Traitement de maladies de peau (psoriasis, eczéma), séchage d’encres en imprimerie, éclairage dans le spectacle, contrôle qualité dans la maroquinerie, stérilisation d’emballages dans l’agroalimentaire, contrôle non destructif en métallurgie, lumières pour favoriser la croissance de plantes en horticulture… Ces quelques exemples illustrent la multitude et la diversité des applications possibles des rayonnements optiques artificiels (ROA) en milieu professionnel. Est considéré comme ROA tout rayonnement optique non émis par le soleil.
« En milieu professionnel, il faut distinguer les éclairages qui sont du registre de l’ambiance lumineuse et du confort visuel des rayonnements utilisés pour leurs propriétés ou résidus de procédés, et qui dans certains cas ont une action physiologique sur les yeux et la peau », explique Jean-Marc Deniel, responsable d’études à l’INRS. Certains ROA sont en effet employés pour leurs caractéristiques propres : effets photochimiques, germicides, fluorescence... C’est le cas des rayonnements ultraviolets par exemple. Dans d’autres cas, les ROA sont des rayonnements parasites issus de procédés de fabrication, à l’image du rayonnement infrarouge émis par le verre en fusion.
Classés selon leur longueur d’onde, les ROA se situent dans l’ultraviolet (de 100 à 380 nm), le spectre visible (de 380 à 780 nm) et l’infrarouge (entre 780 nm et 1 mm). Toutes les sources de ROA ne sont pas équivalentes. Nombre d’entre elles ne présentent pas de risques, ou alors négligeables, dans des conditions normales d’utilisation : leds, écrans d’ordinateur, photocopieurs… D’autres en revanche exposent les travailleurs à des risques avérés, notamment dans certains procédés industriels (soudage à l’arc, fours industriels) ou médicaux.
Certains effets sont aigus et entraînent une réaction sous 24 heures. L’un des plus connus et des plus parlants est le « coup d’arc » dont peuvent être victimes les soudeurs. Il s’agit d’un effet invalidant, mais temporaire et réversible. D’autres en revanche peuvent être définitifs, comme une cécité partielle ou totale. Les atteintes chroniques entraînent quant à elles des conséquences à long terme, telles que la cataracte ou des lésions de la peau.
Un danger pour la peau et les yeux
Le niveau d’exposition dépend du nombre de sources et de leur puissance, ainsi que de la distance de l'opérateur. La nature des lésions dépendra de la longueur d’onde, de l'intensité du rayonnement et du composant de l’œil ou de la peau qui l’absorbe. Sur le plan cutané, les effets aigus vont du simple érythème aux brûlures sévères. Dans la durée, la répétition des expositions peut entraîner un vieillissement accéléré de la peau, voire l’apparition de lésions cancéreuses. Au niveau des yeux, les rayonnements peuvent altérer la cornée ou le cristallin (cataracte) par exposition chronique, la conjonctive (coup d’arc) ou la rétine (cécité) lors d’une exposition aiguë.
À la différence d’autres nuisances, l’atteinte par les ROA peut ne provoquer aucune sensation sur le moment, ni même aucun stimulus qui pourrait déclencher une protection par un mouvement d’aversion. C’est pourquoi le rayonnement optique artificiel, même s’il nous est familier et n’est pas considéré, a priori, comme dangereux, doit être pris au sérieux lors de la mise en œuvre de certains procédés ou de l’utilisation d’appareils contenant une source de ROA. Au même titre que les autres risques physiques présents en entreprise, les ROA doivent donc faire l’objet d’une évaluation des risques.
QUID DE LA LUMIÈRE BLEUE ?
Depuis l’apparition des leds et le déploiement à grande échelle d’écrans numériques, il est de plus en plus question de la lumière bleue, de ses effets potentiels sur la fatigue oculaire ou le sommeil, etc. Mais qu’est-ce que la « lumière bleue » ? Dans le spectre de la lumière visible par l’œil, les longueurs d’onde courtes – de 380 à 450 nm –, correspondent à une lumière perçue de couleur bleue. Certaines leds émettent en ces longueurs d’onde un « pic de lumière ». On parle alors de « lumière enrichie en bleu ». Si elle présente des effets physiologiques spécifiques chez l’humain – vision colorée, influence sur l’horloge biologique et le sommeil – dans des conditions normales d’utilisation, elle est sans risque. « Actuellement, un éclairage led de qualité est moins agressif qu’un ciel bleu ensoleillé », souligne Damien Brissinger, responsable d’études en rayonnement optique à l’INRS. Ordinateurs, tablettes, smartphones possèdent des écrans présentant parfois un rétroéclairage enrichi en lumière bleue. Ces dispositifs ont des niveaux d’émission faibles. Au vu des données scientifiques actuelles, ils ne présentent pas de risque photobiologique pour la rétine. Néanmoins, afin de prévenir les risques de fatigue visuelle au quotidien, des mesures de prévention peuvent être prises : privilégier un écran mat plutôt que brillant, implanter les écrans de façon à éviter les reflets et les éblouissements sur les écrans, ou encore organiser l’activité de façon à alterner tâches sur écran et tâches sans écran… Les options d’affichage pauvre en lumière bleue sont aussi intéressantes pour limiter le soir les effets perturbateurs des écrans sur l’endormissement.
