Ce site est édité par l'INRS
Les lombalgies

Des exosquelettes testés pour réduire les ports de charge

La verrerie Verescence est spécialisée dans la fabrication de flacons et pots en verre pour la parfumerie et cosmétique de luxe. Au petit matin, une équipe se charge du changement de fabrication, une opération millimétrée, éprouvante pour les lombaires. Des mesures organisationnelles ont été mises en place, mais aussi des tests d’exosquelettes.

5 minutes de lecture
Delphine Vaudoux - 22/02/2024
Lien copié
Deux salariés de l'entreprise Verescence en situation de travail.

« C’est une vraie symphonie », s’enthousiasme Gaëtan Hamon. Le responsable du service chargé de l’entretien des machines de formage et de la préparation des changements de fabrication, dit IS-SGP, évoque avec ce terme élogieux l’opération de changement de moules verriers en cours, à la verrerie Verescence. Une opération complexe et minutée, réalisée par une équipe qui, pour limiter l’apparition des lombalgies, teste des exosquelettes.

5 heures du matin, au Tréport/Mers-les-Bains, à la limite de la Normandie et des Hauts-de-France. Équipé de chaussures de sécurité, blouse en coton, bouchons d’oreilles et casquette coquée, Vincent Abadia, adjoint hygiène, sécurité, environnement, se rend à l’un des trois fours de l’usine qui fabriquent des flacons et pots en verre pour la parfumerie cosmétique. Sur 100 000 m2, 200 millions de flacons sont produits chaque année, pour des marques prestigieuses comme Dior, Chanel, ou encore Bulgari.

Le site fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et 365 jours par an, car « les fours doivent rester allumés en continu pour ne pas impacter leur durée de vie, insiste Vincent Abadia. Nous n’arrêtons jamais la production ». À lui seul, le four alimente six lignes de production et peut transformer jusqu’à 130 tonnes de verre par jour, ce qui représente environ 700 000 flacons. Chaque matin, l’équipe IS-SGP procède aux changements de fabrication, une opération qui consiste à changer les outillages et équipements sur les machines de formage. Ce ballet millimétré peut se dérouler à 5 h, 6 h 30 et 8 h.

Ce jour-là, quatre changeurs de moules sont placés de chaque côté de la machine de formage, chacun travaillant en binôme avec la personne qui lui fait face, de l’autre côté de la machine. Entre 5 h et 5 h 57, « la partie haute de la machine est totalement désossée pour changer les moules afin de commencer une nouvelle production », explique Vincent Abadia. Les moules – et autres pièces –, qui pèsent de quelques kilogrammes à plus de 30 kg, sont déposés sur un chariot et de nouveaux sont mis en place. Deux opérateurs portent un exosquelette acquis quelques jours plus tôt.

Commencer par des essais

« L’entreprise a été ciblée TMS Pros, remarque Colette Périssé, contrôleuse de sécurité à la Carsat Normandie. Je suis venue leur expliquer la démarche en 2021. » Il s'agit d'un programme de prévention des TMS proposé par le réseau Assurance maladie-risques professionnels et qui se déroule selon différentes étapes. L’établissement décide alors de former Vincent Abadia personne ressource TMS Pros qui précise : « Nous avons commencé par une analyse des risques de TMS, puis proposé de nous pencher sur l’un des deux secteurs : l’IS-SGP ou le “bout froid”. »

REPÈRES

Verescence, site du Tréport/Mers-les-bains

  • 820 employés
  • Travail en 5 x 8
  • Production par an de 200 millions de flacons pour la parfumerie et la cosmétique
  • Superficie de 28 ha dont 100 000 m2 de bâtiments

Le choix se porte sur le premier, où une action avait déjà été initiée. « Mais aussi parce que nous souhaitions commencer par une petite équipe - il y a 40 salariés au service Feeder/IS/SGP contre 200 au bout froid - avant de déployer la démarche sur des secteurs plus conséquents », reconnaît l’ingénieur prévention. « Même si aucune pathologie n’était à déplorer dans ce service, ce poste est exposé à des contraintes liées aux ports de charges importants, amplifiées par le travail à la chaleur, très tôt le matin, dans des zones de travail exiguës et dans un temps très limité… La nécessité d'une démarche de prévention des risques était évidente », précise Benoît Couvreur, médecin du travail.

