Ce site est édité par l'INRS
Les lombalgies

Un Ehpad qui questionne l'organisation de tous ses métiers

L’association grenobloise Arbres de vie, qui compte trois Ehpad, s’implique dans l’amélioration des conditions de travail de ses salariés, et la prévention des troubles musculosquelettiques dont, en premier lieu, les lombalgies. Les actions menées, tant sur l’organisation du travail que sur l’acquisition d’aides techniques ou encore la formation, portent leurs fruits.

5 minutes de lecture
Céline Ravallec - 22/02/2024
Lien copié
Un salarié utilise un chariot repas motorisé dans un Ehpad.

Les métiers de l’aide et du soin à la personne figurent parmi les plus exposés aux troubles musculosquelettiques (TMS) et aux lombalgies pour le personnel. « La moyenne d’âge des résidents dans nos établissements est de 85 ans, explique Jean-François Chamberod, directeur général de l’association Arbres de vie, qui compte trois Ehpad sur la ville de Grenoble. Les personnes arrivent chez nous lorsqu’elles ne peuvent plus rester à domicile, par manque d’autonomie ou parce que les aidants sont épuisés. Elles présentent donc un degré de dépendance assez élevé, avec parfois des pathologies chroniques lourdes. » Le personnel se retrouve ainsi toujours plus exposé aux manutentions et aux sollicitations physiques.

« Les taux de cotisation - lié entre autre à la sinistralité des entreprises - ces quinze dernières années ont triplé dans le secteur des Ehpad », remarque Stéphane Roberget, contrôleur de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes. Preuve que les organismes des soignants sont mis à rude épreuve. L’établissement Bévière, l’un des trois sites de l’association, a pris le sujet à bras-le-corps. Il emploie 50 équivalents temps plein et dispose de 87 lits, plus un accueil de jour de 8 places. En 2012 déjà, le bâtiment avait fait l’objet d’une reconstruction totale. Les travaux à l’époque avaient été réalisés en prenant en compte les futures conditions de travail du personnel.

Des rails avaient été installés dans chaque chambre. Des lits réglables en hauteur avaient été acquis pour réduire les sollicitations physiques et les manutentions. Néanmoins, les arrêts de travail liés aux TMS et aux lombalgies sont restés élevés après cette rénovation. Un groupe QVT (qualité de vie au travail) a alors été mis sur pied pour mener une réflexion sur les aides techniques : verticalisateurs, lève-malades… « C’est une préoccupation importante de mettre à disposition le matériel adapté, et de former le personnel pour qu’il l’utilise correctement », témoigne Laëtitia Cressent, infirmière coordinatrice, depuis 2008 dans l’établissement.

REPÈRES

Arbres de vie est une association loi 1901 qui compte trois établissements à Grenoble : Bévière (87 lits, dont trois places temporaires pour des séjours d’un à trois mois), Reynies (93 lits), L’Abbaye (84 lits, ancienne association La Bajatière).
Chaque établissement compte 50 équivalents temps plein (ETP), soit 150 ETP au total.

L'analyse des arrêts maladie a mis en évidence un lien entre la survenue de nombreuses lombalgies et le relevage des personnes ayant chuté au sol. « Lorsque survient un accident du travail, la déclaration est consignée et m’est envoyée, ainsi qu’au CSE, précise Farouk Gouri, préventeur. Nous effectuons ensuite une analyse de l’accident avec un membre du CSE. » Un outil adapté à l’aide au relevage, se présentant sous la forme d’un brancard motorisé qui, une fois actionné, relève la personne en douceur et sans effort physique, a donc été acheté par l’établissement. « Cet outil est bien adapté au relevage des personnes au sol : nous avons d’ailleurs constaté une baisse des accidents avec arrêt après son arrivée dans l’établissement », commente Barbara Bisiaux, infirmière et personne ressource TMS de l’établissement.

