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Caroline Semaille et Stéphane Pimbert : « La mise en commun des données et des expertises est essentielle »

L’INRS et Santé publique France viennent de signer une convention de partenariat, qui s’étend jusqu’au 31 décembre 2027. Objectif : poursuivre la mise en commun de leurs connaissances et de leurs compétences en vue d’améliorer la santé des travailleurs. Explications avec Stéphane Pimbert, directeur général de l’INRS, et le Dr Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France.

5 minutes de lecture
Grégory Brasseur, Corinne Soulay - 20/06/2024
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Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France et Stéphane Pimbert, directeur général de l'INRS.

[Article paru dans le numéro de Travail & Sécurité de mai 2024]

Travail & Sécurité. Quels rôles remplissent vos organismes respectifs ?

Stéphane Pimbert. L’INRS, pour Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, est un organisme paritaire qui a pour ambition de développer et de promouvoir une culture de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles pour les entreprises et salariés du régime général de la Sécurité sociale. Notre mission s’articule autour de l’identification des risques professionnels, l’analyse de leurs conséquences pour la santé et la sécurité des travailleurs et la diffusion et la promotion de moyens, d’outils et de solutions afin de maîtriser ces risques dans les entreprises. L’INRS conduit des études qui couvrent la majeure partie des risques professionnels et impliquent des ingénieurs, médecins, chimistes, ergonomes, techniciens... Nos experts délivrent également une assistance technique, juridique, médicale et documentaire, à destination de différents publics (État, entreprises, services de prévention et de santé au travail…). Nous proposons une large gamme de formations. Enfin, nous élaborons de nombreux supports (brochures, affiches, sites internet, revues…) et organisons des événements accessibles à tous, pour diffuser les savoirs et savoir-faire en prévention. L’institut agit au cœur du dispositif de santé et sécurité au travail formé par l'Assurance maladie-risques professionnels, les services de l’État et des agences ou organismes spécialisés tels que l’OPPBTP, l’Anact, l’Anses, l’IRSN ou encore Santé publique France.

Dr Caroline Semaille. L’activité de Santé publique France, orientée sur la santé publique, couvre un champ extrêmement large. C’est une agence nationale dont les missions sont de surveiller, d’alerter et de protéger la santé de tous les Français, travailleurs compris. Nous nous appuyons sur des systèmes de surveillance et des dispositifs d’enquêtes. Certaines sont généralistes comme le baromètre Santé publique France. D’autres sont plus spécifiques comme, par exemple, l’enquête que nous avons lancée sur la chlordécone aux Antilles ou l’enquête Albane, qui porte sur l’alimentation, la biosurveillance (incluant l’environnement), l’activité physique et la nutrition. Nous avons également des dispositifs d’alerte sur tous les risques pour la santé (canicule, maladies infectieuses, exposition aux produits chimiques…). Et nous avons des départements de prévention et d’aide et diffusion aux publics, qui pilotent des sites internet, des services d’aide et d’écoute (alcool info service, drogue info service…) et des campagnes de prévention nationales à destination du grand public. 52 sont prévues en 2024 notamment sur la santé mentale, l’alcool, le tabac, les addictions…

Quelle place prend la santé au travail dans les activités de Santé publique France ?

Dr C. S. La santé des travailleurs fait partie des sujets que nous traitons via des enquêtes généralistes qui permettent de collecter des données sur la population active, mais aussi avec des dispositifs spécifiques. Nous menons des études, par exemple sur les troubles musculosquelettiques dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale, pour mieux connaître certains facteurs de risques. Chaque année, nous réalisons une enquête auprès des médecins du travail, « La Quinzaine MCP ». L’objectif est de fournir des données de prévalence des maladies à caractère professionnel, c’est-à-dire des pathologies que les médecins du travail estiment liées à l’activité de travail, mais qui – pour diverses raisons – n’ont pas fait l’objet d’une reconnaissance en maladies professionnelles (MP). Nous avons d’autre part lancé, en 2022, la plate-forme « Employeurs pour la santé », qui met à disposition des employeurs de la connaissance et des outils sur des sujets de santé au travail. Nous avons commencé par le tabac, mais l’idée est qu’elle puisse être utilisée sur d’autres sujets.

