Destiné aux entreprises du secteur du transport routier et de la logistique, il consiste à former trois niveaux d’acteurs en S&ST : le dirigeant, l’animateur prévention du transport routier et logistique (APTRL), mais aussi un acteur prévention secours (APS), conducteur ou personnel sédentaire qui va venir en soutien de l’APTRL. « Ce qui serait intéressant, c’est que nous réussissions à former des APTRL dans les entreprises d’une même filière, rassemblant logisticiens et transporteurs. Car ces préventeurs comprendraient à la fois les contraintes de la logistique et celles du transport routier. Ils pourraient mieux interagir ensemble », remarque Antoine de Lipowski, ingénieur-conseil à la Carsat Bretagne. Dans cette dynamique, un club APTRL, à portée nationale, vient d’être créé, avec le partenariat de l’Association pour le développement de la formation dans les transports (AFT), regroupant tous les acteurs certifiés et voué à devenir une ressource pour les entreprises de ces secteurs.

Dans le cadre du PAR, la Carsat Bretagne construit aussi un partenariat avec les métropoles de sa région qui s’engagent dans les chartes de logistique urbaine (en lien avec les zones à faibles émissions (ZFE)). L'objectif est qu’elles intègrent aussi l’amélioration des conditions de travail des livreurs pour résoudre des problématiques de stationnement, de voirie et de commerces en zone urbaine : le dernier maillon de la chaîne.

Progressivement, cette approche décloisonnée de la prévention, complémentaire des actions localisées, devient un nouveau levier pour insuffler une culture de la prévention dans les entreprises.

LES LOGISTICIENS ARRIVENT DANS LE BTP

Optimiser les flux, éviter les reprises de charges, réduire les collisions engins-piétons… Le tout grâce au dialogue entre les acteurs d’une même chaîne logistique. Cette approche ne concerne pas seulement l’industrie, la grande distribution ou l’agroalimentaire. Elle a aussi le vent en poupe dans le BTP. En Rhône-Alpes, l'action « Partageons la construction », qui regroupe une cinquantaine d'acteurs de différents métiers, a permis d’expérimenter des solutions pour remédier à des problématiques communes (préparation des chantiers, coordination des entreprises…). En Pays de la Loire, le programme « Santé & performance sur les chantiers », lancé par la Carsat, encourage tous les acteurs – architectes, entreprises du bâtiment, promoteurs immobiliers, bailleurs sociaux... – à collaborer en amont des chantiers pour réduire le port de charges. Dans cette optique, de plus en plus de projets de construction incluent l’action d’un logisticien, une entreprise chargée de coordonner les acteurs pour optimiser les flux de matériels et de matériaux, les livrer selon le besoin, au plus près des travailleurs, à l’aide d’appareils de levage et d’aides à la manutention adaptées, et simplifier l’organisation sur le chantier. Une pratique émergente qui nécessite l’acculturation des salariés.

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