La démarche de prévention à mener débutera par une analyse et une évaluation préalables des risques : recensement des sources de ROA, identification des postes de travail concernés. Des valeurs limites d’exposition sont spécifiées à l’annexe 1 de l’article R.4452-5 du Code du travail, à partir des effets avérés sur la santé. Cette première étape peut être menée à l’aide des notices des matériels utilisés, de rapports d’expertises ou d’études sectorielles, de normes, ou encore en se référant à des guides pratiques.
Évaluer le risque lié aux ROA
Si cette évaluation à partir des données documentaires techniques n’est pas suffisante pour conclure à l’absence de risque, l’évaluation de l’exposition aux ROA peut se faire par calcul avec l’outil CatRayon ou par mesurage (suivant le guide méthodologique Mesurer et évaluer l’exposition professionnelle aux rayonnements optiques artificiels (hors laser), réalisé par l’INRS).
Une fois cette évaluation réalisée, à l'instar de toute démarche de prévention, la première action consiste à supprimer le risque à la source. Le choix du procédé ou du matériel participe à la prévention, d’où l’importance d’acheter du matériel après avoir réalisé une étude comparative prenant en compte les critères d’émission et d’exposition aux ROA. Si ce n’est pas possible, car relevant du procédé de production lui-même, une solution pour réduire l’exposition est d’agir sur l’organisation du travail. « Cela peut se matérialiser en éloignant les salariés des sources de ROA, commente Jean-Marc Deniel : en effet, l’éclairement décroît avec le carré de la distance. Donc si vous doublez la distance des personnes à la source, leur exposition sera divisée par quatre. »
LA FLAMME HYDROGÈNE SUPPRIME LE RISQUE À LA SOURCE
Depuis une dizaine d’années est apparue sur le marché une solution technologique de flamme hydrogène à très haute température pour les opérations de brasage. Le procédé traditionnel de brasage – opération d’assemblage de pièces métalliques obtenue grâce à la fusion d’un métal d’apport, mais sans fusion du métal de base – fait appel à un mélange oxygène/acétylène. La flamme obtenue émet des ultraviolets dont les soudeurs doivent se prémunir. Le nouveau procédé utilise l’électrolyse de l’eau pour obtenir une flamme à partir de la combustion de l’hydrogène. « Ce procédé diminue le risque à la source, en réduisant considérablement le rayonnement UV émis par rapport à une flamme oxygène-acétylène », commente Maxime Berget, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Des études avaient montré que le procédé traditionnel constitue un risque pour les yeux et pour la peau, pour des temps longs d’exposition. « Et au-delà des rayonnements, le procédé présente d’autres avantages en matière de conditions de travail : plus besoin de manipuler des bouteilles de gaz inflammable et sous pression (donc réduction du risque incendie-explosion), torchères plus légères et gaine plus souple qui diminuent le risque de TMS », précise-t-il.
Si le risque ne peut être réduit à la source, le travail doit alors être organisé pour limiter la durée d’exposition aux rayonnements. « Et les mesures à prendre passent alors par l’installation de protections collectives à adapter en fonction du rayonnement (sa nature, son intensité…) : rideaux de soudage, plaques en polycarbonate, filtres, écrans équipant les machines… », poursuit-il. Le verre empêche la transmission de certains UV, mais ne stoppe pas ceux qui sont à l’origine du vieillissement de la peau, alors que les écrans de polycarbonate les stopperont tous.
En présence de rayonnement infrarouge, il est nécessaire de veiller à utiliser des écrans qui réfléchissent le rayonnement, et le renvoient du côté de la source. « Car s’ils absorbent le rayonnement, ils risquent de chauffer et de se dégrader, ou devenir brûlants », met en garde Jean-Marc Deniel. Et en dernier recours pour protéger la peau et/ou les yeux viennent les équipements de protection individuelle : vêtements, lunettes, casques, là encore toujours adaptés à la nature de la source de rayonnement et à l’activité. Enfin, la formation et l’information des salariés sont également indispensables : l’employeur est tenu d’établir une notice de poste informant les salariés de tous les postes de travail sur lesquels ils risquent d’être exposés à des rayonnements optiques artificiels dépassant les valeurs limites d’exposition.
CATRAYON, UN LOGICIEL D'AIDE À L'ÉVALUATION DES RISQUES
Le logiciel CatRayon, développé par l’INRS, est à la disposition des entreprises pour aider les responsables prévention et les organismes de contrôle à évaluer l’exposition aux rayonnements optiques artificiels dans des locaux de travail. Cet outil évalue le risque par exposition directe aux ROA à partir des caractéristiques des sources de rayonnement et de la configuration de travail. Il comprend plus de 400 sources et une centaine de filtres de protection. Parmi ses fonctionnalités, cet outil permet d’évaluer l’exposition de salariés à des postes de travail fixes ou mobiles ; de réaliser une cartographie des risques dans une zone de travail ; de définir ou proposer des protections collectives et individuelles. Un module de saisie indépendant « MesSourcesCatRayon » permet à tout utilisateur de créer ses propres sources sur la base de ses mesures.