Caroline Semaille et Stéphane Pimbert, signent une convention de partenariat entre Santé publique France et l'INRS

Vous venez de signer une convention-cadre de collaboration entre vos deux organismes, pourquoi et comment allez-vous la mettre en œuvre ?

S. P. Notre partenariat avec Santé publique France est très ancien. Depuis longtemps, Santé publique France met à disposition des chercheurs de l’INRS les données issues de ses cohortes. Cette convention permet de formaliser ce partenariat, d’en donner un cadre et d’avoir une feuille de route. Cela permet aussi de rendre plus fluides encore les relations entre les experts de nos deux organismes. Nos domaines de collaboration seront multiples. Ils couvrent notamment l’identification des risques professionnels émergents, par la veille scientifique et la prospective ; la surveillance des expositions en milieu de travail et de leurs effets sur la santé, ainsi que leur suivi au long cours ; l’identification et la gestion de signaux faibles en matière de risques professionnels ; le développement d’actions de prévention concertées et l’évaluation de leur impact, ainsi que l’élaboration de messages ou campagnes communs.

Dr C. S. Nous allons poursuivre la mise en commun d’expertises. Un exemple : Santé publique France a développé un système de matrices emploi-exposition qui permet de retracer globalement les expositions professionnelles d’un travailleur, en se basant sur son parcours, les emplois qu’il a exercés et les périodes auxquelles il les a occupés. Nous allons mettre à la disposition de l’INRS ces matrices dans le cadre des études que l’Institut mène sur la polyexposition. C’est un sujet sur lequel nous devons approfondir nos connaissances afin notamment de mieux comprendre et mesurer l’effet cocktail, ce qui fait que les effets des substances peuvent se potentialiser, et de pouvoir préconiser des mesures de prévention adaptées. En retour, toute la métrologie développée sur ces sujets par l’INRS va nous permettre d’enrichir nos matrices.

Quand verrons-nous les premiers résultats de cette collaboration ?

Dr C. S. Il y en a déjà. Nous avons par exemple construit un guide technique pour la conduite d’études épidémiologiques à l’échelle d’une entreprise. Cette méthodologie permet de mettre en place un suivi épidémiologique en cas d’agrégat spatiotemporel, c’est-à-dire lorsque plusieurs cas d’une même pathologie sont déclarés sur un temps court, au sein d’une entreprise. Nous travaillons aussi sur les cancers professionnels. Santé publique France développe des études sur l’incidence des cancers en lien avec l’activité professionnelle en croisant des bases de données. L’INRS va nous apporter son expertise métier et méthodologique, pour l’interprétation de ces données. Affiner nos connaissances et disposer de chiffres précis peut nous permettre d’appuyer les politiques publiques sur ce sujet.

S. P. D’autres actions devraient rapidement bénéficier de ce partenariat, dont l’objet est d’encourager les projets communs, parmi lesquels celui consacré à l’exposition professionnelle aux mycotoxines ou un autre traitant de l’exposition au résorcinol des coiffeurs et coiffeuses, et les atteintes du système endocrinien qui en découlent. Sur certains sujets émergents, tels que les nanomatériaux, nous pourrons envisager la possibilité d’études annexes permettant de contribuer au programme Epinano, dispositif national dédié à la surveillance épidémiologique des travailleurs exposés aux nanomatériaux manufacturés. D’une façon générale, Santé publique France a une approche plutôt centrée sur les individus tandis que l’INRS s’intéresse davantage à la dimension collective des risques au travail. Grâce à nos compétences complémentaires, cette convention a vocation à faire progresser la prévention.

REPÈRES

Dr Caroline Semaille

Médecin épidémiologiste

  • Depuis 2023. Directrice générale de Santé publique France

Stéphane Pimbert 

Diplômé en droit et en sciences politiques 
 

  •  Depuis 2009. Directeur général de l'INRS
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