Troubles musculosquelettiques : tous concernés 

Si la prévention des risques s’illustre par l’acquisition de ce genre d’outils, elle passe avant tout par un questionnement permanent de l’organisation du travail. Depuis trois ans, un questionnaire « Satin » (lire l’encadré page précédente) est soumis au personnel pour identifier les préoccupations des équipes. « Il a par exemple mis en évidence un vécu négatif par rapport aux interruptions de tâches lors des soins le matin, dues notamment aux appels téléphoniques des familles, remarque Jérôme Maison, directeur de l’établissement Bévière. Il a ainsi été demandé aux familles de ne plus appeler le matin. »

Deux salariés relèvent un patient à l'aide un brancard motorisé.

« Au-delà de la partie biomécanique, les interactions avec les tiers extérieurs peuvent devenir des facteurs aggravants dans la survenue des TMS et des lombalgies », précise Stéphane Roberget. D’où l’intérêt de considérer conjointement l’organisation du travail, l’utilisation du matériel ainsi que les causes multifactorielles de survenue des lombalgies. À cet égard, deux personnes ressources ont été formées Prap2S.

Par ailleurs, les horaires ont été revus : désormais, les temps de travail des soignants se déroulent sur 11 ou 12 heures par jour, trois jours par semaine. « Nous avons constaté qu’une telle organisation permet d’étaler la charge de travail tout au long de la journée, témoigne Jérôme Maison. L’organisation dans les Ehpad se calque sur celle en hôpital, avec les toilettes le matin. Les soignants ont toujours peur de ne pas finir le travail à l’heure et que ça se reporte sur leurs collègues de l’après-midi. » « Il est vrai que les accidents du travail surviennent le plus souvent quand les soignants ont besoin de faire vite ou qu’ils sont fatigués, confirme Stéphane Roberget. On constate souvent un effet de précipitation en fin de matinée pour terminer les tâches. Avec ces horaires, la charge de travail se régule sur l’ensemble de la journée. »

QUESTIONNAIRE SATIN

Chaque année, depuis trois ans, le personnel remplit le questionnaire Satin. Développé par l’INRS, l’université de Lorraine et l’université de Rouen-Normandie, il s’agit d’un auto-questionnaire pour renseigner trois points :

  • sa santé générale,
  • son environnement de travail,
  • une appréciation générale.

    Les réponses reçues lors de la dernière session ont mis en évidence un meilleur ressenti des salariés vis-à-vis du stress, mais une perception plus négative au niveau des symptômes physiques, en particulier dos, cou et bras. Ce questionnaire contribue à fournir un baromètre, et à attirer l’attention sur des sujets qui n’étaient plus vraiment abordés depuis la période de Covid. Certaines organisations mises en place provisoirement durant la période Covid ont par exemple été maintenues.

Les actions de prévention des TMS déployées au sein de l’Ehpad Bévière ne se limitent pas au personnel soignant. Dans les cuisines, trois chariots repas motorisés sont à disposition pour transporter les plateaux dans les chambres. Ils réduisent les actions de tirer-pousser qui peuvent provoquer des lombalgies. Le guichet d’accueil a également été réaménagé en prenant en compte les contraintes posturales de l’activité (lire l’encadré ci-dessous). « Si la survenue d’un accident perturbe très vite le fonctionnement des équipes, notre organisation contribue à ce que nous ne nous retrouvions jamais dans une situation totalement critique, conclut Jean-François Chamberod. Ça n’est pas toujours facile à mettre en œuvre, mais une fois que les choses s’organisent, on entre dans un cercle vertueux. Et pour être pérenne, il est important qu’une telle démarche repose sur un collectif. »

AMÉNAGEMENT DE LA BANQUE D’ACCUEIL

L’accueil de l’Ehpad Bévière a fait l’objet il y a un peu plus d’un an d’un réaménagement ergonomique. Le bureau est désormais extensible grâce à un fond amovible qui peut se pousser pour gagner de la place lorsque les hôtesses travaillent à deux. Des tablettes rétractables, des caissons de rangement et autres cassettes sont à disposition pour simplifier l'activité au quotidien. « C’est très satisfaisant. Avant, c’était beaucoup plus étroit, maintenant, c’est confortable », témoigne Natacha Micoud, secrétaire d’accueil. Cette configuration avait été testée dans un autre établissement du groupe et, face à la satisfaction rencontrée, a été reproduite ici.

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Les lombalgies

En savoir plus