L’EXOSQUELETTE

L’idée de l’exosquelette est venue au cours d’une discussion avec l’équipe IS-SGP, qui porte des charges particulièrement lourdes tout au long de la journée. Pour Vincent Abadia, il était important que toute l’équipe se porte volontaire pour le tester lors de la journée de présentation de l’équipement, « ce qui n’aurait pas pu se faire sans le responsable du service, et tous les collaborateurs, avec qui nous avons coconstruit le projet ». Une montée progressive de la durée du port de l’équipement a été organisée et le médecin du travail va recueillir à intervalle régulier le ressenti des opérateurs qui l’ont porté. Parallèlement, un point téléphonique à 2, 10 et 20 jours après l’acquisition de l’équipement a été organisé avec le fournisseur. L’exosquelette en cours de test est constitué d’un système actif partagé et d’une seconde peau détachable et lavable. Verescence a acheté deux exosquelettes qui sont partagés et dix secondes peaux pour que plusieurs opérateurs puissent les tester.

Quand l’équipe IS-SGP doit intervenir, elle peut soit changer un seul outillage, soit la totalité, depuis la charnière en passant par le déflecteur, l’entonnoir… Aussi, après analyse des risques de lombalgies notamment, des solutions organisationnelles ont vu le jour. « On a commencé par traiter l’amont et l’aval, et procédé à des formations aux gestes et postures », résume le médecin du travail. « Des chariots à la bonne hauteur ont été acquis pour apporter l’outillage mobile et les moules au plus près de l’activité, poursuit Gaëtan Hamon. Puis nous nous sommes intéressés aux exosquelettes, il y a environ quatre mois. »

Un benchmark est réalisé : « Les changeurs de moules travaillent face à face et côte à côte, donc l’exosquelette ne doit pas être trop volumineux, remarque Vincent Abadia. La température est élevée, il ne fallait pas qu’il tienne chaud ni qu’il soit trop lourd compte tenu des charges déjà portées par les opérateurs. » Le choix s'oriente sur un modèle, testé par toute l’équipe lors d’une journée d’essais à la fin de l’année 2023. « Tout le monde s’est prêté au jeu. Nous voulions également être accompagnés par le fournisseur », remarque Vincent Abadia. Gaëtan Hamon a été formé référent terrain par le fournisseur, afin de pouvoir en expliquer les aspects théoriques et pratiques, et accompagner les opérateurs sur ce sujet.

Un salarié de l'entreprise Verescence en situation de travail.

Une fois les opérations de changement de moules terminées, Yves Vincent, chargé de l’approvisionnement, enfile l’exosquelette laissé par un changeur de moules (lire l’encadré ci-dessous). « Lorsque les essais d’exosquelettes ont eu lieu, je me suis porté volontaire », remarque-t-il. « Fais attention à bien le régler pour libérer au mieux ton diaphragme », observe Gaëtan Hamon. Cela fait trois jours que l’opérateur le porte, à raison d’une heure par jour. La semaine prochaine, ce sera 1 h 30. Pour l’instant, il s’avère particulièrement satisfait, lui qui soulève, selon Gaëtan Hamon, plusieurs milliers de tonnes annuellement.

Albéric Parmentier, qui lui a cédé l’exosquelette, complète : « Cela me fait travailler différemment. Je sens qu’il me soulage, je sens aussi qu’il modifie mes mauvaises habitudes, notamment des torsions que je faisais pour attraper des pièces près du sol. On s’y habitue vite. » Le médecin du travail a bâti une grille d’analyse, afin de recueillir les avis des opérateurs, tout au long de la phase de test qui va se dérouler sur plusieurs semaines. Au deuxième trimestre, si l’essai s’avère concluant, deux autres équipements identiques devraient arriver. « Mais ils ne pourront pas être portés plus de 4 heures par jour », précise Vincent Abadia. Une première étape de la démarche de prévention qui va porter sur d’autres sujets dans les prochains mois.

EN AMONT, LE BESOIN EST LÀ AUSSI

Le changement de moules étant une opération minutée, les phases amont et aval sont donc primordiales. L'opérateur en charge de préparer les moules et les outillages, puis de les amener à proximité des fours, et enfin de les ranger, soulève annuellement plusieurs dizaines de tonnes. Aussi, lorsqu'il a été question de tester des exosquelettes, il s'est porté volontaire. Lors de notre venue, il l'utilisait à raison d'une heure par jour, et en était satisfait... Il devrait poursuivre la phase de test et augmenter progressivement la durée du port de l'exosquelette, tout en étant suivi par le médecin du travail.

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Les lombalgies

En savoir plus